Mickey Rourke, de rebelle attachant aux excès autodestructeurs
Tout l’été, Le Vif/L’Express retrace la carrière d’acteurs au parcours en dents de scie, et aux choix pas toujours avisés. Cette semaine, Mickey Rourke, le rebelle attachant, à la folle présence à l’écran, qui s’est mis lui-même aux abonnés absents.
Certains se construisent une carrière, d’autres la subissent, d’autres enfin se plaisent à la détruire alors même que les sommets leur semblaient destinés. Mickey Rourke appartient à cette dernière catégorie d’acteurs, celle des étoiles filantes, des autosaboteurs, des rebelles à tout y compris à eux-mêmes, des grandes gueules pourtant mal dans leur peau et des ingérables constitutionnels. A 30 ans (qu’il ne faisait pas), sa fabuleuse présence incendiait l’écran des films de Coppola et de Cimino. Le premier lui avait offert le personnage du Motorcycle Boy dans son romantique, juvénile et stylistiquement très inspiré Rusty James. Le second lui avait entrouvert – pour un petit rôle – sa Porte du paradis avant d’en faire le flic obsessionnel de son flamboyant polar L’Année du dragon. Une tournée promotionnelle avait amené Cimino et Rourke à Bruxelles, où l’acteur avait affiché un séduisant mélange de confiance en lui et de sensibilité, trouvant le temps – à l’occasion d’une rencontre avec des étudiants en cinéma – de tomber amoureux d’une fille de diplomate qu’il allait retrouver par la suite, incognito, dans notre capitale. L’anecdote révèle la dualité de cet homme qui devait vivre un mariage tumultueux avec Carré Otis (sa partenaire du très érotique Wild Orchid), s’afficher en sex-symbol du sado-maso Nine oe Weeks, tout en restant capable d’élans romantiques et même platoniques comme celui de l’épisode bruxellois…
Descente aux enfers
Le contraste affirmé entre des caprices de star de plus en plus pénibles et un coeur tendre au fond déchire Mickey Rourke depuis que le succès a frappé à sa porte. Sous la peau tannée du frimeur arrogant vibrait et vibre encore sans doute une fragilité touchante. La fracture est profonde en ce gars qui fit tout pour se faire détester du système, à coups de prétention et d’indiscipline crasse, de lampées d’alcool et de lignes de coke, de refus suicidaires aussi comme quand il rejeta la proposition de Dustin Hoffman d’être son partenaire dans Rain Man (ouvrant la voie à… Tom Cruise), ou celle d’incarner Jack Crawford dans Silence of the Lambs (Scott Glenn le remplacera). Grand amateur de rock, Mickey citera la chanson de the Clash I Fought the Law (1) pour constater : » J’ai combattu le système et il m’a mis une branlée ! »
On avait voulu voir en lui » le nouveau Marlon Brando » ; non sans raison vu son talent et sa présence charismatique, très sexuelle. Mais si son glorieux aîné fut comme lui un rebelle, le côté autodestructeur de Rourke prit peu à peu le dessus. Et commença une descente aux enfers des films de deuxième puis de troisième zone, souvent condamnés à une diffusion directe en vidéo, où il s’autocaricaturait tandis que d’autres triomphaient dans les rôles qu’il avait refusés… Son ultime création marquante de l’époque, dans Barfly de Barbet Schroeder (en 1987), le voit interpréter un poète alcoolique, inspiré de Charles Bukowski, romancier et auteur du scénario. Mickey côtoie l’écrivain sur le plateau, et partage quelques bouteilles avec lui. Mais ses compagnons de sortie favoris ont pour nom Tupac Shakur (le rappeur sulfureux, qui sera assassiné en 1996) et Christophe Rocancourt (l’escroc célèbre, qui sera condamné pour abus de faiblesse sur la réalisatrice Catherine Breillat). A Cannes, où il vient présenter Barfly, il arbore un Stetson, une dégaine de cow-boy version bling bling, chemise brodée d’or et bagues à tous les doigts. Une poignée de costauds vêtus de la même manière l’accompagnent, formant un entourage aussi folklorique de look que pénible avec presque tout le monde. Mickey assume, fait des allusions à peine voilées au pedigree louche de sa » crowd « , sa bande. Laquelle ne l’aidera pas à revenir sur terre quand ses délires autodestructeurs l’exileront volontairement des spotlights…
» En prendre plein la gueule »
Fin 1990, la chute s’accomplit. Celui à qui on promettait tôt ou tard un Oscar est élu » pire acteur de l’année » aux Razzie Awards (2) pour ses » performances » dans Wild Orchid et le remake calamiteux de Desperate Hours par un Cimino lui aussi au fond du trou. Rourke encaisse, et réagit… en se lançant dans une carrière de boxeur professionnel ! Adolescent, le ring avait été sa première passion. Il y remonte » parce que je me détruisais moi-même, parce que je n’avais plus aucun respect pour l’acteur que j’étais, alors je suis retourné à cette profession qui pouvait réellement me faire redevenir humble… » Dans un entretien réalisé quelques années plus tard, il allait nous confier qu’il avait » eu envie d’en prendre plein la gueule « . Il allait être servi ! Car si son palmarès de 1991 à 1994 signale 6 victoires (dont 4 par knockout), 2 matchs nuls et aucune défaite, ses adversaires, pourtant de très modeste renommée, lui auront infligé les coups qu’il cherchait à prendre. Avec pour conséquences plusieurs opérations de chirurgie réparatrice et un visage à jamais cabossé. Un visage qui refera surface, contre toute attente, dans la seconde moitié des années 2000, d’abord dans l’adaptation de la bédé de Frank Miller Sin City (il joue Marv, colosse intelligent, psychopathe et violent), puis surtout dans The Wrestler où le surdoué Darren Aronofsky lui offre un personnage de catcheur autrefois célébré mais tombé dans un oubli misérable, dont il sortira pour un come-back des plus inattendus. Rarement la fiction et la réalité se seront aussi bien fait écho ! Randy le Bélier, ex-star meurtrie dans sa chair comme dans son âme et ayant gâché sa vie permet à Mickey Rourke d’exorciser ses propres démons, pour une prestation bouleversante qui fit l’unanimité (avec, à la clé, un Golden Globe et une nomination à l’Oscar, que remportera Sean Penn pour Harvey Milk). A 56 ans, reconnu pour la toute première fois dans le rôle principal d’un film, l’ex-élève de l’Actor’s Studio pouvait enfin savourer. Et se souvenir des mots du grand Elia Kazan, déclarant à l’époque que son audition d’étudiant était la meilleure qu’il ait jamais vue.
(1) Le groupe y chante » I fought the law and the law won « , » J’ai combattu la loi et la loi a gagné « .
(2) Parodie des Oscars, » récompensant » les films et les acteurs les plus nuls de l’année écoulée.
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