Marseille est-elle devenue le nouveau Chicago ?

Le neveu d’un ex-baron de la drogue marseillais a été abattu mercredi soir de plusieurs balles alors qu’il se trouvait au volant de sa voiture. Un crime qui s’ajoute à une longue liste. Pourquoi l’insécurité règne-t-elle dans la cité phocéenne ? Voici quelques pistes pour tenter de comprendre cette vague de violence.

Pas une semaine ne passe sans que la cité phocéenne ne soit endeuillée par un nouveau meurtre. Mercredi soir, un commerçant de 39 ans, connu des services de police et neveu d’un ex-baron de la drogue marseillais, a été abattu de plusieurs balles alors qu’il se trouvait au volant de sa voiture. « Il a été atteint par des projectiles, semble-t-il de fusil d’assaut, ce n’est pas encore absolument certain, mais ça ressemble à de la kalachnikov, tiré par un tireur et peut-être un second », a indiqué Jacques Dellast, le procureur de Marseille. Et d’ajouter: « C’est une exécution organisée et réussie manifestement ». Jeudi dernier, un jeune homme de 25 ans avait été tué par deux hommes à moto. Au début du mois, un homme de 56 ans a été abattu, un homme et une femme ont également tués par balles début mars.. Et la liste est longue. En 2011, 20 règlements de comptes ont été recensés dans les Bouches-du-Rhône (29 victimes, dont 16 morts), dont 15 à Marseille (23 victimes dont 13 morts). Marseille est-elle devenue Chicago? Les trafics de drogue sont-ils à l’origine des violences? Voici quelques pistes pour comprendre l’insécurité qui règne à Marseille.

Pourquoi la délinquance est-elle si forte à Marseille?

Laurent Muchielli, chercheur au CNRS et fondateur de l’observatoire régional de la délinquance en région PACA, explique le haut niveau de délinquance par la géographie de la cité phocéenne, qui a conservé « sa banlieue au coeur de la ville ». En effet, contrairement à Paris ou Lyon, qui ont « expulsé » les quartiers très pauvres en dehors de la ville, la cité phocéenne a conservé ses banlieues au sein même de la ville. On parle souvent des quartiers « nord » mais même dans le centre-ville, les zones de pauvreté sont nombreuses. La délinquance marseillaise équivaut à celle des grandes villes et de leurs banlieues. La seule différence, c’est qu’à Marseille, elle est concentrée et se caractérise par une situation sociale très contrastée. Cela est également lié à la géographie de la ville. Près d’un quart de la population vit dans des quartiers prioritaires et le taux de chômage est presque le double de celui des grandes villes. La topographie de la ville fait que la très grande pauvreté côtoie des zones huppées. Ces différences économiques et sociales créent une situation de tension.

De la petite délinquance au grand banditisme

Des vols de colliers en or directement au cou des Marseillaises fortunés aux trafics de drogues, nombre d’habitants ont une anecdote à raconter sur l’insécurité. Et faute de se sentir protégés, certains cherchent, parfois, des boucs émissaires. Les promesses faites par les différentes ministres de renforcer les effectifs pourront-elles inverser la tendance? Alphonse Giovannini, représentant du syndicat Unité-Police, en doute. « On bouche les trous, mais il manque toujours 300 policiers », clame-t-il. « On ne compte que 15 enquêteurs pour combattre le trafic des stups dans le département des Bouches-du-Rhône », déplore le syndicaliste. Difficile, par conséquent, de lutter contre l’économie souterraine. Le trafic de shit serait présent, à Marseille, dans près de la moitié des cités. Il y fait vivre des familles entières; depuis les gamins déscolarisés transformés en guetteurs jusqu’aux retraités jouant les « nourrices » et qui cachent le cannabis dans leurs appartements. Ce florissant commerce de la drogue engendre une violence que la ville a rarement connue dans son histoire, pourtant peu avare en coups de feu. Les règlements de comptes ont, en un an, coûté la vie à 15 personnes; des jeunes pour la plupart. La quête de l’argent facile, motive ce mode ultraviolent d’arbitrage des « différends ». Souvent, les gangs rivaux utilisent une arme de guerre pour « arroser », un peu au hasard, en direction de l’ennemi du moment, au risque de toucher des passants. « Les grands voyous alimentent encore les petits en drogue, mais ils ont abandonné le contrôle de la rue aux caïds des cités », note un enquêteur.

La Kalachnikov, nouvelle arme des banlieues

L’usage des armes – des vraies ou des copies parfaitement imitées – s’impose, pour qui veut faire sa place dans ce chaudron. Et même, plus largement, comme un véritable must dans les cités. « Maintenant, on prend des kalachnikovs pour braquer des épiceries », constate, inquiet, le procureur Jacques Dallest. Pistolet ou fusil d’assaut en main, les minots ne craignent plus rien ni personne. La Kalachnikov a quitté les terres de guérilla pour coloniser les banlieues « sensibles ». Elle est devenue l’arme à posséder pour contrôler l’économie souterraine. Marseille n’est pas en reste, en témoigne le nombre de règlements de comptes avec ce type d’arme. D’où viennent ces armes désormais si prisées? De l’ancien bloc de l’Est pour l’essentiel. « Avec l’ouverture à l’Est, les guerres dans les Balkans, les armes d’origine russes ont déferlé en Europe » constate un commissaire qui fut, à cette époque, responsable de la lutte contre les filières d’importation clandestines d’armes à la Direction Centrale de la Police Judiciaire. Et si leur importation est surtout entre les mains d’organisations mafieuses, elles peuvent, également, arriver en France grâce à un trafic de « fourmis ». Par des passeurs qui utilisent les lignes internationales de cars et franchissent les frontières en dissimulant dans leurs bagages un fusil d’assaut en pièces détachées.

LeVif.be avec L’Express

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