Valeri Zaloujny tient une conférence de presse à Kiev, le 26 décembre 2023. Un exercice médiatique inédit pour le commandement en chef de l'armée ukrainienne.

Zelensky vs. Zaloujny: le président ukrainien en plein passage à vide (analyse)

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

La rivalité entre Volodymyr Zelensky et le commandant en chef de l’armée ukrainienne Valeri Zaloujny devient de plus en plus latente. Cette apparente désorganisation au sommet de l’Etat est loin de servir les intérêts de Kiev à l’international.

Le « général de fer ». Derrière ce sobriquet thatchérien se cache un responsable militaire à la popularité grandissante. Apprécié pour son empathie, respecté pour son pragmatisme, Valeri Zaloujny dirige l’armée ukrainienne d’une main de maître depuis le début de l’invasion russe.

Oeuvrant jusqu’ici dans l’ombre, conformément au devoir de réserve qui incombe aux forces militaires, le commandant en chef gagne progressivement en notoriété sur la scène médiatique. Si bien que le président ukrainien Volodymyr Zelensky voit aujourd’hui une menace en l’homme qu’il avait pourtant nommé à la tête de son armée en juillet 2021.

L’exaspération de Zaloujny?

Ces rumeurs de dissidences entre le président et le chef d’état-major remontent à l’été 2023, alors que la contre-offensive ukrainienne commence à battre de l’aile. Une interview de Valeri Zaloujny accordée à The Economist, le 1er novembre, cristallisera définitivement les tensions. Dans les colonnes de l’hebdomadaire britannique, le « sauveur de Kiev » reconnaît que l’armée ukrainienne, déforcée sur le plan technologique, se trouve dans une « impasse ». Des propos qui suscitent une vive polémique dans le camp présidentiel, habituellement résolu à faire bonne figure sur la scène internationale. Volodymyr Zelensky s’empressera d’ailleurs de contester ces déclarations. « Le temps a passé aujourd’hui et les gens sont fatigués. Mais nous ne sommes pas dans une impasse, assure-t-il quelques jours plus tard aux côtés de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Je suis absolument certain que nous allons relever ce défi. » 

Les tensions atteignent leur paroxysme fin décembre lorsque les deux hommes, à quelques jours d’intervalle, organisent deux conférences de presse distinctes. Chacun s’y accuse de la stratégie défaillante de l’armée ukrainienne et, à demi-mot, de l’échec de la contre-offensive.

Le fait que le commandant en chef de l’armée se plie à un tel exercice médiatique – une première depuis le début du conflit – et contourne ainsi la mainmise politique sur la communication officielle est loin d’être anodin. La séquence traduit une certaine exaspération dans le chef de Valeri Zaloujny, estime Nina Bachkatov, docteure en sciences politiques à l’ULiège et spécialiste de la Russie. Mais elle n’étonne pas pour autant la chercheuse. « Dans une guerre durable, qui ne débouche a fortiori pas sur une vague de victoires, il y a toujours un moment où on atteint cette tension entre l’axe politique et militaire. Bien que Zelensky et Zaloujny poursuivent le même but, un triomphe de l’Ukraine, ils ne sont pas d’accord sur les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. »

La popularité de Zelensky s’effrite

Cette opposition s’explique par les intérêts que servent les deux hommes. « Dès le départ, Zaloujny savait que son armée n’était pas 100% prête pour la contre-offensive, mais Zelensky a voulu la mener, tant pour des raisons de politique interne que de géopolitique internationale », expose Nina Bachkatov. Aujourd’hui, alors que Zelensky tente de garder la face auprès de ses alliés occidentaux, Zaloujny veut préserver ses hommes encore sur la ligne de front. « En tant que militaire, il ne fait pas dans le symbolique. Pour lui, ce qui compte, c’est ce qui se passe sur le terrain. »

« En tant que militaire, il ne fait pas dans le symbolique. Pour lui, ce qui compte, c’est ce qui se passe sur le terrain. »

Cette défense des intérêts militaires, parfois aux dépends de la diplomatie, lui a permis de gagner le soutien de ses soldats, et par extension, de la population ukrainienne. Selon un sondage publié le 18 décembre, la cote de confiance de Zaloujny s’élève à 88%, alors que celle de Zelensky a chuté à 62 %, contre 84 % en décembre 2022. Des chiffres que Nina Bachkatov tient à relativiser. « La popularité de Zelensky s’effrite, mais c’est loin d’être dramatique. Entre l’usure du pouvoir, une guerre qui s’éternise et une population qui souffre, c’est normal d’assister à cette tendance. »

« Un mauvais calcul »

Mais le président connaît toutefois un réel passage à vide. « Zelensky a surfé sur une vague positive pendant très longtemps et a incarné de manière merveilleuse l’unité du pays. Mais aujourd’hui, il doit composer avec ces difficultés sur le front. Il tente de sauver les meubles, mais semble avoir du mal à gérer ce non-succès », observe Nina Bachkatov.  

Les attaques (à peine voilées) récemment adressées à Valeri Zaloujny risquent encore de le desservir. « Projeter une image de désorganisation au sommet de l’Etat, à un moment où l’Ukraine peine à obtenir le soutien financier de certains alliés, est loin d’être stratégique. Développer cette rivalité trop ouverte avec Zaloujny, à un moment si crucial, est un mauvais calcul. »

D’autant que le chef d’état-major n’a pas d’ambition politique. Il est loin de représenter une alternative crédible à Zelensky, tranche Nina Bachkatov. « Par contre, dans les corridors du pouvoir, il y a des gens qui se sont tus par le passé mais qui seraient prêts à prendre la relève. Et qui disposent de bien plus d’expérience que Zelensky, qui, rappelons-le, n’est qu’un novice. Je pense notamment au maire de Kiev Vitali Klitschko, à l’ancien président Petro Porochenko et à un ou deux discrets oligarques qui ont largement financé l’effort de guerre. »

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