Nadejda Savtchenko © Reuters

Savtchenko : grève de la faim et un bras d’honneur

Le Vif

La pilote d’hélicoptère ukrainienne est considérée comme une « prisonnière politique » par les défenseurs des droits de l’homme et est une véritable héroïne dans son pays. Elle est aussi le symbole que le conflit hybride entre l’Ukraine et la Russie se déplace vers le domaine judiciaire.

Savtchenko est accusée par la Russie d’avoir transmis à l’armée ukrainienne la position de deux journalistes russes tués par un tir de mortier dans l’est de l’Ukraine à l’été 2014. Arrêtée début juillet 2014 sur le territoire russe selon Moscou, Mme Savtchenko accuse de son côté les rebelles prorusses de l’est de l’Ukraine de l’avoir capturée sur le territoire ukrainien et livrée aux autorités russes.

Celle qui jure que tout est falsifié et que ce procès n’est qu’un mauvais et absurde spectacle pousse désormais la démarche encore plus loin puisqu’elle poursuit sa grève de la faim (elle vient d’arrêter sa grève de la soif). Pour elle ce procès a tout d’une comédie. Au point que sa dernière déclaration face au juge a été un puissant bras d’honneur.

Cet acte vient donc ponctuer un procès où elle est jugée depuis l’été dernier par un tribunal de Donetsk, petite ville russe à quelques kilomètres de la frontière ukrainienne.

Vous ne m’avez pas brisée, vous ne le ferez jamais

Nadejda Savtchenko, la pilote d’hélicoptère, est considérée comme une héroïne nationale en Ukraine et a été symboliquement élue députée aux législatives de 2014, en tête de liste du parti Batkivchtchina (Patrie) de l’ex-Premier ministre Ioulia Timochenko malgré qu’elle soit déjà sous les verrous.

L’immunité diplomatique et son statut de militaire n’ont en rien empêché qu’elle soit jugée comme une criminelle de droit commun en Russie pour le meurtre de deux journalistes en Ukraine.

« Je suis innocente. Ma culpabilité n’a pas été prouvée et ne peut pas être prouvée », a répété Mme Savtchenko lors de l’audience mercredi, selon ses propos rapportés par les avocats. « Vous ne m’avez pas brisée, et vous ne le ferez jamais », a-t-elle ajouté. Elle a estimé par ailleurs que si les journalistes russes avaient porté des casques et des gilets pare-balles ils seraient encore en vie, selon la même source.  » Je n’ai pas vu où se trouvaient les journalistes, je ne les ai jamais rencontrés. Je n’ai jamais tiré de ma vie sur des personnes sans armes » a-t-elle encore dit lors de son procès précise Le Monde. « Je suis un soldat, pas un tueur ! » Ses avocats font aussi « valoir sur la base de son téléphone portable, qu’au moment de la mort des deux journalistes elle avait déjà été capturée par les séparatistes. »

Une héroïne nationale

Paraissant en bonne forme physique malgré plusieurs jours sans boire ni manger, la pilote d’hélicoptère de 34 ans, a donc assuré ce mercredi qu’elle « poursuivra (sa) grève de la faim et de la soif » et réaffirmé son innocence, défiant ouvertement les juges.

Ceux-ci ont annoncé que le verdict serait rendu les 21 et 22 mars. « Peut-être que je vivrai » jusque-là, a lancé Nadia Savtchenko sous les yeux de sa mère et de sa soeur. « Rappelez-vous : ma vie est en jeu. Et je gagnerai. Les enjeux sont élevés et je n’ai rien à perdre ». « Voilà mon dernier mot! », a encore lancé la militaire avant de bondir sur le banc des accusés et d’adresser un spectaculaire bras d’honneur à ses juges. Le procès, qui aura duré quasiment six mois, s’est terminé dans la confusion, plusieurs personnes, dont Nadia Savtchenko, entonnant l’hymne ukrainien. La jeune femme avait déjà observé une grève de la faim de plus de 80 jours, qui avait pris fin en mars 2015, mais c’est la première fois qu’elle est en grève de la soif.

Un de ses avocats, Nikolaï Pozolov, a assuré sur Twitter que le tribunal avait refusé à sa mère et à sa soeur le droit de la voir dans sa cellule. Une équipe médicale ukrainienne qui désirait examiner la pilote d’hélicoptère a également été empêchée de la voir, a-t-il précisé.

Le ministère russe des Affaires étrangères a de son côté confirmé que les visites étaient « impossibles » en raison du « comportement provocateur » de Nadia Savtchenko lors de son procès. « La santé de Savtchenko n’est pas alarmante », a indiqué la diplomatie russe dans un communiqué. « Il est peu probable que nous puissions la convaincre d’arrêter sa grève », a toutefois prévenu un autre avocat, Mark Feïguine.

‘Libération immédiate’

De son côté, l’Ukraine a exigé la « libération immédiate » de la pilote. Mais Moscou, par la voix de la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères Maria Zakharova, a répété qu’aucun échange entre Nadia Savtchenko et des prisonniers détenus par les autorités ukrainiennes « ne peut avoir lieu avant le jugement du tribunal ».

Berlin a également appelé les autorités russes à libérer « immédiatement » la prisonnière, estimant que son procès est « en contradiction avec l’esprit et la lettre des accords (de paix) de Minsk » pour l’Est de l’Ukraine, selon le porte-parole du gouvernement allemand, Steffen Seibert.

Au moment où se déroulait le procès, plusieurs centaines de personnes étaient réunies devant l’ambassade de Russie à Kiev, brandissant des drapeaux aux couleurs de l’Ukraine et des pancartes sur lesquelles on pouvait notamment lire « Libérez Savtchenko ». L’ambassade a été visée par des jets d’oeufs.

Dans le bastion nationaliste de Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine, le consulat de Russie a été la cible de grenades fumigènes et de feux d’artifice et le drapeau russe a été brûlé, a constaté un journaliste de l’AFP.

La soeur de Nadia Savtchenko, Vera, a publié un appel au calme sur sa page Facebook, demandant de ne pas « détourner l’attention du problème essentiel, la vie de Nadia ».

Parallèlement, cinq pays membres de l’UE (la Lituanie, la Grande-Bretagne, la Pologne, la Roumanie et la Suède) vont appeler l’Union à sanctionner les responsables russes qu’ils jugent impliqués dans le procès de Nadia Savtchenko, a indiqué mercredi le chef de la diplomatie lituanienne Linas Linkevicius.

Un procès politique

Il semble en effet que le conflit « hybride » entre la Russie et l’Ukraine se déplace de plus en plus du militaire vers le judiciaire avec les condamnations le « 25 août, à vingt ans de colonie pénitentiaire pour « terrorisme » du réalisateur ukrainien Oleg Sentsov, et à dix ans de réclusion pour complicité du militant anarchiste Alexandre Koltchenko » dit encore Le Monde tout en précisant que « plusieurs autres procès contre des ressortissants ukrainiens sont prévus en Russie. »

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