Ces absents très remarqués

Il fut beaucoup question de l’ancien président Jacques Chirac et de l’ex-ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie au cours du procès. Avec, en toile de fond, une énigme : que savaient-ils, en 2004, de cette affaire tortueuse ?

Ce procès finira comme il avait commencé : sans eux. Leurs noms ont été cités plus souvent qu’à leur tour. Leurs ombres n’ont cessé de planer sur le prétoireà Et pourtant, tout au long de cette audience, Jacques Chirac et Michèle Alliot-Marie (MAM) ont brillé par leur absence. Les témoignages de l’ex-président et de l’actuelle garde des Sceaux – ministre de la Défense à l’époque des faits – auraient peut-être permis d’en savoir plus sur ce montage destiné à discréditer une centaine de personnalités – dont Nicolas Sarkozy – en faisant croire qu’elles possédaient des comptes secrets à l’étranger.

JACQUES CHIRAC

Comment et par qui a-t-il été informé de ce dossier ? Sollicité en 2007 par les deux juges d’instruction, il avait refusé d’être entendu. Son argument ? L’article 67, alinéa 1 de la Constitution, selon lequel le président  » n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité « . En clair, il ne peut témoigner sur des faits accomplis durant son mandat. Jacques Chirac s’était également référé à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme, définissant la séparation des pouvoirs. Au passage, il avait tout de même profité de son courrier aux magistrats pour  » démentir catégoriquement avoir demandé la moindre enquête visant des personnes politiques « .

Pas de Chirac, donc. Ni à l’instruction, ni à l’audience. Mais cela ne l’a pas empêché d’être omniprésent, notamment à travers le témoignage du général Philippe Rondot, le maître espion de la République. D’après cet officier, scribe méticuleux des épisodes du feuilleton, Jacques Chirac entre en scène dès l’origine de l’affaire ; son nom est même avancé par Dominique de Villepin lors de la réunion décisive du 9 janvier 2004.

Ce jour-là, dans son bureau du quai d’Orsay, le ministre français des Affaires étrangères évoque pour la première fois le dossier en présence de son ami Jean-Louis Gergorin (vice-président d’EADS). Selon le général Rondot, Dominique de Villepin fait alors état d’instructions données par Jacques Chirac pour qu’il enquête sur ce dossier sensible. Des ordres que le militaire va prendre au pied de la lettre.  » Je n’ai jamais eu l’idée de les remettre en question « , a-t-il reconnu devant le tribunal. Plus surprenant : Dominique de Villepin lui demande de ne pas informer sa ministre de tutelle, Michèle Alliot-Marie, au prétexte que son compagnon, Patrick Ollier, fréquente les milieux d’affaires du Moyen-Orient.

Voici donc Rondot, militaire respectueux de la hiérarchie, confronté à un dilemme : doit-il ou non tenir  » sa  » ministre à l’écart ? Finalement, il décide de l’informer. Et cherche aussi à en parler à Jacques Chirac. Il demande l’autorisation à ses supérieurs de solliciter un entretien et prend même contact avec le chef d’état-major particulier du président. En vain.

Le général, de plus en plus persuadé de la fausseté des listings, rencontre à nouveau Dominique de Villepin le 19 juillet 2004. Tandis qu’il lui fait part de ses doutes, le ministre a cette phrase :  » Si nous apparaissons, le président et moi, nous sautons.  »  » A l’époque, je partageais cette inquiétude, car je voulais protéger le chef de l’Etat et éviter que l’on remonte jusqu’à lui « , admet aujourd’hui le général.

Interrogé sur d’éventuelles directives de Chirac, Villepin s’est défendu :  » Je n’ai jamais reçu ni donné d’instructions de sa part. Je n’ai fait, le 9 janvier 2004, que rappeler ses directives concernant la moralisation de la vie économique et internationale.  » Il reconnaît juste avoir  » averti le président qu’une enquête avait été confiée au général Rondotà « . Il n’en dira pas plus. Nul ne saura ce qui s’est dit entre eux. Le tribunal n’a pas été très curieux à ce sujet : la lettre de Jacques Chirac aux juges d’instruction n’a pas même été lue à l’audience !

MICHèLE ALLIOT-MARIE

Elle aurait pu être là. Personne ne lui a demandé de venir ! A la différence de l’ex-président, aucune impossibilité constitutionnelle ne s’opposait à son audition. Mais ni le procureur, ni les multiples parties civiles ne se sont manifestés en ce sens, pas plus que les cinq prévenus, dont le plus célèbre, Dominique de Villepin. Pourtant, comme son entourage l’a fait savoir au Vif/L’Express, Michèle Alliot-Marie ne se serait pas dérobée. Pendant l’instruction, elle avait d’ailleurs été entendue par les juges.

Que savait-elle de l’affaire ? Pourquoi n’a-t-elle rien dit à son collègue Sarkozy ? Si l’on en croit Philippe Rondot, MAM a été au courant d’une partie de ses investigations.  » Chaque mardi matin, de janvier à octobre 2004, explique Me Eric Morain, l’avocat de l’officier, mon client rendait compte au directeur du cabinet de la ministre, Philippe Marland. De plus, il s’est directement entretenu avec MAM à trois reprises.  » Dès lors, comment imaginer que celle-ci ait pu ignorer l’essentiel de l’affaire ?

Sa défense s’appuie sur les silences partiels prêtés à Rondot.  » Elle savait seulement qu’il menait une enquête sur une éventuelle compromission de personnel du ministère de la Défense « , répliquent les proches de MAM. Pour expliquer son apparente passivité face au scandale annoncé, les mêmes sources évoquent les  » doutes  » de l’officier. Dès le mois d’avril 2004, celui-ci semble n’accorder qu’un faible crédit aux listings bancaires. Il faut cependant attendre octobre 2004 pour qu’il acquière la conviction qu’il s’agit de faux.

Finalement, MAM assure n’avoir eu connaissance des dessous de cette tentative de déstabilisation de Nicolas Sarkozy qu’après la publication, dans Le Monde du 30 avril 2006, d’extraits des carnets du général Rondot. A cette occasion, elle apprend aussi la mise en cause de Patrick Ollier. Alors, seulement, elle en parle en tête à tête avec Sarkozy.

Lors de sa dernière déclaration avant les plaidoiries, Dominique de Villepin s’en est pris à MAM, lançant au tribunal :  » Le fait d’être désigné comme un rival politique de Nicolas Sarkozy me vaut d’être devant vous ; ne pas l’être, pour Michèle Alliot-Marie, lui permet d’être garde des Sceaux.  » L’intéressée a choisi de ne pas répondre avant le jugement. Ce jour-là, prévient son entourage, elle ripostera  » politiquement à cette attaque politique « . Une contre-offensive que l’on promet  » musclée « .

Jean-Marie Pontaut

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire