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Approvisionner les cantines en circuit court: « Pas le circuit de distribution le plus simple, mais celui qui a le plus de sens »

Estelle Spoto
Estelle Spoto Journaliste

Favoriser les aliments issus du circuit court et bio dans les cantines: ce levier est activé dans plusieurs villes wallonnes pour stimuler l’alimentation durable. La santé des enfants et l’environnement en sortent gagnants.

«Notre objectif chez ISoSL est que, fin 2024, l’ensemble de l’approvisionnement pour les repas à destination des cantines des écoles et des crèches soit 100% durable, produit le plus possible en circuit court, mais aussi avec un mode de commercialisation où le prix payé au fournisseur est juste, équitable», décrit Davide Arcadipane, chargé de mission alimentation durable dans cette intercommunale liégeoise qui gère des hôpitaux et des maisons de repos, mais dont dépend aussi une cuisine qui produit 12 000 repas par jour, dont 3 000 pour 140 écoles fondamentales et une cinquantaine de crèches de la Cité ardente.

La nouvelle politique alimentaire durable d’ISoSL est l’aboutissement d’une mobilisation citoyenne remontant à 2018. En mars de cette année-là, réunissant associations, coopératives et collectifs citoyens, le festival Nourrir Liège a sensibilisé le grand public aux risques liés à la présence de perturbateurs endocriniens dans l’alimentation des enfants, causée par l’utilisation de pesticides, mais aussi à la nécessité environnementale de favoriser les circuits courts. L’objectif était également de contrer l’effet boomerang de certains pesticides interdits en Europe, qui arrivent dans nos assiettes par l’intermédiaire des aliments importés. Des parents ont alors adressé une pétition aux mandataires liégeois pour un changement de paradigme dans les assiettes des cantines et, le 16 mai 2018, le conseil communal votait une motion pour «limiter la distance parcourue par les aliments achetés» (productrice de CO2) et «bannir les perturbateurs endocriniens de l’alimentation» dans les cuisines fournissant les écoles et les crèches de la Ville. Circuits courts et produits bio: tels seraient désormais les maîtres mots. Plus globalement, c’est toute la Wallonie qui s’y est mise, en lançant le «Green deal cantines durables», en 2019.

En Wallonie, seulement 18% des fruits et légumes consommés sont produits localement.

Dans l’autre sens

Mais changer l’approvisionnement d’une cuisine collective ne se fait pas d’un coup de cuillère à pot. «Les flux alimentaires d’ISoSL sont liés à des marchés publics spécifiques: un marché pour la viande, un pour le pain, un pour les fruits, etc.», souligne Davide Arcadipane, par ailleurs agriculteur dans la filière bovine et les arbres fruitiers haute tige (variétés anciennes et locales) dans le pays de Herve et référent alimentation durable au sein du cabinet de l’échevine liégeoise Maggy Yerna (PS), en charge du développement économique et territorial de la Ville de Liège. «Ces marchés, on ne peut pas les changer du jour au lendemain. Mais dès que l’un se termine, nous le modifions pour le rendre durable. Il faut savoir que dans les cuisines de collectivité, c’est souvent la demande qui génère l’offre: il faut des produits d’une telle taille, d’une telle épaisseur et l’industrie agroalimentaire offre une solution. Ici, il faut procéder dans l’autre sens: prospecter sur le territoire wallon, rencontrer les acteurs des filières alimentaires durables, voir ce qu’ils proposent, évaluer leurs capacités de production, administratives et logistiques. Ensuite, nous modifions l’ensemble de nos cahiers des charges, en augmentant le niveau d’exigence sur des critères socioéconomiques mais aussi environnementaux. Le prix n’est plus le critère majoritaire. Avant, sur 100 points, si le prix comptait pour 70 ou 80 points, maintenant ce n’est plus que 50 à 55.»

L’objectif de la Coop alimentaire tournaisienne: fournir cinq cents kilos de fruits et légumes aux cantines locales.
L’objectif de la Coop alimentaire tournaisienne: fournir les cantines locales en circuit court. © dr

Approvisionner ensemble

Si les cantines doivent revoir leur politique de marchés publics, du côté des producteurs aussi, une adaptation est nécessaire. «Les cantines sont des marchés que quasiment aucun de nos agriculteurs ne pouvait décrocher individuellement. Il est très difficile d’atteindre les volumes souhaités quand on est tout seul. Il faut donc regrouper notre offre et même l’augmenter, analyse Sophie Cailliau, maraîchère bio à la Ferme des coquelicots, près de Tournai, et présidente de la Coop alimentaire tournaisienne qui a été fondée le 22 août dernier. Sur le principe de l’union fait la force, l’objectif des 17 agriculteurs de la coopérative, tous certifiés bio ou en conversion, est d’approvisionner ensemble les cuisines des cantines en fruits et légumes.

«Pour l’instant, précise Sophie Cailliau, nous fournissons plus ou moins quatre-vingts kilos par jour dans sept cantines: des cantines scolaires, celle d’une maison de repos et celle d’une institution pour personnes handicapées.» La Coop alimentaire de Tournai – à ce jour 155 coopérateurs pour un capital de 36 000 euros – souhaite franchir les deux cents kilos par jour au bout de la première année d’activité, pour espérer atteindre, à terme, le seuil de rentabilité de cinq cents kilos par jour. «Quand on sait qu’en Wallonie seulement 18% des fruits et légumes consommés sont produits localement, il y a vraiment une grosse marge de progression si on veut être autonome en alimentation sur notre territoire. Fournir les cuisines des collectivités n’est pas le circuit de distribution le plus simple, mais c’est celui a le plus de sens quand on veut rendre cette alimentation durable accessible au plus grand nombre.»

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