Victoire Ingabire Umuhoza

Pour un nouveau dialogue inter-rwandais (carte blanche)

Victoire Ingabire Umuhoza Présidente du Parti DALFA-UMURINZI

Depuis que le Rwanda a obtenu son indépendance en 1962, la population a connu des régimes successifs qui se maintiennent au pouvoir par tous les moyens et sans intégrer les principes de bonne gouvernance dans leurs programmes politiques. Les répercussions ont toujours été les mêmes : violations des droits de l’homme, les massacres qui ont culminé dans le génocide des Tutsi en 1994. Une carte blanche de Victoire Ingabire Umuhoza, présidente du parti d’opposition Dalfa-Umurinzi.

Après son arrivée au pouvoir, le Front patriotique rwandais (FPR) a organisé, de 1998 à 1999, des consultations nationales – appelées réunions du village Urugwiro – pour discuter de la manière dont le Rwanda pourrait résoudre ses problèmes d’unité nationale, la démocratie, la justice, les problèmes économiques et la sécurité. De ces consultations sont sorties les lignes directrices de la gouvernance mise en oeuvre par le FPR depuis qu’il dirige le pays.

Néanmoins, la manière dont la gouvernance interne du Rwanda et ses relations avec les pays voisins de la région des Grands Lacs ont évolué, au fil du temps, préoccupent tous ceux qui s’intéressent à la politique rwandaise et à la région. Il y a des raisons inquiétantes qui rendent nécessaire la tenue d’un nouveau dialogue inter-rwandais entre le gouvernement rwandais, l’opposition et les organisations de la société civile de l’intérieur et d l’extérieur. L’objectif de ce dialogue est de réformer le systeme de gouvernance au Rwanda afin de garantir une stabilité durable dans le pays et dans la région des Grands Lacs.

« Le gouvernement a abusé de son pouvoir »

La Démocratie consensuelle qui visait à prévenir de nouvelles violences ethniques en accélérant le développement convenu lors des réunions du village Urugwiro en 1999, s’est au fil du temps transformée en un système politique rigide qui, en fait, supprime l’opposition politique, restreint le pluralisme politique et la liberté civile. Dans de nombreux cas, le gouvernement a abusé de son pouvoir, collaborant avec le système judiciaire pour criminaliser ses détracteurs sous la surveillance silencieuse de la législature. Ce faisant, le gouvernement a enfreint la primauté du droit. Combiné aux violations généralisées des droits de l’homme qui ont été fréquemment signalées au Rwanda au cours des 20 dernières années par les Nations Unies, le Commissaire aux droits de l’homme de l’Union européenne et les organisations internationales de défense des droits de l’homme, cela confirme que la démocratie au Rwanda reste plutôt sombre aujourd’hui.

Les mécanismes de promotion de l’unité et de la réconciliation entre les Rwandais adoptés lors des réunions de consultation nationale de 1999 étaient louables. Cependant, il a été observé au fil des années que l’absence d’un mémorial aux victimes des crimes de guerre commis au Rwanda avant, pendant et après le génocide contre les Tutsis conduit à des positions conflictuelles parmi les citoyens. Cela ne favorise pas une véritable réconciliation au Rwanda aujourd’hui. Au contraire, cela crée des griefs sociaux et affaiblit la confiance et la coopération entre les Rwandais.

L’une des idées avancées lors des consultations nationales de 1999 était la mise en place d’un programme de développement qui visait à transformer le Rwanda en un Etat à revenu intermédiaire tiré par une économie de la connaissance en 2020. Malgré les soutiens financiers reçus par le gouvernement rwandais des partenaires au développement, le pays n’a pas atteint les objectifs de son programme de développement. Le Rwanda reste un Etat à faible revenu et est toujours classé parmi les 25 pays les plus pauvres et les moins avancés du monde. Le gouvernement a prolongé les objectifs de son programme de développement jusqu’en 2035.

Au cours des 20 années écoulées depuis la première série de réunions du village Urugwiro, le paysage politique au Rwanda s’est transformé en cours de route. Il n’est plus composé uniquement de l’opposition affiliée au parti au pouvoir, mais comprend également des voix dissidentes – souvent marginalisées par le gouvernement – qui se font entendre à l’intérieur du Rwanda et au-delà de ses frontières. Ces voix doivent être prises en compte car l’absence d’un processus politique inclusif a été dans le passé un obstacle à la bonne gouvernance et a conduit à des conflits dans les années 90 au Rwanda.

Le problème de l’opposition composée par des réfugiés rwandais menant des activités politiques à l’extérieur du Rwanda avec ou sans groupes armés est clairement devenu aujourd’hui une préoccupation majeure pour le gouvernement rwandais. Les Nations Unies ont fréquemment publié des rapports alléguant l’implication du Rwanda dans le conflit à l’est de la République démocratique du Congo (RDC).

Fermeture des frontières

Des accusations que le gouvernement rwandais a toujours démenties pointant du doigt le problème des groupes armées s’organisant dans les forêts de la RDC proches de la frontière rwandaise qui veulent prendre le pouvoir au Rwanda par la force. Des tensions politiques entre le Rwanda et le Burundi ainsi que l’Ouganda sur les allégations selon lesquelles ces deux pays soutiennent des voix dissidentes qui veulent également renverser le pouvoir rwandais par la force ont également été notées. Celles-ci ont conduit à la fermeture des frontières entre le Rwanda et ces deux pays aggravant la contrainte structurelle de notre pays au développement.

Le dialogue inter-rwandais proposé est constitutionnel. Il s’inspire des défis susmentionnés et d’autres auxquels le Rwanda est confronté. Il établira des mesures et la meilleure façon de les mettre en oeuvre pour réformer la gouvernance au Rwanda. Cela permettra au Rwanda d’avoir une stabilité durable et contribuera à la résolution des conflits dans la région des Grands Lacs.

Ce dialogue est également aligné sur la stratégie des Nations Unies pour la consolidation de la paix, la prévention et la résolution des conflits dans la région des Grands Lacs adoptée en décembre 2020. Cette stratégie reconnaît qu’un dialogue efficace et soutenu entre les citoyens est essentiel pour favoriser la confiance, répondre aux griefs sous-jacents et faciliter les actions en faveur de la paix, de la stabilité et de la prospérité. Heureusement pour le Rwanda, la recherche constante de solutions par le dialogue est l’un des principes fondamentaux de sa constitution.

En juin 2021, nous avons soumis au gouvernement rwandais une Feuille de Route pour un avenir prometteur du Rwanda demandant que le dialogue proposé soit organisé avant l’élection présidentielle rwandaise prévue en 2024.

Cela fait plus d’une décennie que la communauté internationale tente de trouver une solution au problème de l’instabilité dans la région des Grands Lacs. J’ai toujours soutenu que sans résoudre le problème politique du Rwanda, il sera impossible d’apporter la stabilité dans cette région. Il est donc opportun et approprié que les parties prenantes régionales et internationales soutiennent le projet de dialogue inter rwandais proposé pour la réforme de gouvernance au Rwanda seul garant de la consolidation de la paix dans la région des Grands Lacs.

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