Laurence D'Hondt

Pourquoi certains migrants sont-ils amenés à mentir?

Laurence D'Hondt Journaliste

L’asile est devenu une fabrique de sans papiers pendant que l’homme européen est tiraillé entre geste d’accueil et peur d’affirmer un socle de valeurs qu’il imposerait aux nouveaux arrivants.

L’Allemagne qui dans un geste très médiatisé a ouvert ses portes aux migrants, doit désormais constater : 30 pc des Syriens qu’elle a reçus sur son sol ne sont pas des …Syriens ! En Belgique, les services de l’asile l’ont très vite déploré : nombre de jeunes Irakiens sont arrivés de Bagdad, sans pouvoir prétendre fuir l’Etat Islamique qui n’occupe pas la capitale irakienne. Dans certains quartiers de Bruxelles, des histoires entièrement fabriquées, sont vendues aux demandeurs d’asile pour se donner les meilleures chances d’obtenir le précieux sésame qui permettra aux migrants de rester sur le territoire national : le statut de réfugié.

La multiplication des révélations sur les histoires fabriquées par les demandeurs d’asile devrait nous interpeler : pourquoi sont-ils amenés à mentir ?

Depuis plus d’un quart de siècle, l’asile est la principale porte d’entrée des migrants non européens, qu’ils aient quitté leur pays pour des raisons politiques, économiques, religieuses ou qu’ils soient ce qu’on appelle aujourd’hui des réfugiés climatiques.

Or, pour qu’un demandeur d’asile obtienne le statut de réfugié, il doit démontrer, preuves et récits à l’appui, qu’il craint  » avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques « , selon les termes de la Convention de Genève de 1951.

Les guerres qui se sont déclarées en Syrie, en Irak, en Libye, au Mali, au Nigéria, au Yémen, poussent des millions de personnes sur les routes, mais malgré la violence des conflits en cours, tous ceux qui les fuient ne pourront prétendre « avec raison être persécutés du fait de la race, de la religion ou des opinions politiques« . Pour obtenir le statut de réfugié, le demandeur d’asile doit apporter des preuves de menaces qui pèsent sur sa vie en raison de ses opinions ou faire partie d’un groupe ethnique, social ou religieux pris délibérément pour cible par les belligérants. Il ne peut être ‘seulement’ victime collatérale des combats entre groupes armés ou avoir quitté son pays pour des raisons liées à l’effondrement de l’économie de son pays. C’est dire si la porte est étroite !

La majorité des migrants qui se pressent aujourd’hui aux frontières des pays d’Europe, n’accèderont pas au statut de réfugié, à moins d’inventer des histoires que l’administration se charge jour après jour de démonter. Ni accueillis, ni le plus souvent refoulés, ils deviendront donc des sans papiers, des hommes sans existence politique déclarée.

On peut se demander pourquoi après 30 ans de constats, d’échanges d’informations au sein des ministères, d’analyses délivrées par des hommes informés, notre politique d’immigration ne prend pas acte de cette réalité. Il y a plusieurs raisons. Esquissons en deux.

La première est opportuniste : dans la mesure où l’asile est devenu une usine à fabriquer des clandestins qui tourne mieux et plus vite que la fabrique de l’intégration, les sans papiers constituent une main d’oeuvre facile à gérer, sans protection sociale et soumise aux impératifs de l’employeur.

La seconde réponse est plus complexe, plus enfouie car elle provient du grand refoulement qui caractérise la gestion de l’immigration depuis plusieurs décennies: l’homme européen est divisé entre son exigence d’accueil qui peut être considéré selon le philosophe Emmanuel Levinas comme l’étape liminaire de toute éthique et son incapacité profonde à affirmer un socle de valeurs constitutives de son identité politique, sociale et culturelle et qu’il imposerait aux nouveaux arrivants.

Des récents événements, il apparaît que ce tiraillement, cette scission intérieure, cette schizophrénie a aujourd’hui atteint un cran de plus.

Si le geste d’accueil a rarement été autant valorisé et médiatisé, une fois passée cette porte d’accueil, le vide de projet commun, l’absence d’un socle de valeurs affirmées et partagées, laisse la place à une multiplication de confrontations violentes entre personnes de cultures ou de religions différentes.

Entretemps, une chose est certaine : s’engouffrant dans cette brèche ‘intérieure’, les candidats à l’asile, acceptés ou non, poursuivront leur chemin, poussés par la faim, les bouleversements politiques ou les difficultés économiques.

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