En vue de la présidentielle, Félix Tshisekedi a fait entrer au gouvernement des faiseurs de voix. © getty images

RDC: renforcé par le soutien de Bemba et Kamerhe, Tshisekedi rempilera-t-il en 2024?

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

La présidentielle congolaise est prévue le 20 décembre prochain. Quelles sont les chances des principaux candidats? En cas de report du scrutin, de plus en plus probable, une période de transition sans Félix Tshisekedi?

En apparence, c’est un joli coup stratégique de Félix Tshisekedi: à moins de neuf mois de la présidentielle, fixée au 20 décembre 2023, le chef de l’Etat, candidat à un second mandat, s’est assuré le soutien de deux poids lourds de la scène politique congolaise, Jean-Pierre Bemba et Vital Kamerhe. Les deux chefs de parti ont accepté, le 23 mars, d’entrer dans le gouvernement de l’Union sacrée, la majorité parlementaire pro-Tshisekedi. «Leur ralliement est motivé par leur besoin de se refaire une santé politique et financière après des années de déconvenues politico-judiciaires, décrypte le politologue Bob Kabamba, professeur à l’ULiège. Ces nominations permettent au président de neutraliser deux rivaux potentiels. Du moins provisoirement. Car Bemba et Kamerhe n’ont pas renoncé à leurs grandes ambitions politiques. On sait que les changements d’alliance se font très facilement en RDC!»

On sait que les changements d’alliance se font très facilement en RDC!

Jean-Pierre Bemba décroche le portefeuille de la Défense. A lui la mission de tenter de réorganiser une armée régulière congolaise mal commandée, rongée par la corruption et incapable de restaurer la sécurité dans l’est du pays. Les rebelles du M23 se sont emparés de plusieurs territoires au Nord-Kivu, avec le soutien du Rwanda, selon des experts de l’ONU. Ils maintiennent leurs positions malgré le déploiement, la semaine dernière, de troupes ougandaises de la force est-africaine. Ancien seigneur de guerre épaulé par l’Ouganda, Bemba a été incarcéré par la Cour pénale internationale (CPI) pendant près de dix ans pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, avant d’être acquitté en 2018. Membre de la direction de la coalition Lamuka qui a soutenu la candidature de l’opposant Martin Fayulu à la présidentielle de 2018, le patron du MLC a rejoint l’Union sacrée fin 2020 et est devenu par la suite un interlocuteur régulier du chef de l’Etat.

Gare au Katanga!

Nouveau ministre de l’Economie, Vital Kamerhe est lui aussi passé par la case prison, après avoir été le tout-puissant directeur de cabinet du président Tshisekedi. Condamné en juin 2020 à vingt ans de travaux forcés pour détournement de fonds publics, le leader de l’UNC a été acquitté deux ans plus tard, ce qui a mis fin à sa disgrâce. Il convoitait le poste de Premier ministre, soufflent ses proches. Mais Tshisekedi a préféré reconduire à la Primature le Katangais Jean-Michel Sama Lukonde. «Pour ne pas se mettre un peu plus à dos un Katanga frondeur, fief des deux principaux adversaires du chef de l’Etat, l’opposant Moïse Katumbi et l’ancien président Joseph Kabila», commente un journaliste kinois. «Et parce que rendre vacant le poste de Premier ministre aurait provoqué de vives tensions entre les chefs de file de l’Union sacrée, complète Bob Kabamba. Jean-Pierre Bemba, Vital Kamerhe et l’ex-kabiliste Modeste Bahati, président du Sénat et leader du parti de la majorité présidentielle qui compte le plus grand nombre d’élus, auraient tous revendiqué la fonction

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En janvier 2019, Tshisekedi a dû son accession à la magistrature suprême à un accord secret de partage du pouvoir concocté par Kabila: à Tshisekedi la présidence, aux kabilistes le contrôle des autres institutions. L’alliance a volé en éclats après deux années de cohabitation. Le chef de l’Etat a réussi à débaucher massivement des députés FCC (la mouvance pro-Kabila) pour former une nouvelle majorité. En vue de la présidentielle, «Fatshi», comme l’appellent ses supporters, quadrille électoralement le pays. D’où le recrutement par l’Union sacrée de faiseurs de voix, dont les fiefs sont situés dans le nord et l’est: Bemba est populaire dans le Grand Equateur, Kamerhe est né à Bukavu, au Sud-Kivu, et un troisième vétéran de la politique congolaise, Antipas Mbusa Nyamwisi, nouveau ministre de l’Intégration régionale, est l’homme fort de la communauté nande du Nord-Kivu.

Gouvernance critiquée

«Cette géopolitique présidentielle a pour objectif de consolider la position de l’Union sacrée dans les régions où le contexte sécuritaire lui est défavorable», souligne Bob Kabamba. A cette stratégie s’ajoute une mainmise de la présidence sur la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) et le Conseil constitutionnel, l’organe chargé de proclamer les résultats définitifs. Pour autant, la messe n’est pas dite. La cote de popularité de Tshisekedi a chuté depuis un an, y compris dans ses bastions du centre (Kasaï-Oriental) et de l’ouest (Kinshasa). Le président n’a pas tenu sa promesse d’améliorer le quotidien de ses concitoyens. «L’inflation fait exploser le coût des transports et de l’alimentation», relève un homme d’affaires belge à Kinshasa.

Kits d’inscription insuffisants, pannes, bureaux de vote fictifs…: le processus électoral est mal engagé.

La présidence ne respecte pas le budget qui lui est alloué et l’entourage de Tshisekedi a été rattrapé par des affaires de corruption et de détournement de fonds. Le chef de l’Etat est aussi accusé de népotisme et de tribalisme pour avoir favorisé son clan, son ethnie. «Au Katanga, les tensions communautaires entre Katangais et Kasaïens se sont ravivées et il suffirait d’une étincelle pour qu’elles dégénèrent en pogroms et déplacements massifs de familles», prévient Bob Kabamba. Autre volet négatif du bilan: le président n’est pas parvenu à ramener la paix au Nord-Kivu et en Ituri, où il a laissé de nombreux groupes armés reprendre leurs activités. Quelque 120 mouvements s’affrontent dans les zones frontalières avec le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda, cherchant à contrôler des territoires pour des raisons ethniques ou économiques et faisant régner la terreur parmi les populations.

Félix Tshisekedi n’est pas parvenu à ramener la paix au Nord-Kivu et en Ituri, où il a laissé de nombreux groupes armés reprendre leurs activités.
Félix Tshisekedi n’est pas parvenu à ramener la paix au Nord-Kivu et en Ituri, où il a laissé de nombreux groupes armés reprendre leurs activités. © BELGAIMAGE

Forces et faiblesse de Moïse Katumbi

Face à Tshisekedi, l’opposition avance encore en rangs dispersés, malgré des concertations et conciliabules. Martin Fayulu, l’ancien candidat de la coalition Lamuka, n’a plus les soutiens politiques (Katumbi, Bemba…) qu’il avait lors de la campagne de 2018. Dès lors, le candidat à la présidentielle le plus craint par le clan Tshisekedi est l’homme d’affaires Moïse Katumbi, ex-gouverneur du Katanga et président du club de football de Lubumbashi, le Tout Puissant Mazembe. Ses atouts? Sa fortune, sa stratégie nationale de recrutement de militants et ses soutiens à l’étranger (partis libéraux, groupes de pression américains…). Brouillé avec Kabila depuis 2015, Katumbi s’en est rapproché l’an dernier. Talon d’Achille du métis: un projet de loi, réintroduit au Parlement ces jours-ci, aurait pour effet de rendre inéligible un candidat dont les deux parents ne sont pas Congolais, ce qui exclurait Katumbi, fils d’un juif grec.

Pour couronner le tout, des incertitudes planent sur le respect du calendrier électoral. A ce stade, la Ceni prévoit toujours d’organiser, le 20 décembre prochain, le scrutin présidentiel à un seul tour, couplé aux élections législatives, provinciales et municipales. Cinquante millions d’électeurs doivent y participer.

L’enrôlement et l’identification des électeurs a commencé fin décembre. Mais des témoignages font état de kits d’inscription insuffisants, de pannes de machines, de soupçons de bureaux de vote fictifs. Des individus ont pu obtenir plusieurs cartes d’électeurs. Des machines d’enrôlement se sont retrouvées au domicile de ministres et de députés!

Pressions des deux Eglises

Autant de dérapages et d’incidents qui font craindre des élections non transparentes et peu crédibles. La mission d’observation des Eglises catholique et protestante a publié un rapport accablant sur ces opérations. Elle en prépare un nouveau. Les deux Eglises mettent la pression sur la Ceni et menacent de ne pas accompagner un «processus biaisé».

Selon Bob Kabamba, les élections ne pourront se tenir dans les temps. «Pour que les législatives garantissent une répartition équitable des sièges, il faut que les citoyens puissent s’enrôler dans toutes les régions. Ce n’est pas le cas, notamment dans les territoires occupés par le M23, au nord de Goma.»

Un report de la date des élections semble inévitable. Toutefois, pour l’opposition et la société civile, un «glissement» de la présidentielle, qui permettrait à Félix Tshisekedi de se maintenir au pouvoir, n’est pas une solution acceptable. Ce serait un remake du scénario qui a permis à Kabila de rester en place pendant deux ans après la fin de son second et dernier mandat.

Mukwege, pilote de la transition?

En cas de non-respect du délai constitutionnel, des voix plaident pour l’instauration d’une transition sans Tshisekedi. Des concertations informelles à ce sujet ont réuni les ténors de l’opposition: Moïse Katumbi, Martin Fayulu, l’ancien Premier ministre Matata Ponyo, mais aussi Denis Mukwege, le gynécologue et Nobel de la paix 2018. Fayulu assure que le chef de l’Etat «devra quitter le pouvoir au plus tard le 23 janvier 2024», afin de laisser la place au président du Sénat, protocolairement le deuxième personnage de l’Etat. A charge, pour Modeste Bahati, d’organiser le scrutin dans les quatre mois. Bienvenu Matumo, militant du mouvement citoyen Lucha, estime que la transition doit être pilotée par une personnalité neutre issue de la société civile. Certaines de nos sources en RDC avancent déjà le nom du Dr Mukwege.

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