Amaya Coppens continue le combat contre la dictature nicaraguayenne dans une association de soutien aux prisonniers politiques. © reuters

Nicaragua: « la situation a encore empiré » pour Amaya Coppens

Pour la militante belgo-nicaraguayenne Amaya Coppens, emprisonnée en 2018 et 2019 après des manifestations, le régime de Daniel Ortega a profité de l’épidémie de Covid pour gruger le peuple. Elle appelle les entreprises privées et la communauté internationale à cesser d’être complaisantes envers le pouvoir.

L’annonce date du 30 janvier 2021. Ce jour-là, le gouvernement nicaraguayen officialise la création du « secrétariat pour les Affaires de l’espace ultraterrestre, de la Lune et des autres corps célestes ». L’événement surprend le monde entier, Nicaraguayens compris: le pays d’Amérique centrale est loin d’être à la pointe dans ce domaine. Surtout, ce timing étonne tant le Nicaragua traverse une crise profonde, caractérisée par un niveau de pauvreté préoccupant et une répression sanglante des opposants au régime du président Daniel Ortega, qui dirige le pays avec Rosario Murillo, son épouse et vice-présidente.

Trois ans se sont écoulés depuis les manifestations d’avril 2018 contre une réforme de la sécurité sociale. Un soulèvement populaire qui a coûté la vie à près de 330 personnes et causé l’exil de milliers d’autres. « Depuis, le peuple continue d’afficher son opposition à la dictature et son besoin de liberté, de démocratie et de justice« , soutient Amaya Coppens. Figure emblématique du Mouvement du 19 avril, cette Belgo-Nicaraguayenne l’a payé de sa personne en étant arrêtée et incarcérée à deux reprises. Depuis sa libération, il y a quelques mois, elle se fait discrète pour éviter l’attention des sbires du gouvernement. Dans l’ombre, elle continue toutefois à oeuvrer pour un Nicaragua libre aux côtés des familles de prisonniers politiques.

Deux journalistes d’investigation ont dévoilé que des milliers de Nicaraguayens avaient été testés positifs à la Covid-19 depuis mars 2020 sans que leur acte de décès ne le mentionne. Qu’est-ce que la gestion de la crise sanitaire dit du fonctionnement du pays?

Le point de départ est la révolte sociale du printemps 2018, liée à la conjonction de différentes situations qui ont augmenté la pression qui pesait déjà sur la population. Cela fait des années que le gouvernement dévalise l’argent de la sécurité sociale pour résoudre tous les problèmes, à sa manière. En 2018, il a augmenté l’âge de la retraite et le nombre d’heures de cotisation pour y avoir droit. Les gens ont alors compris qu’il n’y avait plus d’argent. Les premières manifestations ont commencé à León, avec des personnes âgées. Aujourd’hui, le silence sur la Covid est une manière de ne pas adopter des mesures qui auraient un coût financier. Le gouvernement n’agit pas, ne prend aucune décision. Pire, il fait en sorte de se faire encore de l’argent. Le Nicaragua est le pays d’Amérique centrale où les tests Covid sont les plus chers et ne sont pas accessibles via le gouvernement dans les hôpitaux publics. Depuis le début de la pandémie, les chiffres de décès ont été complètement cachés à la population et le gouvernement a déjà changé trois fois le responsable du ministère de la Santé. Cette situation a poussé à la création de l’Observatoire des citoyens dont la mission est de trouver et diffuser des informations plus crédibles sur la réalité de la Covid au Nicaragua. En mars, il a établi que plus de 6 000 personnes supplémentaires étaient décédées par rapport au chiffre officiel.

Mon registre d’études a été complètement effacé. Je ne peux donc plus retourner à l’université publique.

Le gouvernement a fait voter des lois fortement critiquées, celle sur l’amnistie destinée officiellement aux manifestants mais perçue comme une protection des militaires, celle qui criminalise les « fausses informations » et une autre qui restreint l’éligibilité des opposants… Leur objectif est-il de consolider le pouvoir en place?

La loi d’amnistie a fait libérer une grande partie des prisonniers politiques comme moi. Mais elle est complètement arbitraire parce qu’elle ne prend pas en compte l’opinion et le bien-être des personnes concernées. Elle stipule par exemple que si on est pris à commettre de nouveaux actes de terrorisme, on peut à tout moment être arrêté et emprisonné. Mais le gouvernement a une conception large de la notion de terrorisme. Et il corrompt le système judiciaire. La sécurité et le droit ne sont donc aucunement garantis. Un exemple. Mon registre d’études a été complètement effacé. Je ne peux donc plus retourner à l’université publique où je suivais des études de médecine. Je n’ai plus accès non plus à un hôpital public, même en ces temps de pandémie. Il y a quelque temps, une femme en besoin urgent d’une césarienne a dû attendre huit heures à l’hôpital avant d’être prise en charge. Elle a perdu son bébé. Elle est la belle-soeur d’un opposant politique…

La contestation d'envergure du régime de Daniel Ortega a démarré en avril 2018 par l'opposition d'une partie de la population à la réforme des retraites.
La contestation d’envergure du régime de Daniel Ortega a démarré en avril 2018 par l’opposition d’une partie de la population à la réforme des retraites.© belga image

En quoi la définition gouvernementale de la notion de « terrorisme » expose-t-elle à des dérives?

Tout peut être considéré comme un acte terroriste. Certaines personnes ont été arrêtées alors qu’elles sortaient en rue avec le drapeau du Nicaragua. D’autres parce qu’elles portaient du rouge à lèvres… La police, le système judiciaire sont aux ordres du gouvernement et de la dictature. Ils font tout ce qu’ils veulent, comme quand j’ai été arrêtée à Masaya, en 2018. Ce jour-là, des gens ont mis, sous mon nez, des armes dans ma voiture et m’ont accusée d’en être la propriétaire. Les personnes qui, comme moi, ont été emprisonnées savent très bien qu’elles sont suivies chaque jour et que leur maison est surveillée. La majorité d’entre nous évite ce harcèlement en vivant hors du domicile familial.

Vous avez quitté le Mouvement du 19 avril à León pour préserver votre famille, qui a subi de fortes pressions, notamment pendant votre emprisonnement. Actuellement, vous travaillez au sein de l’Articulation des mouvements sociaux. Comment restez-vous active pour faire changer les choses?

C’est très difficile d’encore trouver des manières de manifester. En ce moment, tout s’organise en secret, sans faire trop de bruit parce qu’à chaque meeting, la police est immédiatement présente. Même apporter de l’eau et de la nourriture en prison est compliqué. Au début de la pandémie, on a essayé de transmettre du savon et des masques aux prisonniers. Cela n’a pas été autorisé alors que beaucoup d’entre eux souffrent d’hypertension artérielle. Ce n’est pas tout: à cause de leurs visites en prison, de nombreuses personnes ont perdu leur travail et donc les moyens d’acheter les produits de première nécessité. La principale stratégie du gouvernement est de limiter l’information dans le pays et à l’international. Du coup, j’essaie, à mon échelle, d’alerter le monde sur ce qui se passe dans les prisons et dans tout le Nicaragua (1). Je pense que la situation est bien pire qu’en 2018. Là, au moins, on pouvait sortir en rue pour manifester…

Le Nicaragua est le pays d’Amérique centrale où les tests Covid sont les plus chers.

Vous l’avez d’ailleurs récemment répété dans une lettre publique. Etait-ce pour faire réagir les grandes figures de l’opposition politique?

Oui. Des élections générales sont prévues en novembre alors que le gouvernement ne montre aucune volonté d’instaurer des changements réels. Il n’est pas possible de penser décemment à des élections alors que la situation des prisonniers politiques n’est pas résolue et que toute personne qui montre le bout de son nez pour dire ce qu’elle pense peut être mise en prison. Il faut que la communauté internationale refuse de valider ces élections, faute de quoi le gouvernement actuel pourra « arranger  » les résultats tel qu’il l’entend, comme il le fait depuis de nombreuses années. Dans cette lettre, je fais notamment référence à l’entrepreneuriat privé, qui est pratiquement au service de Daniel Ortega et Rosario Murillo. Depuis 2018, il ne prend pas de positions claires en faveur de la population alors qu’il pourrait stopper toutes les activités économiques pour faire pression sur le gouvernement.

Le président Ortega et la vice-présidente Murillo ou la dérive d'un régime vers la dictature.
Le président Ortega et la vice-présidente Murillo ou la dérive d’un régime vers la dictature.© belga image

Vous appelez aussi les futurs candidats d’opposition à venir sur le terrain voir comment le peuple vit. Pourquoi?

Il y a des mesures à prendre et des garanties à donner au peuple nicaraguayen pour qu’il puisse croire réellement à de véritables élections. Par exemple, la candidate à la présidence Cristiana Chamorro a récemment qualifié le contexte sociopolitique au Nicaragua de « brouhaha », comme si c’était sans importance. Ça a frappé beaucoup de personnes, particulièrement celles qui ont connu la prison. Il aurait avant tout fallu montrer du respect pour les victimes de la dictature, puis évoquer la justice, la liberté, la sécurité. Ma démarche a été mal comprise et Cristiana Chamorro a cru que je l’attaquais personnellement. Je faisais pourtant une critique générale des partis les plus visibles de l’opposition qui sont en train de s’accommoder de cette farce électorale. Ils se positionnent sans garantie de s’intéresser en priorité à ce que le peuple nicaraguayen demande depuis 2018 et que le gouvernement, en présence de garants internationaux, avait affirmé vouloir mettre en place. La situation est pitoyable et insoutenable, le temps passe et amène des jeunes – qui pourraient former l’opposition – à quitter le pays au même titre que 100 000 autres Nicaraguayens qui ont trouvé refuge à l’étranger et sont, de surcroît, poursuivis dans leur pays d’accueil.

Par des « agents spéciaux » du gouvernement nicaraguayen?

Ce sont surtout des paramilitaires. Depuis 2018, le gouvernement a libéré des prisonniers de droit commun et a attiré les plus violents dans les rangs des paramilitaires. Certains détenus, accusés de viols, de meurtres, sont sortis avec la même loi d’amnistie qui m’a fait libérer. En plus de compliquer la situation sécuritaire en dopant les chiffres de la violence, certains de ces anciens prisonniers ont créé des groupes qui suivent ceux qui fuient au Costa Rica, au Panama ou au Honduras pour les surveiller et les mettre sous pression.

Le sandinisme, le mouvement qui a mis fin à la dictature en 1979, a-t-il encore un avenir au Nicaragua?

La situation a tellement dégénéré que je ne pense pas qu’un retour aux origines du sandinisme soit possible. Cette période a signifié tellement de pertes et de douleurs pour le Nicaragua qu’il serait bien difficile de changer l’image du sandinisme. Je pense en outre qu’un changement radical est nécessaire pour qu’il soit réel. Le Nicaragua a besoin d’un vrai compromis dans lequel la population puisse avoir confiance et d’une redéfinition du pouvoir du chef du gouvernement.

Le Nicaragua dépend beaucoup des apports financiers extérieurs. Etes-vous partisane de sanctions pour forcer le gouvernement au dialogue?

Tout à fait. Même si des sanctions ont été appliquées, notamment à travers le Nica Act américain, des organisations telles que la BID (Banque interaméricaine de développement) et la BCIE (Banque centraméricaine d’intégration économique) continuent à octroyer des prêts au Nicaragua et oxygènent donc cette dictature. Tant que cette dictature sera au pouvoir, il y aura toujours des prisonniers politiques et des opposants persécutés. Pour obtenir de réels changements, la première chose est de se défaire de cette dictature, qui n’a pas le bien-être de la population dans ses priorités.

(1) Pour son action, Amaya Coppens a été élue personnalité sud-américaine la plus remarquable de l’année 2019 par le quotidien espagnol El Pais et a reçu le Prix international des femmes de courage 2020.

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