Mélanie Geelkens

« Une sacrée paire de couturières »

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Sa journée commence à 7 heures, pile. Une pause l’après-midi, et puis c’est reparti jusqu’à 22 heures. « Je n’ai pas pris un seul jour de congé », qu’elle dit (1). Depuis le 15 mars. Christine en a cousu plus de mille, des masques.

Tellement qu’elle a dû commencer à couper dans ses nappes et ses rideaux. Personne ne le lui avait vraiment demandé, elle avait juste envie d’aider.  » A sa petite échelle.  » Personne ne l’a payée, d’ailleurs. Juste un pot de miel ou de pesto, une bouteille de vin déposés devant sa porte.

Mais pourquoi, Christine, pourquoi ? C’est très bien, hein ! Mais c’est juste étonnant, que ce ne soient pas Christian. Ou Jean, ou Clément, qui veuillent ainsi  » donner du sens  » à leur confinement. Si, pour lutter contre le coronavirus, il avait fallu, disons, ériger des murs, Nathan, Alban ou Fernand auraient-il passé leurs journées à empiler les briques, gratuitement ?

 » C pour L « , la couture. C’est écrit sur cette boîte d’épingles de sûreté (coucou, marketing genré). C bizarre, tout de même.  » Quand on commence et qu’on est un bonhomme, c’est déstabilisant. Frustrant, même ! J’ai bien compris que ce n’était pas quelque chose de « naturel », pour un gars, d’assembler des tissus « , raconte Julien, spécialiste de la salopette, sur son blog.

Naturel ! Genre elles naissent avec un Découvit entre les doigts, les filles. Elles manient le point zig-zag avant même de savoir marcher, et plient un ourlet avant d’apprendre à parler, c’est inné. C’est pourtant un bonhomme – Barthélémy Thimonnier, en 1830 – qui conçut le métier à coudre. Puis deux autres – Walter Hunt et Isaac Merrit-Singer, lors des deux décennies suivantes – qui inventèrent la machine. A croire qu’elles n’avaient pas de cerveau, les utilisatrices. Juste des  » petites mains « .

Elles naissent avec un Découvit entre les doigts, les filles. Elles manient le point zig-zag avant même de savoir marcher, et plient un ourlet avant d’apprendre à parler, c’est inné.

La haute couture, idem : une mâle oeuvre, celle de Charles Frederick Worth, vers 1850. Quasi deux siècles plus tard, 60 % des collections de prêt-à-porter féminines sont dessinées par des mains masculines. Des couturiers. Titre prestigieux, noble, renommé. Une couturière, par contre, c’est une mémère. Pareil pour un cuisinier, aussi surnommé chef ou maître-queux. Une cuisinière, c’est une ménagère. Ou une gazinière. Femme synonyme d’objet. Les subtilités de la belle langue française.

Le mot  » tailleur « , d’ailleurs, n’a pas de féminin. Historiquement, au xviie siècle, l’habillement relevait de sa seule habilitation. Il employait des ouvrières, mais elles ne pouvaient vendre elles-mêmes. Jusqu’à ce que Louis XIV, convaincu que ce travail était pour elles  » le seul moyen de gagner honnêtement leur vie « , les autorise à se constituer en communauté et écouler ce qu’elles avaient confectionné. Mais bon, de nos jours, les femmes peuvent exercer tous les métiers. Même Première ministre, faut pas demander ! Difficile de comprendre pourquoi l’aiguille reste leur prérogative. Pourquoi elles (majoritairement elles) faisaient la file, au matin du 4 mai, pour dénicher en mercerie de l’élastique, cet or pandémique. Pourquoi chez EcoRes, ligne de production solidaire de masques, à Bruxelles, à peine 5,6 % des 1 500 bénévoles sont des hommes. Et que les couturières, dans ce projet, sont les seules à ne pas être rémunérées.

Elles ont l’habitude, après tout, les gonzesses. L’écart salarial, le travail ménager non rétribué et sous-estimé, tout ça… Prendre soin, c’est leur rayon. Alors, coudre mille masques à l’oeil, ça fait partie de leurs attributions, non ?

Non. Mais bon. S’il fallait attendre Raymond, Gaston et Simon…

@unesacreepaire

(1) L’Avenir, 28 avril dernier.

Réalités virtuelles

© TWITTER

#Jesuisaupoil : tel est le nouveau hashtag à la mode, sur les réseaux sociaux. Invitant les femmes à poster des photos de leur pilosité. Sur les jambes, les aisselles, les doigts de pied…  » Pas dans le but de convaincre que les poils féminins sont beaux, précise le compte Instagram Pépite sexiste, mais qu’ils sont normaux (grosse nuance).  » Pourtant, sur le Web, les publicités pour des articles d’épilation n’ont jamais été aussi nombreuses que depuis le début du confinement.

63,5 %

des cas confirmés de coronavirus, en Belgique, étaient des femmes, selon les statistiques compilées par Sciensano (chiffres du 8 mai). La mortalité, par contre, ne présente pas de différences de genre (36,1 % de victimes masculines, 35,2 % de féminines, le sexe n’était pas précisé dans 28,7 % des cas).

Davantage infectées… ou testées ?

Certaines analyses ont émis l’hypothèse que les femmes seraient davantage atteintes par le Covid- 19, mais qu’elles en décéderaient moins que les hommes. Toutefois, les chiffres belges pourraient aussi s’expliquer par d’autres facteurs. Entre 0 et 19 ans, la répartition de la maladie est assez semblable. Entre 20 et 59 ans, en revanche, les cas confirmés féminins sont bien plus nombreux, ce qui pourrait se justifier par la prévalence des femmes dans les métiers du soin, plus exposés (et testés). Entre 60 et 79 ans, les hommes reprennent le dessus des contaminations. Par contre, au-delà de 80 ans, le nombre de cas féminins explose : ils représentent à eux seuls 22 % des infections confirmées. Sans doute parce que les maisons de repos ont été testées et que des résidentes y vivent principalement, espérance de vie plus longue oblige.

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