Audrey Tautou, la vie après Amélie

Le phénomène Amélie Poulain et l’immense popularité qu’il implique l’ont un peu bousculée. Mais la jeune actrice reste un modèle de spontanéité, tout en élargissant son registre avec A la folie… pas du tout

Voici un des ces films dont il est difficile de parler sans trop en dévoiler les richesses. Basé sur une brillante idée de scénario, A la folie… pas du tout raconte l’histoire d’une obsession amoureuse, vue tour à tour du point de vue de la femme passionnée, puis de celui de l’homme inspirant cette passion. La jeune Laetitia Colombani a écrit et réalisé ce mélange original de comédie sentimentale et de thriller implacable, réservant au spectacteur de nombreuses surprises. Dans le rôle d’Angélique, personnage central de ce singulier récit, on retrouve avec plaisir Audrey Tautou, celle qu’on découvrit dans Vénus Beauté (avec un César du meilleur espoir féminin) avant que Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain fasse d’elle l’actrice la plus populaire de sa génération.

A la folie… pas du tout offre à celle que l’on perçoit volontiers comme une ingénue l’occasion de montrer un visage plus complexe, balayant le spectre du solaire à la noirceur tout en ajoutant un chapitre saisissant à la saga des apparences trompeuses. Il serait pourtant abusif d’y voir une volonté délibérée de « casser son image », pour reprendre une expression navrante, à la mode depuis quelques années dans le monde du spectacle. Audrey Tautou n’est pas du genre à calculer ses effets. D’un naturel spontané, cette jeune comédienne au talent rayonnant va où son désir la pousse, jouissant simplement du bonheur d’être et de jouer, et que l’ampleur du phénomène Amélie Poulain soumet depuis quelques mois à une pression parfois lourde.

Deux apparitions dans des films signés Cédric Klapisch ( L’Auberge espagnole) et Claire Devers ( Les Marins perdus), puis un grand rôle dans le très attendu Dirty Pretty Things de Stephen Frears viendront d’ici la fin de l’année confirmer qu’il y a bien une (belle) vie après Amélie, pour une interprète gourmande de nouvelles expériences et dont rien, pas même le succès, ne devrait freiner le prometteur parcours.

Le Vif/L’Express: On pourrait dire en découvrant A la folie… pas du tout qu’il s’agit du film idéal pour suivre Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. Il y a là comme une invitation à voir plus loin que l’image souriante, radieuse, que tout le monde ou presque a de vous…

Audrey Tautou: On pourrait dire ça, mais on se tromperait. Je n’ai pas de plan de carrière et je ne pose pas mes choix en fonction d’une image à gérer ou à modifier. J’ai reçu le scénario de Laetitia Colombani dans les semaines qui ont suivi la sortie d’ Amélie Poulain. J’étais en plein cataclysme, accaparée par un ouragan médiatique et, sous la pression de devoir répondre vite, j’ai d’abord refusé le projet. Si j’y suis revenue, c’est parce que le personnage et son histoire, continuaient à me trotter en tête. L’image que j’ai, ce n’est pas avec ce film qu’elle va changer. Ni non plus avec les quinze qui vont suivre (rire)! Je n’essaie même pas de lutter, ce serait peine perdue…

Vous avez cette image d’ingénue, qui existait avant Amélie. Et dès Vénus Beauté, en fait. Dans la tradition du théâtre, on parlerait d' »emploi ».

Il y a cette expression « avoir la tête de l’emploi ». Elle comporte une part de vrai. C’est assez normal, quand on a une nature, un physique, une façon de bouger, qu’on voie dès lors en vous un certain type humain. L’emploi, il existe bel et bien. Même si vous allez à rebours, on parlera de contre-emploi. Mais, quoi que vous fassiez, ce sera mesuré à l’aune de cette première impression que vous avez projetée. Je pourrai faire tous les rôles de composition possibles, cela ne changera pas. Je ne crois pas une seconde à ces acteurs qui prétendent pouvoir jouer n’importe quoi sans changer leur physique. Pour jouer un personnage qui pèse 20 kilos de plus que vous, il faut les prendre en vrai, les kilos. Comme le fit De Niro. Les 20 kilos en plus, je n’ai jamais vu quelqu’un qui puisse les « jouer » (rire). L’acteur le plus intelligent du monde ne saurait faire abstraction de son physique! Moi, j’ai vraiment la tête de l’ingénue, avec mes grands yeux étonnés et mon sourire grande largeur (rire). Cela ne me pose aucun problème, même si je ne suis pas si ingénue que ça dans ma vie à moi… Les apparences sont trompeuses, vous le savez. Au moment de jouer Angélique dans A la folie… pas du tout, j’ai repensé à ces commentaires qu’on entend toujours après que quelqu’un ait brutalement révélé les failles qui existaient en lui: proches et voisins ne peuvent que dire que « jamais ils n’auraient imaginé qu’il ou elle soit capable de faire ça « . Vous ne les entendez pour ainsi dire jamais lâcher quelque chose du genre: « Rien qu’à le voir, j’étais sûr que ça arriverait un jour! Il était tellement bizarre que j’ai déménagé, certain qu’il allait un jour en tuer quatre… (rire). »

Ne vivons-nous pas dans une société où l’apparence est de plus en plus valorisée?

Nous vivons dans une société de plus en plus médiatisée. Et les médias, pas seulement audiovisuels, vivent d’images et, donc, forcément parfois d’images réductrices.

Cet univers médiatique, vous en avez personnellement ressenti les dérives?

Oui, fatalement, avec ce qui est arrivé à Amélie Poulain. Quoi que je fasse aujourd’hui, les questions reviennent à ce film et à ce personnage. J’en suis à la troisième vague médiatique sur Amélie et il y en aura d’autres. Maintenant si c’est encore le cas dans vingt ans, il y aura de quoi s’inquiéter (rire)!

Trente ans après Psychose, Anthony Perkins était toujours interrogé principalement sur ce film…

Cela devait être dur, pour lui. D’être constamment ramené au passé, fût-il remarquable… Mais moi, je ne vais pas me plaindre. De toute façon, ça n’y changerait rien! Vous n’avez aucun contrôle sur l’image que les gens ont de vous. Qu’elle soit bonne ou mauvaise, elle naît dans l’esprit de personnes qui ne vous connaissent pas… et qui ne pourront jamais savoir si elle est vraie ou fausse. Seuls mes proches savent qui je suis réellement, et c’est très bien comme ça!

Ben Kingsley dit que chaque comédien est à la recherche d’un masque derrière lequel il pourra se cacher. Partagez-vous son sentiment?

Ce qui est certain, c’est qu’il serait vain de faire ce métier dans l’intention que les gens sachent qui vous êtes réellement. L’impression que les spectateurs, les médias ont de vous, dépend de l’humeur du moment. Alors qu’il faut du temps pour connaître vraiment quelqu’un. Par rapport au masque évoqué par Ben Kingsley, il a peut-être raison, mais je ne pense pas en ces termes. Je suis quelqu’un de très spontané, qui ne calcule jamais l’impression que je vais donner. Ce que les gens pensent de moi, ça les regarde. Tant mieux si c’est du bien, tant pis si c’est du mal – même si cela me fera un peu de peine. De toute façon, je ne peux pas aller chez les gens, entrer dans leur maison et leur expliquer qu’ils se trompent…

Vos choix de travail restent donc spontanés?

J’ai hésité un instant, juste après Amélie. Mais je me suis vite dit que j’étais bien trop jeune pour me mettre à peser ainsi les choses. Si un scénario me plaît, si un projet m’attire, j’y vais. Je laisse l’inconscient faire son boulot de conseiller, qu’il fait très bien d’ailleurs (rire). Je ne me vois pas vivre et en même temps analyser ce que je vis. Or, jouer fait partie de ma vie. Etre actrice, pour moi, n’est pas mettre ma vie entre parenthèses. Bien au contraire!

Pourquoi y êtes-vous venue, à ce métier d’actrice?

Parce que j’ai très tôt aimé ce monde du spectacle. Qu’il convient idéalement à mon goût de la découverte et du dépaysement. Et aussi que j’y ai trouvé un univers où on travaille en équipe. C’est ce que j’aime le plus, travailler ensemble, avec des gens. Je ne pourrais rien faire toute seule dans mon petit coin. J’adore échanger avec les autres. Quand je suis sur un tournage, je suis aussi bien intéressée par les costumes, la décoration, que le montage et tous les aspects du processus cinématographique. Tous me passionnent également. Si je suis devenue actrice, c’est à la suite d’une multiplication de petits hasards.

Toute jeune, quel est le premier métier qui vous a attirée?

Petite, je voulais étudier les singes!

Intéressant, car cela suppose l’observation du comportement…

Oui, et plus précisément de ce qui, dans ce comportement des singes, tend vers le comportement humain. Il y a peut-être une piste, là-dedans (rire)!

Un bon acteur est souvent un bon observateur des gens. Aimez-vous observer les autres?

J’aime beaucoup ça. Les gens me passionnent, me touchent, m’amusent, sans que jamais, cependant, je ne me moque d’eux. Je les observe tout le temps. Mais pour le plaisir, jamais en me disant que je pourrais utiliser tel ou tel détail de comportement, telle ou telle attitude, dans mon travail d’actrice. Ce que j’observe chez eux leur appartient, je ne vais pas le voler… Je les aime trop pour ça. Je crois profondément qu’il y a en chacun d’entre nous quelque chose qui le rend digne d’être aimé.

C’était une partie du propos du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. Pensez-vous qu’une part de son succès réside dans cette présence de valeurs positives, à rebours du cynisme marquant tellement le cinéma de la décennie précédente?

Franchement, je n’ai pas d’explication rationnelle du phénomène Amélie, sinon que c’est un film qui apporte beaucoup de bonheur. Et je n’ai pas vu assez de films avant pour comparer, du moins en ce qui concerne les « valeurs ». J’allais au cinéma en famille, avec ma mère et mes frères et soeurs, dans ma petite ville de province. On n’y voyait pas la plupart des films auxquels vous pensez sans doute…

Votre première grande émotion de spectatrice?

Cyrano de Bergerac. Découvrir ce film a été merveilleux pour moi. Il m’a vraiment transportée. J’ai aussi vu à la télé La Couleur pourpre, et L’Eté meurtrier, qui m’ont beaucoup marquée.

En tant qu’actrice, êtes-vous plus attirée par des projets tendant vers l’imaginaire ou vers le réalisme?

J’ai tendance à aller vers ce qui est atypique, ce qui a une couleur à part. Donc, vers l’imaginaire plus que vers le réalisme. Encore que le film de Stephen Frears soit très réaliste!

Quelques mots sur ce film que nous verrons à l’automne?

C’est une histoire d’immigrés, de travailleurs clandestins, de trafic d’organes. Le tout orchestré par Frears qui est un type incroyable…

Frears est l’exact inverse de Jean-Pierre Jeunet. Autant le réalisateur du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain est un perfectionniste soignant chaque détail, autant Frears relativise les choses en estimant qu’un film se fait forcément dans un certain chaos, et que c’est illusoire de vouloir y contrôler les détails. Vous-même, vous sentez-vous plus proche de l’attitude de l’un ou de l’autre?

Des deux! Je me décrirai comme à la fois perfectionniste et relativiste. Perfectionniste, parce que je veux toujours, dans mon travail, faire du mieux possible. Et relativiste, parce que je sais bien qu’au bout du compte le résultat ne sera jamais à la hauteur de ce que j’ai voulu. Et puis, parce que ce n’est que du cinéma, et qu’il y a tant de choses plus importantes dans la vie!

Vous partagez l’émerveillement de Jean-Pierre Jeunet et d’Amélie Poulain pour les petits bonheurs quotidiens?

Oui. Je ne suis pas blasée pour un sou. Tout récemment, le hasard m’a encore offert un de ces petits bonheurs. Quelqu’un a appelé chez moi en se trompant de numéro et il a laissé sur mon répondeur un message destiné à une autre. En l’écoutant, j’ai ri puis j’ai été émue. Je ne vous dirai pas ce qu’il y avait dans le message, mais j’y ai trouvé une nouvelle confirmation du fait que tous, nous avons quelque chose qui nous rend dignes d’amour…

Entretien: Louis Danvers

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