Les rencontres entre Manfred Weber et Giorgia Meloni pourraient déboucher sur une alliance entre les conservateurs du PPE et les souverainistes du CRE. © Italian Government, Presidency of the Council of Ministers

Union européenne: une coalition droite-extrême droite après les élections de 2024?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Une « union des droites » gouverne l’Italie, la Suède, la Finlande et peut-être bientôt l’Espagne. Un modèle duplicable en juin 2024 au niveau du Parlement européen ? Le rapprochement entre les conservateurs du PPE et Giorgia Meloni pourrait bien briser un tabou.

Quel accord de coalition après les élections européennes de juin 2024? A moins d’un an du scrutin, la dynamique favorable aux forces d’extrême droite et le flirt, dans plusieurs pays de l’Union, entre la droite classique proeuropéenne et ces partis nationalistes et antimigrants laisse entrevoir une recomposition inédite du Parlement européen.

Première force politique de l’hémicycle, le Parti populaire européen (PPE) connaît une lente érosion électorale depuis près de vingt ans (288 sièges en 2004, 265 en 2009, 216 en 2014, 182 en 2019), sur fond de tensions internes et de montée des populismes. Depuis que le Fidesz, le parti du Premier ministre hongrois Viktor Orban, a quitté le PPE (en mars 2021), la grande famille des conservateurs et démocrates-chrétiens ne compte plus que 175 eurodéputés sur 705. Selon les dernières projections d’Europe Elects, site qui compile les sondages au sein de l’Union européenne, le groupe de centre-droit obtiendrait 161 sièges aux élections du printemps 2024 (voir graphique), soit un recul de 21 sièges par rapport à 2019.

© National

Une coalition affaiblie

Cette année-là, un accord de coalition a été conclu entre les trois groupes politiques les plus importants de l’assemblée – le PPE, les Socialistes et démocrates (S&D) et les centristes de Renew – qui se sont partagés les postes clés des institutions communes. Cette «majorité» devrait sortir affaiblie des européennes, les groupes qui en font partie perdant tous des plumes dans les sondages (voir graphique). La majorité pourrait s’élargir aux Verts, proches de cette coalition proeuropéenne, mais plusieurs signaux hypothèquent ce scénario.

Depuis des mois, le patron du PPE, Manfred Weber, tend la main à la droite nationaliste. Le Bavarois a durci son discours sur la question migratoire et son groupe n’hésite pas à former des majorités de circonstance avec les forces climatosceptiques. Le PPE est ainsi passé à l’offensive contre le volet nature du Pacte vert européen, au risque de porter un coup sévère à l’ambition climatique de l’Union, colonne vertébrale de la législature 2019-2024. Le groupe PPE s’est opposé au projet de loi imposant la restauration d’au moins 20% des écosystèmes abîmés par la pollution ou l’exploitation intensive. Les Etats membres ont toutefois accordé leur soutien à la directive européenne, un revers cinglant pour Weber.

Flirt Weber-Meloni

Dans le même temps, le président du groupe PPE fait les yeux doux aux Conservateurs et réformistes européens (CRE), groupe de l’ultradroite qui pourrait rafler vingt sièges de plus en 2024 et devenir la troisième force du Parlement, à la place de Renew. Sont affiliés à ce groupe les postfascistes de Fratelli d’Italia, au pouvoir à Rome, le parti Droit et justice (PiS), qui gouverne en Pologne, le parti d’extrême droite espagnol Vox, ou encore la N-VA. Selon Iratxe García Pérez, présidente du groupe des S&D, le PPE a «franchi la ligne rouge» en tentant de s’unir à l’extrême droite. Il est peu probable, estime la dirigeante socialiste, que la grande coalition entre la gauche et la droite classique – les deux groupes qui se partagent le pouvoir à l’échelle de l’Union depuis plus de quarante ans – puisse se poursuivre après les élections.

Une certitude: la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, présidente de Fratelli d’Italia, répond positivement aux appels du pied de Manfred Weber. La jeune femme, qui dirige l’Italie depuis octobre avec la Lega de Matteo Salvini (extrême droite) et Forza Italia (droite), rêve de devenir la cheffe de file des conservateurs européens si l’union des droites se concrétise à l’échelle du continent. Comme d’autres leaders d’extrême droite soucieux de «dédiaboliser» leur parti et de normaliser leurs relations avec la droite, elle a mis une sourdine à ses critiques envers l’Union.

«Melonisation» de l’Espagne

© REUTERS

Les ténors du camp «patriotique», de Giorgia Meloni à Viktor Orban en passant par Marine Le Pen, ont félicité le parti d’extrême droite Vox pour son brillant résultat aux élections régionales et municipales espagnoles. Vox s’est installé, en coalition avec le Partido popular (droite), à la tête de plusieurs villes d’importance et régions. La déroute de la gauche a conduit à la convocation d’élections législatives anticipées le 23 juillet. Les partis nationalistes misent sur la «melonisation» de l’Espagne pour faire avancer leur projet d’union européenne des droites.

Car l’Italie n’est pas un cas isolé: à Stockholm, le parti d’extrême droite Démocrates de Suède (SD), deuxième force politique du pays depuis les élections de septembre 2022, appuie la coalition de droite au pouvoir, en échange de la mise en œuvre de certaines politiques, notamment en matière d’immigration. En Finlande, la Coalition nationale de centre- droit a constitué, le 15 juin, un gouvernement avec le Parti des Finlandais, formation d’extrême droite arrivée deuxième aux législatives du 2 avril, avec un score record de 20% des voix.

Le projet d’alliance européenne droite-extrême droite bute sur plusieurs gros obstacles.

Alliance droite-extrême droite: des obstacles de taille

Le projet d’alliance européenne droite-extrême droite bute néanmoins sur de gros obstacles. Matteo Salvini et Marine Le Pen, dont les partis sont affiliés au groupe européen d’extrême droite Identité et démocratie (ID), ont, comme Viktor Orban, une connivence marquée avec le régime de Vladimir Poutine. Ce n’est pas le cas du PiS polonais, qui affiche, à l’instar des «melonistes», un soutien indéfectible à l’Ukraine, dans une ligne atlantiste PPE-compatible. Toutefois, le PiS bafoue l’Etat de droit en Pologne et est donc jugé infréquentable par les députés proeuropéens. D’autant que le PPE compte en son sein le principal parti polonais d’opposition, la Plateforme civique (PO) de l’ancien président du Conseil Donald Tusk, formation de centre-droit hostile au PiS.

Manfred Weber pourrait dès lors se contenter d’un pacte de non-agression avec les CRE et d’une stratégie commune en vue d’écarter les socialistes de la majorité parlementaire. Objectif: assurer la mainmise du PPE sur les principaux postes de l’Union.

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