Avant les élections législatives et présidentielle du 7 novembre, Daniel Ortega et Rosiaro Murillo ont fait arrêter une cinquantaine d'opposants. © getty images

Nicaragua: Daniel Ortega, le pouvoir à tout prix

Ludovic Hirtzmann Journaliste correspondant au Canada

L’ancien révolutionnaire sandiniste a décapité l’opposition. La preuve par la mascarade d’élections du 7 novembre où il a été réélu. Pour se maintenir au pouvoir, il peut compter sur la Russie, Cuba et le Venezuela.

Le président du Nicaragua Daniel Ortega a été réélu ce dimanche pour un quatrième mandat de cinq ans avec 75% des voix, selon des premiers résultats officiels partiels rendus publics ce lundi par le tribunal électoral.

Ces résultats partiels officiels sont basés sur 49% des bureaux de vote, selon le tribunal électoral, qui donne un taux de participation de 65,34%. Un observatoire proche de l’opposition, Urnas Abiertas, donnait un taux d’abstention de 81,5%, basé sur les données de 1.450 observateurs non autorisés présents dans 563 bureaux de vote, durant cette présidentielle qualifiée de « comédie » par le président américain Joe Biden.

Une cinquantaine de dirigeants de l’opposition ont été arrêtés en prévision des élections, la conclusion d’un processus entamé il y a plusieurs années pour laisser le champ libre au Front sandiniste de libération nationale (FSLN). En vertu d’une loi sur la souveraineté du pays adoptée en décembre 2020, les opposants, accusés de trahison, ont été écartés du processus électoral pour avoir prôné l’imposition de sanctions contre le Nicaragua. Les ONG étrangères ont quitté le pays après avoir dû s’enregistrer comme « agents étrangers ». Et l’Eglise? « Les évêques sont des terroristes« , tonne Daniel Ortega.

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L’ancien commandante ne tolère que quelques candidats d’opposition inoffensifs. Les plus susceptibles de le détrôner ont été arrêtés, telle Cristiana Chamorro, donnée gagnante face à l’ex-révolutionnaire. La fille de l’ancienne présidente Violeta Chamorro est en résidence surveillée. « Les candidats qui restent sont faux, inventés par le régime. Il y a une drôle de liste de ces partis fabriqués à la dernière minute, où le candidat à la présidence a ses frères, ses oncles, ses cousins sur la liste des députés », a confié au journal espagnol El Diario l’écrivain nicaraguayen Sergio Ramírez. Il est bien loin le 17 juillet 1979, le jour de l’allégresse (« dia de la Alegria »), marquant la victoire de la révolution sandiniste et la chute du dictateur Anastasio Somoza. Elu officiellement président en 1984, après avoir coordonné la junte entre 1979 et 1984, Daniel Ortega a pourtant quitté démocratiquement la présidence en 1990. Mais le patron du FSLN, réélu trois fois depuis 2006, n’a plus voulu se retirer ensuite.

Prise de contrôle du pays

Depuis quinze ans, le couple Ortega-Murillo a pris possession de ce pays de six millions d’habitants, grand comme quatre fois la Belgique. Les neuf enfants du président et ses proches ont acquis au fil des ans les principales radios et télévisions, via des joint-ventures avec la compagnie nationale des pétroles vénézuéliens (PDVSA). Caracas aurait versé plus de 3,2 milliards de dollars d’aides diverses à Managua jusqu’en 2017. Plusieurs journaux d’opposition ont dû fermer leurs portes à la suite des pressions du pouvoir. Le principal quotidien du pays, La Prensa, n’a plus reçu de papier pour imprimer ses éditions. L’empire médiatique Ortega-Murillo contrôle les esprits. Rosario Murillo y veille particulièrement, qui, quotidiennement, intervient dans des émissions télévisées.

Les proches du leader sandiniste sont aussi propriétaires de sociétés de publicité, de chaînes de stations-service et trustent les contrats publics. Afin de neutraliser les dissidents, la famille Ortega a utilisé une vieille tactique: les pousser à l’exil, d’où leurs voix sont inaudibles au Nicaragua. Environ cent mille Nicaraguayens ont fui au Costa Rica voisin depuis les manifestations de 2018, lorsque des milliers de personnes ont disparu, ont été blessées, ou emprisonnées. Ramon Augusto Mairena Salgado, conseiller libéral de la province de Nueva Segovia, à la frontière du Honduras, est de ceux-là.

Exilé au Costa Rica, le quadragénaire confie: « J’ai commencé à manifester toujours pacifiquement, comme la majorité des opposants. J’ai été arrêté en mai 2018. On m’a envoyé pour des interrogatoires à Managua, à la prison d’El Chipote, celle du dictateur Somoza, d’où on ne sortait pas vivant. La torture a été physique – j’ai reçu beaucoup de coups – et psychologique. Les policiers nous interdisaient tout contact avec la famille. » Pendant les interrogatoires, le politicien a eu deux dents arrachées. « Nous étions quatorze dans une cellule de quatre mètres sur trois, dans l’urine, les excréments, avec l’impossibilité de s’allonger », se souvient Ramon Salgado.

Des alliés fidèles

Les manifestants du printemps 2018 ont sous-estimé les soutiens internationaux du couple Ortega-Murillo. Le régime sandiniste se maintient grâce à plusieurs alliances. Principale protectrice, la Russie, déjà proche d’Ortega au temps de l’URSS. Managua a pris livraison de deux cent cinquante autobus russes en octobre. Moscou a modernisé l’armée nicaraguayenne et livré cinquante tanks T72B1, deux hélicoptères Mi-17V-5 et douze systèmes antimissile. Selon plusieurs sources, les Russes ont pu installer un centre d’écoute dans le pays. Enfin, le Kremlin a envoyé 3,9 millions de doses du vaccin Spoutnik et La Havane 1,2 million de doses de ses vaccins Soberana et Abdala le 21 octobre pour vacciner les enfants de 2 à 11 ans. La coopération avec Cuba et le Venezuela repose aussi sur la présence de conseillers militaires. Autres soutiens de Managua, la Turquie et l’Iran, tant dans les domaines de l’agriculture que de la technologie et de la cybersécurité. Mais aussi le Bélarus où le ministre des Affaires étrangères nicaraguayen s’est rendu en octobre.

Aujourd’hui en exil en Espagne, Sergio Ramírez, qui fut aussi vice-président au début de la révolution sandiniste, précise que l’actuel président avait l’ambition de « revenir au pouvoir (en 2006) et de ne jamais le quitter ». Et l’ancien compagnon de route d’Ortega de conclure: « Je pense qu’il y a deux grands moments du Front sandiniste. Celui de 1979, lorsqu’il a pris le pouvoir par les armes, et celui de 1990, où il l’a quitté par des votes. »

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