Crimée, Russie. Les pêcheurs de l'usine de transformation du poisson capturent des mulets au cap Tarkhankut (Bolchoï Atlesh) dans la mer Noire. (Getty Images)

Des cannes à la place des filets, Philippe Mahieu a choisi une pêche moins destructrice

Laetitia Theunis Journaliste

Marin pêcheur en mer du Nord dès l’adolescence, Philippe Mahieu a troqué ses filets contre des cannes pour une pêche bien moins destructrice. Et ça mord.

C’est à l’âge de 13 ans qu’il a commencé sa carrière en mer. « J’ai débuté sur un petit chalutier, pour la crevette et la petite pêche côtière. A 17 ans, je me suis engagé sur de plus gros bateaux. On partait pendant trois à six semaines dans les eaux danoises, entre l’Islande et l’Ecosse. Mais je n’aimais pas ce procédé. C’était davantage de la destruction. Comme mon grand-père pêchait à la ligne, j’ai fini par essayer sa technique et choisi d’en faire mon boulot « , explique Philippe Mahieu. Aujourd’hui âgé de 59 ans, il ne lâcherait sa canne à pêche pour rien au monde. Parce que, contrairement à celle de ses anciens collègues, sa technique de prélèvement n’abîme pas les fonds marins et ne tue pas de poissons inutilement.

Obtenir le statut officiel de pêcheur à la ligne n’a pourtant pas été une sinécure. Comme il était absent de la législation belge, Philippe a dû se tourner vers les Pays-Bas. « Après presque un an d’intenses démarches, j’ai enfin pu avoir un petit bateau avec un numéro professionnel comme « ligneur » Ça a toujours été mon boulot principal. » Problème : il bat pavillon hollandais, il ne peut donc pas pêcher dans la zone des six milles marins (11 kilomètres) depuis le rivage belge. Seulement au-delà. « C’est la même chose pour les eaux baignant la France ou l’Angleterre. Je ne peux travailler à l’intérieur des six milles qu’aux Pays-Bas. »

Qu’importe. En hiver, il n’est pas rare que Philippe aille pêcher à plus de quarante milles (72 kilomètres) des côtes. « En cette saison, il n’y a pas de poissons plus près. Et puis, je ne veux pas être dérangé. L’absence de bruit, c’est primordial pour que le bar morde. J’ai un bateau rapide, le trajet dure environ deux heures. » A l’aller et au retour, dans la nuit noire, pour rentabiliser les journées. « On ne pêche que quand il y a de la clarté. Impossible de prendre les poissons quand il fait noir. En hiver, les journées de pêche durent six à huit heures ; en été, dix-huit à vingt heures. Mais ce n’est pas parce qu’il y a plus de clarté en été que les poissons mordent mieux, bien au contraire… »

En mer, alors que je suis sur mon petit bateau avec ma canne à pêche, je vois parfois des tapis de poissons morts.

Des poissons en déclin

Dès 1990, Philippe Mahieu a observé une forte diminution du nombre de poissons en mer du Nord. Certaines espèces, comme la morue, ont même quasiment disparu. « Je me souviens que des années 1970 à fin des années 1980, alors que je pêchais à la ligne, je n’avais plus de place sur le bateau dès 9 h du matin. Je devais alors vider et classer pour gagner un peu d’espace. C’était dingue, il avait moyen de bien gagner sa vie. »

A en croire ce loup de mer, « une des plus grandes raisons du déclin des stocks de poissons est due à la modernisation des appareils. Notamment les GPS qui indiquent les bons emplacements avec une extrême précision, ou les radars qui donnent de meilleures images des fonds marins. Dans le temps, on travaillait avec un compas, un petit échosondeur sans image et un radar qui ne fonctionnait que la moitié du temps. Une autre raison est l’amélioration des équipements de pêche qui ne laissent plus la moindre chance aux poissons de s’échapper. »

Alors que la pêche électrique (technique qui consiste à envoyer, depuis un chalutier, des impulsions électriques dans le sédiment marin pour y capturer les poissons plats qui y vivent) a été définitivement bannie des eaux européennes le 1er juillet 2021, une autre pratique destructrice tend à prendre de l’ampleur. Il s’agit des sennes danoises, des filets posés sur le fond marin et déployés en rond ou en carré. « Ces filets sont très nuisibles car, quand on les referme pour les ramener à bord du navire-usine, tous les poissons de fond, d’entre deux eaux et de surface se retrouvent piégés. Or, les pêcheurs ne récupèrent que ce qui les intéresse. Le reste est balancé par-dessus bord. En mer, alors que je suis sur mon petit bateau avec ma canne à pêche, je vois parfois des tapis de poissons morts longs de quatre à sept kilomètres sur un kilomètre de large ! Cette technique existe depuis des décennies, mais n’a jamais été autant exploitée que de nos jours. »

Philippe Mahieu est l'un des rares Belges à détenir le statut officiel de pêcheur à la ligne en mer... obtenu aux Pays-Bas, car il n'existe pas en Belgique. (DR)
Philippe Mahieu est l’un des rares Belges à détenir le statut officiel de pêcheur à la ligne en mer… obtenu aux Pays-Bas, car il n’existe pas en Belgique. (DR)

Dans le temps, évoque-t-il encore, « on savait à l’avance ce qu’on allait prendre, ce n’est plus le cas. Il y a beaucoup moins de poissons. Avant, 90 % de mes journées en mer étaient réussies, aujourd’hui, ce n’est plus que 60 à 80 %. » L’effet se fait d’autant plus cruellement sentir que le nombre de jours de pêche possible a diminué de moitié.

Une mer souvent démontée

A bord de son bateau de dix mètres, il y a plusieurs cannes prêtes à l’emploi. « Mais au moment de la pêche, je n’en ai qu’une seule en main… Parfois, je suis seul mais souvent, on est deux. Je ne suis plus aussi téméraire. Je regarde désormais deux fois la météo avant de partir. » Les conditions climatiques ont beaucoup changé en mer du Nord ces dernières décennies.  » La météo est devenue de moins en moins clémente. Dès cinq Beaufort (29 à 38 km/h), elle est trop mauvaise pour pêcher à la ligne. Quand il y a trop de vent contre une direction de courant, impossible de s’ancrer convenablement. Ces journées-là, on reste à quai. Alors que dans les années 1980, on sortait jusqu’à trois cents fois par an, désormais, c’est à peine cent cinquante fois. Ces dernières années, on ne parvient plus à pêcher notre quota de 5,7 tonnes de bar par an. Pour en vivre, c’est compliqué. « 

La pandémie n’a rien arrangé. « Avec la Covid, on a perdu 37 000 euros de chiffre d’affaires. On est parvenu à payer les frais, mais il ne reste pas beaucoup d’argent. » En cause ? Le prix du poisson qui a dégringolé. Car si Philippe a pu pêcher durant le confinement, ses poissons se sont vendus en moyenne de 40 à 45 % moins cher. Un des nombreux dégâts collatéraux de la fermeture forcée des restaurants. Le bar que pêche Philippe est un poisson de luxe. Il est doté d’une étiquette mentionnant « poisson de ligne ».  » Comme nous ne les superposons pas, nos poissons paraissent sortir de l’eau lors de la vente. D’habitude, ils sont achetés par des revendeurs pour de grands restaurants. Mais pendant la pandémie, seuls ceux qui proposaient un service traiteur étaient encore preneurs. »

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