Sur la guerre en Ukraine, le «en même temps» d’Emmanuel Macron nuit à l’Europe
La volonté du président français de maintenir le dialogue avec Poutine a ruiné son projet d’autonomie stratégique européenne. Et provoqué une fracture avec l’Europe de l’Est.
Les signes avant-coureurs de la grande contre-offensive ukrainienne se multipliant, le président français a eu, le 30 avril, un entretien téléphonique avec son homologue Volodymyr Zelensky au cours duquel il «a réitéré l’engagement de la France à apporter toute l’aide nécessaire à l’Ukraine afin de rétablir sa souveraineté et son intégrité territoriale». Ce soutien appuyé est-il de nature à dissiper l’ambiguïté dont la politique d’Emmanuel Macron a témoigné depuis le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine?
Même le commentaire de Volodymyr Zelensky formulé dans une interview au Figaro en février 2023 – «Je crois qu’il a changé. Et qu’il a changé pour de vrai cette fois» – n’est pas parvenu à gommer le soupçon de tropisme prorusse qui frappe le chef de l’Etat français. L’histoire des relations entre Vladimir Poutine et lui depuis son installation à l’Elysée le 14 mai 2017, il est vrai, l’alimente. Elle est minutieusement décrite par Isabelle Lasserre, ancienne correspondante à Moscou et actuelle rédactrice en chef adjointe du service international du Figaro, dans Macron-Poutine: les liaisons dangereuses (1).
Certains lui reprochent de ne pas avoir saisi assez vite la nature du régime russe.
Petites phrases destructrices
Hors la traditionnelle rencontre avec la tête de l’exécutif allemand, la chancelière Angela Merkel, le premier acte de politique internationale du chef d’Etat fraîchement élu est l’invitation faite à Vladimir Poutine de tenir un sommet au château de Versailles, le 29 mai 2017. S’en suivent une visite à Saint-Pétersbourg, le 24 mai 2018, et une rencontre au fort de Brégançon, lieu de villégiature des présidents français, le 19 août 2019. Emmanuel Macron tente de nouer une relation privilégiée avec le président russe. Pourtant, depuis 2014, la Russie occupe la Crimée, aide les séparatistes prorusses des oblasts de Donetsk et de Louhansk et est sous le coup de sanctions européennes, déjà pour sa déstabilisation de l’Ukraine. «Certains lui reprochent de ne pas avoir saisi assez vite la nature du régime et d’avoir ignoré les mises en garde du Quai d’Orsay (NDLR: le ministère français des Affaires étrangères). D’autres incriminent son “inculture stratégique” quand il est arrivé au pouvoir, qu’il tente de compenser par son intelligence intuitive, qui lui a si bien réussi en politique intérieure», analyse Isabelle Lasserre.
En l’occurrence, l’intelligence intuitive et la croyance exagérée d’Emmanuel Macron dans l’impact des relations personnelles sont d’une utilité réduite pour contrer la roublardise de Vladimir Poutine et freiner ses ambitions expansionnistes. Or, malgré le choc de l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, Emmanuel Macron continuera à pratiquer la politique de la main tendue à l’égard du maître du Kremlin. Et ce, alors que quatre jours plus tôt Moscou a enterré un projet de rencontre Poutine-Biden imaginé par Macron et validé par Poutine lui-même. «Apaiser, parler, dialoguer, comprendre, convaincre plutôt que menacer. Telle est la méthode d’Emmanuel Macron pour tenter de canaliser les pulsions destructrices et impérialistes du tsar soviétique», constate Isabelle Lasserre.
Cette méthode fera éclore, dans la bouche d’Emmanuel Macron, des propos qui accroîtront le fossé sous-jacent entre la France et des pays d’Europe centrale et orientale, qui savent ce que signifie l’impérialisme russe. A sa volonté de «ne pas humilier» la Russie, de lui «assurer des garanties de sécurité» ou de la ramener à une table de négociation, l’Ukraine, la Pologne et les pays Baltes opposent l’utilité d’humilier Poutine pour le dissuader de se lancer dans une nouvelle attaque, l’impératif d’assurer la sécurité de l’Ukraine, nation agressée, et le refus d’une négociation qui, au vu des gains territoriaux actuels de l’armée russe, serait préjudiciable pour Kiev.
Les présidents français seront toujours «narcissisés» par une relation directe avec une grande tyrannie.
Emmanuel Macron et l’Ukraine : l’ego des présidents
En plus de s’aliéner le soutien des pays du front oriental de l’Otan, la politique conciliatrice du président français, symbolisée par les 22 conversations téléphoniques qu’il a eues avec Poutine depuis le 14 décembre 2021, va à l’encontre de son projet d’autonomie stratégique européenne. «Emmanuel Macron avait un boulevard pour imposer cette idée, commente l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, auteur de La Grande Confrontation (Allary, 2023). Mais cela supposait qu’il soit le leader du front de la résistance à Vladimir Poutine, le leader dans les fournitures d’armes à l’Ukraine et dans les garanties de sécurité offertes à nos partenaires européens. Le flou de sa position, ses allers-retours idéologiques, sa volonté jusqu’au bout de séduire Vladimir Poutine, tout cela mine la crédibilité de la France et donc le projet d’autonomie stratégique européen, pourtant fondamental.» Isabelle Lasserre nuance ce constat: malgré les limites des stocks militaires français, Emmanuel Macron a fourni plusieurs armes à l’Ukraine : des canons Caesar, des systèmes de défense antiaériens et des chars légers. Le président français n’a jamais cédé sur les sanctions contre Moscou.
Cela n’atténue pas le jugement sur le projet de défense européenne. L’échec d’Emmanuel Macron n’est toutefois ni le premier ni le dernier qui sera infligé à un président français à cause d’un défaut de diplomatie et d’un manque de considération à l’égard de partenaires. Comment l’expliquer? «La France préfère les empires. Elle a toujours été fascinée par les grands Etats et agacée par les “petites nations”, observe Isabelle Lasserre. Malgré leurs déclarations d’intention proeuropéennes, les présidents français seront toujours séduits et “narcissisés” par une relation directe avec une grande tyrannie comme la Russie ou la Chine. L’Union européenne, c’est ennuyeux. Il n’y a pas de garde militaire, pas de tapis rouge, pas de musée de l’Ermitage. Parler avec Ursula von der Leyen dans un bureau tout ce qui a de plus classique ne vous “narcissise” pas. Varsovie, Tallinn ne “narcissisent” pas. Par contre, à Saint-Pétersbourg et à Pékin, vous avez l’impression de participer à l’histoire. En réalité, vous ne parlez qu’à votre ego. Et cela ne bénéficie en rien à la France.» En Ukraine, le terme «macroner» est apparu depuis le début de la guerre pour signifier le fait de «parler pour ne rien dire» ou de «s’inquiéter pour ne rien faire». Macron parviendra-t-il à changer son image?
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