Eugenio Maddalena

Quatre raisons pour lesquelles TikTok a dépassé Google (et pourquoi nous devrions nous en soucier) (carte blanche)

Eugenio Maddalena Expert en communication numérique  

TikTok a dépassé Google! Une nouvelle étude a révélé que le site le plus visité au monde est TikTok, cette plateforme de vidéos virales, répandue surtout chez les plus jeunes.

Google était le site le plus consulté au monde (en comptant également sa constellation d’applications comprenant Maps, Translate, News, etc.) en 2020 et tout au long de la première partie de 2021 mais, comme le rapporte The Independent, à partir du mois d’août TikTok a connu une primauté presque constante.

Pour rappel, TikTok est une plateforme proposant des vidéos (jusqu’à 15 secondes) représentatives d’une émotion instantanée et qui défiment en succession automatique. Un mécanisme très puissant qui peut entrainer une dépendance. La fin (temporaire ?) de la domination incontestée de Google est bien représentative de l’époque dans laquelle nous vivons: de la pandémie à la passivité avec laquelle nous utilisons l’information.

La première raison, qui a également été relevée par la société Cloudflare, est que pendant la crise sanitaire, les gens ont afflué vers la plateforme vidéo afin de tromper leur ennui. Mais une fois la période la plus difficile passée, l’habitude d’utiliser la plateforme est restée et n’a pas connu de déclin. Les raisons de cette « addiction » sont vite expliquées.

Deuxièmement, nous sommes devenus plus paresseux dans la recherche d’informations : notre modèle d’utilisation d’Internet est progressivement passé d’une recherche active de contenus via notre action de recherche (sur Google entre autres), à une utilisation passive dans laquelle nous « subissons » les contenus proposés par les plateformes selon des algorithmes qui jouent sur nos préférence (un exemple: le fil d’actualité Facebook).

Troisième raison fondamentale : l’intelligence artificielle avancée de la plateforme. La chose la plus importante derrière la succession apparemment aléatoire de vidéos amusantes – qui ne représentent que la surface de TikTok – est l’algorithme qui reconnaît les contenus et les catalogues spécifiquement. Cet algorithme apprend ce que nous aimons et nous propose de plus en plus de contenu en fonction de nos préférences afin d’assurer notre présence constante.

Quatrième aspect : Instagram, Twitter et d’autres réseaux sociaux traditionnels ont des algorithmes conçus pour nous « vendre » des choses par le biais de la publicité. Pour l’instant, l’algorithme TikTok veut juste qu’on ne regarde pas ailleurs, qu’on se fidélise le plus possible afin de continuer à l’utiliser de plus en plus. Cette distinction représente un subtil élément nouveau mais décisif dans l’utilisation de l’application : sur TikTok on n’a pas l’impression d’être une cible publicitaire, mais de simples utilisateurs de contenus instantanés et ludiques et – contrairement à d’autres réseaux sociaux – il n’y a pas vraiment besoin de s’y inscrire.

TikTok.com a également surperformé les autres géants de la technologie qui s’étaient classés au-dessus de lui l’année dernière, y compris les Amazon, Apple, Facebook, Microsoft et Netflix. Doit-on s’en soucier ? Un peu oui, en tout cas certains aspects ne doivent pas être sous-estimés.

Premièrement, une plateforme de vidéos virales, aussi répandue dans le monde, ne sera jamais politiquement neutre, or cette plateforme est chinoise. Le gouvernement chinois est tristement célèbre pour son utilisation de la technologie à des fins politiques : il suffit de penser à la reconnaissance faciale utilisée pour le nettoyage ethnique des Ouïghours. Certains d’entre eux sont apparus dans plusieurs vidéos TikTok – supprimées plus tard – pour signaler la disparition de membres de leur famille, enfermés dans des camps de prisonniers. Ici vous pouvez voir plusieurs messages sur Twitter où ils n’ont pas été supprimés (documents extraordinaires, d’un point de vue historique).

Mais sans perturber les enjeux de la politique étrangère, la manière dont l’algorithme « joue avec nous » est également préoccupante. Comme Jia Tolentino l’écrivait déjà dans le New Yorker en 2019, l’algorithme TikTok peut déterminer l’avenir des produits culturels. Une grand nombre de fans pensent que l’intro du dernier album de Kanye West, Donda, a été écrite précisément pourêtre diffusée comme bande originale de vidéos TikTok. « L’algorithme nous donne ce que nous voulons, et en échange nous donnons à l’algorithme ce qu’il veut. Au fur et à mesure que le cercle se resserre, nous devenons de moins en moins capables de séparer les goûts de l’algorithme des nôtres », écrit à nouveau Tolentino. Et l’industrie culturelle devra en tenir compte si elle veut s’adresser au large public de TikTok.

Bref, si l’on cherche sur Google ce qui nous intéresse, même au-delà de nos goûts, par souci de connaissance, TikTok propose un système d’utilisation des contenus qui nous « enferme » dans ce que l’on aime déjà avec un système d’utilisation et d’édition de données qui ne sont pas toujours transparentes ou partageables. Et l’impact sur notre société commence progressivement à se faire sentir.

Eugenio Maddalena, Digital and Social Media Expert

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