Donald Trump © Getty

« Trump n’est pas responsable de la débâcle qu’est aujourd’hui l’Amérique, il en est la conséquence »

Jonathan Holslag
Jonathan Holslag Jonathan Holslag est professeur en relations internationales à la VUB.

« Trump n’est pas un modèle, loin de là. Mais il soulève quelques questions importantes », estime le professeur Jonathan Holslag (VUB).

Je ne suis pas particulièrement fan du président Donald Trump, de son style, de son opportunisme, de sa politique. Avec Trump, l’Amérique est devenue plus vantarde, mais certainement pas plus grande. Pourtant, il y a des vérités qui dérangent dans cette vantardise trumpienne, surtout à l’égard de la génération précédente de dirigeants qui, bien qu’ils aient eu une apparence soignée, avaient raison dans leurs discours, mais n’avaient pas le courage de défendre les valeurs qu’ils avançaient.

Ainsi, j’écoutais le discours du vice-président Mike Pence. Il était furieux. Il a accusé de grandes multinationales américaines de s’agenouiller devant la Chine par appât du gain. Il a sonné les cloches à Nike et au basket américain. Pour lui, ils se soumettraient à la censure étrangère, tout en critiquant la politique intérieure. Les citoyens et les entreprises américains, a-t-il poursuivi, doivent défendre les valeurs occidentales, chez eux et dans le monde.

Le discours de Pence est difficile à concilier avec le fait que la Maison-Blanche, une semaine auparavant, a laissé tomber les résistants kurdes, et que le ministre américain de la Défense, Mark Esper, a demandé à l’OTAN de contribuer à protéger l’Arabie saoudite hyperautoritaire. Pourtant, il y avait un fond de vérité dans le discours de Pence. Dans leurs petits clubs cosmopolites, les hommes d’affaires aiment se plaindre de la perte de l’ordre mondial libéral, du retour du nationalisme et du fait que les pays autoritaires se moquent des règles économiques internationales, mais ils continuent à investir dans ces pays autoritaires. Il est plus facile de se reposer sur une dictature implacable que d’aider à renforcer une démocratie instable.

Ce n’est pas Trump qui a grandi l’autoritarisme du président russe Vladimir Poutine, mais nos propres sociaux-démocrates, démocrates-chrétiens et libéraux. Pensez à Gerhard Schröder. Nos politiciens pragmatiques et comme il faut, les libéraux et, depuis peu, les soi-disant nationalistes déroulent toujours le tapis rouge à la dictature de la Chine et à son influence croissante. Certains de ces politiciens ou chefs d’entreprise respectables justifient leur décision par le fait que nous devons veiller à nos intérêts. Mais depuis quand nos intérêts sont-ils servis par l’asservissement aux rivaux stratégiques ? Cela n’a aucun sens, ni du point de vue de nos valeurs ni du point de vue de nos intérêts.

J’ai également été intrigué par une remarque que Donald Trump a faite récemment au sujet du cosmopolitisme. Il a dit que pour faire une faveur à la liberté, il faut d’abord prendre la responsabilité pour son pays. Je trouve que c’est une thèse correcte. Trop souvent, on entend les riches globe-trotters suggérer que le monde est devenu un village, mais ils refusent de balayer devant leur porte. À quoi bon, à Davos, philosopher sur ce village planétaire alors que dans votre propre rue, les égouts débordent, que les routes sont pleines de nids de poule et que les gens semblent s’éviter mutuellement ? Ce village global, cette mondialisation, ne fonctionnera que si les différentes composantes maintiennent et expriment leur estime de soi. Comment parler d’amour pour le monde si on n’aime pas son pays, son village, ses proches ?

Ce n’est pas nouveau. Au début du 20e siècle, Theodore Roosevelt disait déjà que les entreprises étaient de plus en plus déconnectées de leurs terres et offraient leurs services au plus offrant comme une sorte de mercenaire. Napoléon Bonaparte l’a bien résumé : « L’argent n’a pas de patrie ». Un autre problème, c’est que l’argent emporte avec lui les politiciens, soit en incorporant les décideurs eux-mêmes, soit en incorporant les membres de leur famille et leur entourage. Pensez à Joe Biden : c’est un politicien intègre, mais il est exposé aux demandes d’un fils qui avait des intérêts commerciaux considérables en Chine et dans d’autres pays. Ou encore Bill Clinton, dont l’épouse, Hillary Clinton, a siégé longtemps au conseil d’administration de Wal-Mart. Ou Barack Obama, qui a promis de limiter l’influence des lobbyistes, mais a continué à distribuer des postes cruciaux à Wall Street. À cet égard, il est pour le moins ironique de constater qu’aujourd’hui de nombreuses grandes entreprises râlent de ne pas réussir à contrôler ce président.

Trump n’est pas un exemple, loin de là. Mais il soulève quelques points importants. Il n’est pas responsable de la débâcle qu’est l’Amérique aujourd’hui, il en est le résultat. Ce sont surtout les dirigeants pragmatiques qui ont gâché des occasions et sabordé la confiance politique. S’ils aiment tant la démocratie, il ne serait pas déplacé de balayer un peu devant leur porte.

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