Le meurtre de deux policiers à la suite d'une intervention le 21 janvier dans le cadre d'une dispute familiale à Harlem a mis en exergue la recrudescence de la violence à New York et aux Etats-Unis. © belga image

Regain de violence difficile à expliquer aux Etats-Unis (analyse)

Maxence Dozin
Maxence Dozin Journaliste. Correspondant du Vif aux Etats-Unis.

Les actes de violence armée ont augmenté de 30% entre 2020 et 2021. Un effet de l’épidémie de Covid ou de la prolifération des armes vendues en kit? Quelle qu’en soit la cause principale, le phénomène fragilise le pouvoir démocrate.

Le meurtre de deux policiers new-yorkais, dépêchés le 21 janvier chez un particulier pour une dispute familiale, conjugé à une possible nouvelle bavure de la police de Minneapolis contre un Afro-Américain de 22 ans le mercredi 2 février, a mis en exergue une tendance lourde observée en deux ans aux Etats-Unis: la violence armée est en nette croissance depuis le début de la pandémie. Un phénomène qui entraîne un énième front de disputes partisanes entre républicains et démocrates. Aux échelons de pouvoir locaux comme au fédéral, les seconds sont pressés par l’opposition d’en faire plus, et surtout différemment, pour inverser la tendance.

Le 3 février, Joe Biden s’est rendu à New York, une des villes les plus marquées par ce regain de violence, pour s’enquérir de la situation. La capitale financière des Etats-Unis a connu une augmentation sensible de la criminalité entre la fin des années 1960 et le début des années 1990, époque à partir de laquelle elle est devenue, sous le maïorat du républicain Rudy Giuliani, une des plus sûres du pays. Sous l’égide de l’indépendant Michael Bloomberg, les chiffres se sont stabilisés, donnant au courant conservateur et centriste une réputation de meilleure efficacité en matière de lutte contre le crime.

La bataille de New York

Face au regain de violence récemment enregistré, les politiques peinent à se présenter en front uni. Une partie de la gauche, incarnée par le nouveau procureur de Manhattan, Alvin Bragg, se veut réformiste en matière de crimes et délits. Elle tente notamment d’imposer la pratique des peines alternatives à la prison pour les atteintes à l’ordre public les plus légères. Mais cette approche est très critiquée par le centre et la droite, qui la jugent laxiste. Les chiffres de la petite criminalité, en nette augmentation, semblent donner raison à ces derniers et aussi à Eric Adams, le nouveau maire démocrate de la ville, lui-même ancien policier, élu sur sa promesse d’être inflexible en matière de violences.

Il se pourrait que les services sociaux d’accompagnement des populations fragilisées aient été entravés dans leur action par les mesures sanitaires.

Globalement, de Los Angeles à la côte est en passant par Houston, au Texas, ou Saint-Louis, dans le Missouri, la ville statistiquement la plus violente des Etats-Unis, les faits enregistrés de violences armées sont en augmentation de 30% en moyenne par rapport à 2020. Au total, plus de vingt mille personnes ont été tuées par arme à feu en 2021, plus encore qu’en 2020, année qui constituait l’ augmentation annuelle record depuis que le FBI a commencé à organiser ce genre de décompte, en 1929. Les communautés afro-américaines, sont les plus touchées par ces violences. Elles ont statistiquement huit fois plus de risques d’être victimes d’un coup de feu que les populations de souche blanche caucasienne.

Armes à feu en kit

Les experts peinent à identifier avec certitude l’origine de cette hausse. Pour Christina DeJong, professeure en justice criminelle à l’université d’Etat du Michigan, « plusieurs explications sont plausibles, mais aucune ne sort du lot comme relevant d’une évidence ». Concrètement, il se pourrait que les services sociaux d’accompagnement des populations fragilisées, notamment les adolescents, aient été entravés dans leur action par les mesures sanitaires. Les populations visées auraient été laissées en quelque sorte « à l’abandon ». « Mais c’est une explication qui ne peut être que parcellaire, tempère l’universitaire. Il faut sans doute plutôt se pencher sur la prolifération des armes à feu. »

La circulation et la vente d’armes sont en effet en nette augmentation ces dernières années. Dans un contexte de crise économique entraînée par la pandémie de Covid-19, un nombre record d’armes a été vendu, avant, souvent, de faire l’objet de trafic. Le long de l’Interstate 95, par exemple, qui relie, sur la côte Atlantique, les villes du sud laxistes en matière de délivrance d’armes, aux Etats du Nord, un commerce d’armes à grande échelle a vu le jour. Mais un élément inquiète davantage les forces de l’ordre: la prolifération d’armes vendues en kit et livrées à domicile. Outre qu’elles sont intraçables, elles ne nécessitent pas de permis, car au regard de la loi, elles ne sont réputées devenir des armes qu’au moment où elles sont… assemblées.

Un classique des campagnes présidentielles

Les Etats-Unis, pays où la violence, comme le souligne Christina DeJong, « s’exprime plus facilement qu’ailleurs puisque le deuxième amendement garantit aux citoyens le droit de porter des armes« , sont coutumiers de discours politiques axés sur le respect de « la loi et de l’ordre », particulièrement en période électorale. A la fin de la décennie 1960 marquée par de grands changements sociaux, Richard Nixon avait gagné la présidence grâce à cette approche sécuritaire. Elle a été reprise au début des années 1980 par Ronald Reagan, même si ce dernier axait davantage sa politique de sécurité sur la lutte contre le trafic de drogue, avant que Bill Clinton, pourtant démocrate, n’embraie sur cette dynamique, qui lui permettra notamment d’être réélu en 1996.

« Donald Trump a également tenté de surfer sur cette vague, mais en tentant davantage d’incriminer les populations latinos immigrées, alors qu’elles ne sont statistiquement pas plus dangereuses que d’autres souches ethniques », analyse Christina DeJong. Est-ce le résultat de la hausse des faits de violence depuis deux ans? Joe Biden voit sa politique anticriminalité, qui pouvait constituer un atout, se transformer en source de vulnérabilité pour sa popularité. Un quart seulement des électeurs indépendants, essentiel à sa réélection, approuve sa stratégie de lutte contre les violences.

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