C’est arrivé à Ben

Rôle après rôle, c’est une authentique et profonde comédie humaine que compose Poelvoorde, par-delà un humour volontiers corrosif

C’est arrivé près de chez vous (1992)

Tout a commencé au Festival de Cannes, où la prestigieuse et néanmoins passionnante Semaine de la critique avait sélectionné le premier long-métrage à micro-budget d’une petite bande de Belges aussi allumés qu’inconnus. Rémy Belvaux, André Bonzel, Vincent Tavier et Benoît Poelvoorde avaient bien déjà commis un court-métrage pas triste, intitulé Pas de C4 pour Daniel Daniel, mais ceux que la plupart de leurs professeurs avaient définitivement classés dans la catégorie des cancres n’étaient encore connus que de leurs parents, de quelques amis et des cafetiers dont ils s’employaient vaillamment à augmenter le chiffre d’affaires. Tourné pour trois sous, en noir et blanc et dans une folle liberté, C’est arrivé près de chez vous traçait, sur un mode reportage à la Strip-tease, le portrait d’un tueur en série prénommé Ben et qu’une équipe de réalisation suit dans tous ses faits et gestes, jusqu’à passer du rôle de voyeurs à celui de complices. A Cannes, ce sommet génialement bricolé de subversion bien comprise fit l’effet d’une bombe. On se pressa tellement aux projections du film qu’il fallut en rajouter, sans pouvoir finalement caser tous les candidats spectateurs. En quelques heures, C’est arrivé près de chez vous devint l’événement alternatif du Festival. Quentin Tarantino, présent lui aussi avec son premier film, Reservoir Dogs, se déclara bluffé tout en confiant aux jeunes Belges qu’ils lui avaient coupé l’herbe sous le pied puisqu’il songeait lui-même à faire un faux documentaire sur un serial killer… Dans le rôle du tueur à la fois terrifiant, cynique et irrésistiblement drôle, Poelvoorde signait une création saisissante, faisant dire à Martin Scorsese qu’il n’avait plus rien vu de tel depuis les débuts de son ami Robert De Niro ! Quatre prix cannois vinrent récompenser le film, promu illico au statut d’£uvre  » culte « .

Modèle déposé (1994)

Passant de l’écran à la scène, dans une pièce en monologue écrite avec Rémy Belvaux et Jean Lambert (le premier cité assurant aussi la mise en scène), Benoît Poelvoorde risque en direct, tous les soirs, une jeune mais formidable réputation née de son premier film. L’entreprise, assimilable à un test û volontaire ou inconscient û de ses capacités d’auteur et d’acteur par un artiste fuyant la facilité, est une réussite. Dans le rôle d’un raté parano, pathétique et attachant, frustré de ses rêves de grandeur, Poelvoorde est formidable. Il anticipe le genre de personnage à l’étroit dans sa vie, entre émotion et ridicule, qu’il jouera ensuite, dans des variations diverses, au cinéma. La pièce se donnera durant trois années en Belgique, et six mois au Café de la Gare à Paris, lançant définitivement Poelvoorde en France, où Canal+ lui proposera ses plateaux avec, pour principal résultat, Les Carnets de M. Manatane ( lire l’encadré).

Les Randonneurs (1996)

Encore aujourd’hui, Poelvoorde avoue éprouver du mal à revoir ce film où il regrette d’avoir, sur insistance du réalisateur Philippe Harel, accepté de brider son interprétation. Mais même s’il joue  » en dessous « , loin des délires théâtraux de ses précédents personnages, Ben n’en croque pas moins de très savoureuse façon le guide de randonnée sentencieux emmenant û dans un style assez particulier û quelques jeunes (Vincent Elbaz, Karin Viard, Géraldine Pailhas) sur les sentiers d’un maquis corse où ils se révéleront à eux-mêmes.

Les convoyeurs attendent (1998)

Poelvoorde sort de l’aventure Manatane à la télévision pour incarner le père de famille du très bon premier film d’un autre jeune Belge : Benoît Mariage. Située dans la région de Charleroi, le film a pour  » héros  » un photographe de presse croupissant dans le marasme des  » chiens écrasés  » où ses ambitions bien plus hautes n’en finissent pas de prendre l’eau. Rêvant en désespoir de cause d’entrer dans Le livre des records (et de gagner par la même occasion une voiture), il contraint son grand fils à entreprendre une tentative contre celui du nombre d’ouvertures et de fermetures de portes en vingt-quatre heures… La démarche navrante autant qu’obstinée de ce paternel abusif, aussi déplaisant en surface que touchant au fond, offre à Ben un de ses rôles les plus riches. Filmé en très beau noir et blanc par un Mariage faisant joliment la part du rire grinçant et de l’émotion, Les convoyeurs attendent révèlent, sur un mode digne des meilleures comédies italiennes, l’étendue du registre de son principal interprète.

Le Vélo de Ghislain Lambert (2000)

Quatre ans après Les Randonneurs, Poelvoorde retrouve Philipe Harel, pour une comédie cycliste narrant la consternante autant qu’attachante trajectoire d’un coureur né le même jour qu’Eddy Merckx avec (déjà) huit minutes d’écart… Une création remarquable, dans un personnage de besogneux de la pédale, rêvant, contre toute évidence, d’un jour de gloire qui ne viendra sans doute jamais. On rit, on est ému, et on se plie en deux à la vision de la scène désormais célèbre de la prise de dopage par un Ghislain Lambert partant comme une flèche pour  » exploser  » ensuite.

Les Portes de la gloire (2001)

C’est dans le milieu des représentants de commerce que Poelvoorde poursuit son exploration des perdants magnifiques, obsédés de réussite dans une société qui les repousse inexorablement vers la marge. Il est formidable dans le personnage de Régis, chef tyrannique d’une petite équipe de vendeurs à domicile. S’inspirant du colonel héros du Pont de la rivièreKwaï, ce Mussolini du porte-à-porte nous offre un régal de comique involontaire. Le travail de Poelvoorde sur ce rôle funambulesque est carrément passionnant. Personne n’oubliera par ailleurs le slip de bain exhibé avec une atterrante fierté par Régis au bord de la piscine où végètent ses sous-fifres lors d’un de leurs rares moments de détente…

Le Boulet (2001)

Sans aucun doute le film le plus directement commercial jamais accepté par Poelvoorde, Le Boulet joue la carte de la comédie grand public sans verser dans l’excès de facilité. Face à un Gérard Lanvin impressionnant en gangster bourru, Poelvoorde compose à merveille un personnage de gardien de prison plutôt pusillanime, entraîné malgré lui dans une aventure hors la loi semé de rebondissements et où plane le souvenir des comédies en duo façon Francis Veber, notamment cet Emmerdeur qui réunissait déjà un tandem franco-belge avec Lino Ventura et Jacques Brel.

Podium (2003)

Que dire encore de LA comédie à succès de ce début d’année, sinon que son triomphe public (et, en bonne partie, critique) propulse Benoît Poelvoorde dans le cercle des grands comiques populaires, non loin d’un Louis de Funès dont il a l’abattage phénoménal, même si son style et ses choix sont bien différents. Brillant sur toute la ligne en sosie de Claude François, l’acteur belge atteint, à l’orée d’une quarantaine qu’il abordera au prochain automne, le sommet provisoire de son art d’inter- prète.

Les petits rôles et les courts

On ne saurait passer sous silence les prestations de Poelvoorde dans des courts-métrages comme ce très beau Signaleur de Benoît Mariage (en 1997), ou dans des rôles secondaires hauts en couleur tels ceux tenus dans Pour rire, de Lucas Belvaux (le frère de Rémy), et Rire et châtiment, avec son ami José Garcia.

Vers l’avenir

D eux nouveaux films déjà tournés devraient sortir dans les mois qui viennent : Narco, de Tristan Aurouet et Gilles Lellouch, et surtout Le Retour de James Bataille, de Didier et Thierry Poiraud, où il joue û face à Vanessa Paradis û un imprésario carrément ignoble répondant au doux nom d’Alain Chiasse. Poelvoorde tournera plus tard cette année dans le nouveau film de Nicole Garcia, tout en mettant la dernière main au scénario de son premier film en tant que réalisateur à part entière. L. D.

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