Fristouille: l’alimentation durable, sans se prendre la tête

Estelle Spoto Journaliste

Représentant 22 % de notre empreinte carbone, dont plus de la moitié liée à la consommation de produits agro-alimentaires transformés, notre alimentation est le 3e poste le plus émetteur de gaz à effet de serre, derrière les transports et le logement. Pourtant, il est facilement possible d’inverser la tendance, en recomposant notre assiette. C’est ce que veut transmettre le duo de cuistots Fristouille.

Ce dimanche matin-là, au Mundo Namur, un bâtiment situé non loin de la gare de la capitale wallonne et abritant plusieurs organisations actives dans le secteur environnemental et social, Nicolas Bauwens et Renaud Jacqmotte ont sorti leur matériel et enfilé leur tablier. Défi du jour pour le duo de cuistots de Fristouille : transmettre les ficelles de la cuisine durable à une quinzaine d’animateurs de mouvements de jeunesse inscrits dans la démarche Camp Zéro Déchet et leur apprendre comment préparer un buffet qui mise sur les légumes, les céréales et les légumineuses tout en étant fun, facile et délicieux.

Après une grosse heure de travail collectif alliant découpage, mixage et cuisson s’étale sur la table une farandole de plats alléchants : sauce pita au chou-fleur, tartinade poivrons-haricots blancs, dahl de lentilles corail, houmous à la betterave, chili sin carne, gâteau à la courgette et au citron, entre autres. Au final, les assiettes des participants et les plats sont vides, les doigts sont léchés et le verdict est unanime : un régal !

Renaud Jacqmotte (au centre) et Nicolas Bauwens (à droite) lors d'une formation Camp Zéro Déchet

Partout, même dans les chips

Fristouille, c’était au départ fristouille.org : un site internet de recettes durables et de saison, majoritairement végétariennes, lancé en 2013 par un papa développeur web que l’allergie de son premier enfant aux protéines de lait de vache avait sensibilisé aux questions de l’alimentation durable. « Mon fils avait quatre mois, c’était le moment où il passait de l’allaitement au lait en poudre et il avait très mal au ventre, retrace Nicolas Bauwens. On s’est rendu compte qu’il était allergique aux protéines de lait de vache et que celles-ci provoquaient chez lui une invagination intestinale. A partir de là, on a donc dû être très attentifs à ce qu’on lui donnait à manger, vérifier les ingrédients sur les étiquettes, partout, tout le temps. A devenir parano. On s’est rendu compte qu’il y avait des protéines de lait de vache ajoutées partout, même dans le saucisson, même dans les chips. J’ai commencé à lire des bouquins sur le lait, sur l’origine de notre consommation de produits laitiers. »

Du lait, Nicolas Bauwens s’intéresse à la viande. Le documentaire belge LoveMEATender (de Manu Coeman, sorti en 2011) le convainc définitivement de calmer son ardeur pour la bidoche et sa passion pour les barbecue -et la sauce qui va avec, à laquelle il avait consacré un blog. « Je me suis dit que j’allais manger moins de viande, mais je ne savais pas vraiment comment faire. J’ai cherché des cours de cuisine végétarienne et, dans une newsletter du Rabad (Réseau des acteurs bruxellois pour une alimentation durable), j’ai vu une annonce pour une formation sur l’alimentation durable, mêlant théorie et pratique, proposée par Rencontre des Continents, une Organisation d’Éducation Permanente et d’Éducation Relative à l’Environnement . Et je me suis inscrit à ce cours de cuisine écologique et politique. »

Les sept critères

Au sein de Rencontre des Continents, Nicolas Bauwens découvre notamment ce qu’est une céréale, ce qu’est une légumineuse et les sept critères de l’alimentation durable -brut et naturel (peu ou pas transformé) ; bio (cultivé sans produits chimiques) ; frais et de saison (naturellement mûr là où il pousse) ; local (produit le plus proche de chez nous) ; paysan (cultivé en respectant la vie du sol et les richesses de la nature) ; éthique (produit dans des conditions respectueuses des hommes et des animaux) ; sobre (qui assure un partage équitable des ressources pour les humains et la nature)-, et y rencontre aussi Renaud Jacqmotte, ingénieur industriel fondu de cuisine, parti dans l’Horeca et désireux de se former à la cuisine durable.

Devenus tous les deux bénévoles au sein de Rencontre des Continents, Nicolas et Renaud commencent à assurer des formations en duo, d’abord pour Rencontre des Continents, puis également en dehors. « Chez Rencontre des Continents, leur truc, c’est de partager. Ils encouragent les bénévoles à lancer leur propre projet, souligne Nicolas. Leurs outils sont crédités en Creative Commons et du moment qu’on les utilise en les créditant, ils sont contents. Ce qui est important, c’est le message, c’est la mission. Eux-mêmes ne veulent pas aller partout. Par exemple, La Turbean, la cantine durable de l’ULB, a été lancée par des gens qui sont passés par Rencontre des Continents et eux visent le public des étudiants. »

Fristouille à l'Oxfam Cooking Fair (c) Julien Pohl

Le public cible de Fristouille, c’est plutôt les associations, les entreprises et les services publics. Comme par exemple Zero Waste Belgium, depuis 2018 dans le cadre de ces formations Camp Zéro Déchet, ou Bruxelles Environnement, pour qui Fristouille a réalisé des animations dans les écoles et publié des fiches de « recettes de base » à décliner à volonté (« croquettes de légumineuses », « crumble », « sauces émulsionnées »… ). « Tout récemment, on a donné des animations sur les légumineuses en sauce à la Tricoterie, pour la Cooking Fair d’Oxfam, qui célébrait les 30 ans des Jeunes Magasins Oxfam. »

L’assiette écologique

Sur le terrain, les deux papas, geeks et fans de Star Wars, ont vite compris qu’ils étaient complémentaires. « Renaud est plus dans des réflexions méta, axé sur la spiritualité, le développement personnel, il se pose beaucoup de questions, avance Nicolas. Moi je suis plus dans le pragmatisme, mais parfois je manque un peu de recul. Du coup ça marche bien : Renaud m’aide à réfléchir et moi je l’aide à s’activer. On se comprend très vite, on veut aller au même endroit. »

Autre outil de Rencontre des Continents utilisé abondamment par Fristouille : l’assiette écologique. « Les sept principes concernent plutôt la manière dont on fait ses achats, alors que l’assiette écologique invite à cuisiner autrement, à changer la composition de son assiette, précise Nicolas. Au lieu des trois petits tas auxquels on est habitués -typiquement : les patates, le bout de steak et une feuille de salade-, on va partir des légumineuses et des céréales. Avec beaucoup de légumes, des épices, des huiles, un peu de fromage, peut-être un peu de viande mais la viande et le fromage ne sont plus au centre du plat, ça devient plutôt comme un condiment. »

A Namur, les animateurs des mouvements de jeunesse semblent avoir apprécié leur buffet végétarien. « Au niveau du bilan carbone, le plus important, c’est de diminuer la viande, souligne encore Nicolas. Dans le cadre des mouvements de jeunesse, ça permet aussi de diminuer le budget du camp. Et puis, quand on a un camp en prairie, on n’a parfois pas de frigo pour conserver la viande. Pour les légumineuses et les céréales, on n’en a pas besoin. Mais il faut faire gouter, parce que beaucoup d’animateurs n’ont jamais mangé comme ça. On leur fait découvrir une autre manière de cuisiner, qui demande de changer d’approche, ce n’est pas instinctif.  Mais avec Fristouille, on veut que ce soit simple et on veut que ce soit sympa. Notre credo: la cuisine durable en toute simplicité. On veut montrer qu’il y a moyen de manger bon pour soi, bon pour son portefeuille et bon pour la planète, sans trop se prendre la tête. »

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