La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

Plainte pénale contre Ursula von der Leyen : peu pressé, le Parquet européen ?

David Leloup
David Leloup Journaliste

Deux mois après son dépôt entre les mains d’un juge d’instruction à Liège, la plainte pénale d’un citoyen belge contre la présidente de la Commission européenne n’est toujours pas instruite. Cette plainte, qui concerne l’affaire des SMS échangés avec Pfizer, est en cours d’analyse par le Parquet européen.

Cela fait à présent deux mois que le lobbyiste belge Frédéric Baldan a déposé une plainte pénale avec constitution de partie civile contre la présidente de la Commission européenne, l’Allemande Ursula von der Leyen. Une plainte pour « usurpation de fonctions et de titre », « destruction de documents publics », « prise illégale d’intérêts et corruption », déposée à Liège le 5 avril dernier entre les mains du juge d’instruction Frédéric Frenay, spécialisé dans les affaires financières.

Le lobbyiste accrédité auprès des institutions européennes, actif dans les relations commerciales entre l’Union européenne et la Chine, reproche à la présidente de la Commission de s’être substituée au gouvernement fédéral durant la pandémie de Covid-19 en négociant un méga-contrat de vaccins par SMS avec le CEO de Pfizer, Albert Bourla. Un contrat pouvant coûter jusqu’à 35 milliards d’euros au contribuable européen. C’est de très loin le plus gros des onze contrats signés par la Commission, entre août 2020 et novembre 2021, avec huit fabricants de vaccins pour un total avoisinant 71 milliards d’euros.

Aucune enquête ouverte

Frédéric Baldan reproche également à Ursula von der Leyen d’avoir supprimé les SMS qu’elle a échangés avec Albert Bourla. Or ces textos constituent des documents administratifs à part entière, donc consultables par n’importe quel citoyen européen qui en fait la demande. L’article 42 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE accorde en effet un droit d’accès aux documents de l’UE « quel que soit leur support ». Ce qui inclut clairement les textos et autres messages de type WhatsApp.

Deux mois après le dépôt de cette plainte pénale, le juge d’instruction qui l’a enregistrée n’a toujours pas effectué le moindre devoir d’enquête. Il a en effet transmis la plainte au parquet de Liège afin que celui-ci « trace ses réquisitions », c’est-à-dire qu’il se positionne par rapport à sa compétence territoriale puis, s’il s’estime compétent, par rapport aux potentielles infractions pénales dénoncées dans la plainte.

Le Parquet européen traîne la patte

Mais il y a un mais. Depuis la création du Parquet européen en 2017 et son démarrage effectif en 2020, une circulaire impose aux parquets nationaux de notifier au Parquet européen les dossiers pour lesquels ils pensent que celui-ci pourrait être compétent. Dès lors, le Parquet européen a été avisé de l’existence de cette plainte dès la mi-avril par la justice liégeoise. Mais il traîne la patte et le parquet de Liège attend toujours qu’il se positionne.

Plusieurs scénarios sont donc possibles. Soit le Parquet européen se saisit de la plainte et la joint à l’enquête qu’il a ouverte sur le processus d’acquisition des vaccins anti-Covid-19 dans l’Union européenne. Dans ce cas, le ministère public européen désignerait un juge d’instruction belge, probablement le juge financier bruxellois Michel Claise qui instruit généralement les dossiers « belges » diligentés par le Parquet européen.

Soit le Parquet européen ne se saisit pas de la plainte de Frédéric Baldan. Dans ce cas, le dossier reste à Liège. Et là, de deux choses l’une. Soit le juge Frenay, qui a enregistré la plainte, l’instruit lui-même. Soit le parquet de Liège estime qu’il n’est pas compétent territorialement – le plaignant habite en province de Liège, certes, mais les institutions européennes se trouvent à Bruxelles et les faits potentiellement délictueux s’y sont produits. Dans ce cas de figure, le ministère public liégeois demanderait à la chambre du conseil de dessaisir le juge Frenay au profit de la justice bruxelloise.

Diplomatie personnelle

Pour rappel, cette affaire surnommée « Deletegate » ou « SMS Gate » par les médias a démarré fin avril 2021 avec un article du New York Times. Celui-ci révélait comment la présidente de la Commission avait scellé un deal sur les vaccins anti-Covid-19 avec Pfizer. Le CEO du géant pharmaceutique racontait notamment qu’il avait créé un vrai lien personnel avec la présidente von der Leyen. L’article expliquait qu’elle avait « échangé des textos et des appels » avec M. Bourla pendant un mois avant la signature du deal. Et que cette « diplomatie personnelle a joué un rôle important » dans l’accord portant sur l’achat de 1,8 milliard de doses de vaccins.

Quelques semaines après l’article du New York Times, le journaliste Alexander Fanta du site d’information netzpolitik.org avait demandé l’accès à ces messages échangés entre von der Leyen et Bourla. La Commission lui avait alors répondu qu’elle ne les avait pas « identifiés » et qu’elle n’en disposait pas. Fanta s’était alors plaint auprès de la médiatrice européenne Emily O’Reilly qui, en janvier 2022, a sommé l’exécutif européen d’« effectuer une recherche plus approfondie des messages pertinents ».

Une Commission « pas franche »

Réponse, fin juin, de la commissaire à la Transparence Věra Jourová : la recherche de ces SMS « n’a donné aucun résultat ». Ce à quoi la médiatrice rétorquera, deux semaines plus tard, que le traitement de cette demande d’accès à des documents « laisse la regrettable impression d’une institution européenne qui n’est pas franche sur des questions d’intérêt public majeures ».

En janvier 2023, le New York Times a porté l’affaire devant la Cour européenne de justice à Luxembourg. Mais avec la plainte de Frédéric Baldan, le Deletegate a pris pour la première fois une tournure pénale dans un des 27 Etats-membres. Et c’est la présidente de la Commission qui est cette fois personnellement ciblée pour des agissements réprimés par le code pénal belge. Contacté ce mardi par écrit via son site internet, le Parquet européen n’avait pas réagi au moment de la publication de cet article.

« Pas de deadline »

C’est sans doute une maladie de jeunesse. Le tout récent Parquet européen (EPPO), en place depuis septembre 2020 au Luxembourg, ne dispose pas de règles limitant dans le temps son examen d’une plainte qui pourrait le concerner déposée dans un Etat-membre. Pour rappel, les parquets nationaux des 22 Etat-membres qui font partie du Parquet européen sont obligés de transmettre à ce dernier les dossiers nationaux pour lesquels ils pensent qu’il pourrait être compétent.

Et c’est ce qui s’est passé mi-avril : le parquet de Liège a transmis au Parquet européen la plainte pénale avec constitution de partie civile déposée le 5 avril par le lobbyiste européen Frédéric Baldan contre la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen (lire ci-dessus).

Cette plainte de douze pages que Le Vif avait rendue publique le 13 avril dernier, un lecteur moyen peut la lire en 30 minutes. Or le Parquet européen ne semble pas pressé de se positionner puisqu’il en dispose depuis près de deux mois. L’enjeu est pourtant de taille : tant qu’il ne prend pas position, aucune enquête judiciaire ne peut démarrer. Ce que nous confirme Tine Hollevoet, responsable de la communication du Parquet européen : « Il est de notoriété publique que l’EPPO enquête actuellement sur l’acquisition des vaccins Covid-19 dans l’UE. À cet égard, nous avons également été informés de la plainte civile (NDLR : il s’agit en réalité d’une plainte pénale avec constitution de partie civile) qui nous a été transmise par le parquet de Liège et qui est en cours de traitement. Il n’y a pas de deadline pour cela. »

D.Lp

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