Urbike : le vélo-cargo pour remplacer la camionnette

Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Dans les métropoles congestionnées comme Bruxelles, Urbike fluidifie les flux de marchandises. Son arme ? Le vélo-cargo comme alternative aux camionnettes. Une révolution du transport qui profite aussi à la santé humaine et à l’environnement.

Pendant deux mois, de la mi-octobre à la mi-décembre 2022, Urbike, coopérative de cyclo-logistique basée à Anderlecht, était quasiment omniprésente sur les réseaux sociaux. En cause, une levée de fonds citoyenne qui visait un investissement de 500 000 euros. La communication a bien fonctionné et la mobilisation a dépassé les attentes. Au final, c’est près de 750 000 euros qui ont été réunis, et plus de 350 nouveaux coopérateurs ont rejoint le projet (ils sont aujourd’hui 712 au total).

(c) Urbike

Depuis 2020 et la vague de Covid qui l’a vu démultiplier ses forces pour livrer des kits de masques, Urbike est en pleine expansion. Et voit loin : la coopérative entend quadrupler son volume d’activités d’ici cinq ans. « En 2021 on a fait 150 000 livraisons sur l’année. On veut en faire 600 000 en 2026, détaille Renaud Sarrazin, cofondateur d’Urbike et responsable de la consultance. En termes de travailleurs, en 2021, on était 40 et en 2026 on veut être 120. Pour financer cette croissance, on avait besoin de faire une levée de capital. On a décidé qu’en 2022 on allait réunir tout l’argent nécessaire pour financer cette vision, sachant que le plan est que fin 2025 on retrouve un seuil de rentabilité à long terme. Notre levée de fonds citoyenne a rencontré un vrai engouement, c’est une incroyable réussite. On touche là un sujet très contemporain, qui génère des tensions mais aussi beaucoup d’attentes, parce que la mobilité, ça nous concerne tous. »

Des palettes à vélo

L’histoire d’Urbike commence par une rencontre : en 2016, Renaud Sarrazin, ingénieur civil attaché au Centre de Recherche Routière (CRR) ayant récemment terminé sa thèse de doctorat à l’ULB sur l’intégration des critères de développement durable dans les projets routiers, participe à un séminaire animé par Philippe Lovens. Ce dernier y présente le concept de CityDepot : plutôt que de laisser d’innombrables camions entrer dans les villes pour y livrer quelques palettes, il s’agit de les réunir dans un grand entrepôt où leurs marchandises seraient déchargées puis rechargées pour une seule tournée optimisée. « J’ai été vraiment retourné, se souvient Renaud Sarrazin. C’était une évidence, c’était ça que je devais faire. Ma contribution devait être là, aux côtés de Philippe, j’avais envie de jouer un rôle hyper concret. » Quelques jours plus tard, le jeune chercheur démissionne du CRR.

(c) Urbike

En 2017, Philippe Lovens et Renaud Sarrazin, rejoints par Delphine Lefebvre, troisième co-fondatrice d’Urbike, accompagnent des villes -Charleroi, Liège, Mons, Marche-en-Famenne et Bastogne- sur des projets de recherche expérimentale en matière de logistique urbaine. Mais il leur manque un élément pour résoudre le casse-tête. « Philippe a toujours eu la volonté de trouver la manière d’intégrer le vélo dans le dernier kilomètre des livraisons, retrace Renaud Sarrazin. Mais le flux n’était pas compatible : livrer des palettes à vélo, ce n’était pas possible, c’était trop lourd. » Car dans la logistique mondiale, tout le monde utilise ce format (800 x 1200 x 144 mm). La palette est incontournable, tous les véhicules respectent ces dimensions pour optimiser le chargement, le déchargement, le stockage, etc. « C’est à ce moment-là qu’on a rencontré Charles Levillain, le fondateur de Fleximodal, une entreprise française qui a été la première à concevoir une remorque compatible avec les europalettes : la bicylift, qui peut transporter jusqu’à 200 kilos et jusqu’à 1,3 mètre cube de marchandises. Grâce à cela, le vélo pouvait s’intégrer dans la chaîne. On pouvait envisager un côté industrialisé, standardisé de la logistique à vélo. »

Déprécariser l’emploi

Avec cette outil qui permet de voir grand, Urbike se lance comme chainon manquant, à Bruxelles. Avec d’abord une phase de développement expérimentale soutenue par la Région de Bruxelles-Capitale, menée en partenariat avec quatre grands clients : bpost, Delhaize, Multipharma et la CSD (Centrale d’Aide et de Soins à Domicile). « Il fallait construire quelque chose de réplicable, d’essaimable, développe le cofondateur. On ne voulait pas juste construire une boîte de livraison à vélo, on voulait contribuer à la transformation de la logistique urbaine, d’abord à Bruxelles, puis partout en Belgique et plus largement encore. » Une transformation qui a un impact sur la mobilité générale – « une étude a montré qu’à Bruxelles, si on réduit le trafic de 15 %, on résout le problème de la congestion »-, mais aussi sur la qualité de l’air et les émissions de gaz à effet de serre et sur les nuisances sonores. Vous avez dit vertueux ?

A côté de cette vision d’innovation logistique, Urbike ambitionne depuis ses débuts de « déprécariser » l’emploi des livreurs à vélo, dont le statut a été mis à mal par  l’économie de plateforme et des opérateurs comme Deliveroo et Uber. « Si vraiment la cyclo-logistique s’impose comme une alternative crédible, profitons-en pour valoriser ce métier, pour le protéger et pour en faire un potentiel d’emploi local de qualité pour les villes de demain, martèle Renaud Sarrazin. Chez Urbike, le projet social est tout aussi important, si ce n’est plus important que le projet logistique. »

Un potentiel gigantesque

Urbike ne fait pas que de la livraison à vélo. La coopérative assure aussi de la vente de matériel, et propose de la consultance et des formations pour accompagner des communes, des entreprises et des indépendants dans leur transition vers le vélo-cargo. Depuis 2020, 150 organisations et 450 individus ont bénéficié de ces services. « Des plombiers, des chauffagistes, des photographes, une coiffeuse, des PME qui font de l’entretien d’ascenseurs, mais aussi des grandes organisation comme Vivaqua ou Proximus, le service Propreté publique de la commune de Jette, le service Culture de la commune d’Ixelles…, énumère Renaud Sarrazin. Les retours sont extrêmement positifs et le potentiel est gigantesque. Aujourd’hui on estime qu’1 livraison sur 3 pourrait être faite à vélo. Et au niveau des activités professionnelles, ça concerne 1 déplacement sur 2. On continue à explorer tous les jours. L’année dernière, nous avons commencé un partenariat avec Facq, pour la livraison de petits colis sur chantier. Ils nous disent que chaque coursier à vélo qui remplace un chauffeur en camion leur fait gagner deux heures par tournée. »

(c) Urbike

Désormais membre actif de la Fédération belge de la cyclologistique (BCLF) aux côtés d’acteurs historiques bruxellois comme Hush Rush, Dioxyde de Gambettes et Molenbike, Urbike doit maintenant « faire ce qu’il a dit », concrétiser son plan stratégique pour atteindre la rentabilité en 2025. « Ca passe par une meilleure structuration au niveau de l’entreprise mais aussi par une valorisation de la cyclo-logistique et de son potentiel. Il faut en faire un sujet grand public, conclut le cofondateur. Le changement est progressif, mais on est convaincus d’y arriver. »

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