» Allô, Monabila, t’as du shampooing ? « 

Entre la Joconde et la nouvelle icône de la télé-réalité, il y a comme une parenté.

Pour les besoins de cette chronique, j’ai passé deux heures au Louvre, devant La Joconde. Deux heures, durant lesquelles je me suis répété cette phrase qui gambade désormais dans les files d’attente, cours de récréation, dîners en ville et conversations légères, cette phrase qui n’a pas fini de distraire les internautes :  » Non mais, allô ? Quoi, t’es une fille et t’as pas de shampooing ???  » Si j’ai rendu visite au plus fameux des portraits de femme, c’est parce que Mona Lisa me fait penser à Nabila, héroïne désormais culte de l’émission diffusée sur NRJ12, Les Anges de la télé-réalité. J’assume aussi l’inverse. Lorsque j’ai visionné sur Internet la vidéo de Nabila articulant, de sa diction traînante et chaude,  » Non mais, allô ? Quoi, t’es une fille et t’as pas de shampooing ??? « , je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Mona Lisa. Monabila, en quelque sorte. Entre ces deux jeunes femmes, il y a cinq cents ans. Entre l’aristocrate de Florence peinte par Léonard de Vinci et la donzelle aux allures de mannequin pour lingerie candidate à la notoriété, il ne saurait y avoir aucun rapport. Et pourtant si, il y en a plusieurs.

Mona Lisa et Nabila sont deux oeuvres. La première est celle d’un des plus grands génies du monde ; la seconde est la création collective des foules du numérique qui, par la magie du clic, en ont fait une icône. Les deux femmes, qui ont presque le même âge au moment d’être immortalisées, sont également deux figures de l’Occident chrétien. Représentées assises, dans des attitudes très proches, ces brunes incarnent, pour la première, la chrétienté à son apogée, et pour la seconde, cette même chrétienté à son déclin. Mona Lisa comme Nabila provoquent scepticisme et incrédulité. Toutes sortes de rumeurs ont couru sur la Joconde : qu’elle venait d’avorter, qu’elle avait l’allure d’une prostituée, que s’il avait vu le tableau son père l’aurait refusé. De la même façon, Nabila cristallise la curiosité et les fantasmes de la presse people et du public : d’où vient-elle, quelles sont ses moeurs, lui écrit-on ses reparties et ses dialogues, d’où sort-elle ses minishorts… ? Enfin, et bien sûr, subsistent des mystères sur le physique de chacune. Le sourire énigmatique de la Joconde, ses sourcils épilés, son front dégarni ont suscité des milliers de commentaires et d’interprétations. De la même façon, les curieux se demandent quelle est la part de naturel et la part de faux dans le visage et la plastique de Nabila.

Je ne dirais pas que Nabila est la descendante moderne et dégénérée de Mona Lisa, ni que sa vidéo shampouinée finira un jour au Louvre. Je crois à la supériorité de l’image peinte vers 1503 sur celle filmée en 2013. J’affirme seulement que la présentation côte à côte des deux jeunes femmes raconte leur temps aussi efficacement que le carbone 14. Il aura fallu plusieurs siècles d’exposition à Mona Lisa pour attirer à elle des centaines de milliers de visiteurs, quand il a fallu à peine deux semaines pour que la vidéo de Nabila soit visionnée par plus de 1 million de curieux. Et c’est le scepticisme et la sidération provoqués par l’attitude, l’allure et le phrasé de Nabila qui font d’elle une sorte de Joconde 2.0 de pacotille. La comparaison s’arrête là. Evidemment.

Maintenant, fermez les yeux, pensez à Mona Lisa et mettez dans sa bouche les propos de Nabila. Monabila se met à susurrer :  » Non mais, allô ? Quoi, t’es une fille et t’as pas de shampooing…  »

Et ça fonctionne, curieusement.

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