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Maher El-Assad, frère et bourreau

Chef des centurions du régime syrien, le cadet de Bachar s’affirme comme le gardien sans états d’âme des intérêts du clan El-Assad. A Damas, la répression reste une affaire de famille.

Dans la famille El-Assad, le frère… Maher, 44 ans, passe à juste titre pour la brute épaisse de la fratrie, voire le « boucher » du clan alaouite. Commandant de la 4e division blindée du 1er corps d’armée, unité d’élite suréquipée forte de 10 000 à 15 000 hommes, et patron de la garde républicaine, phalange prétorienne du régime, cet officier taiseux a supervisé l’assaut final lancé fin février sur le quartier de Baba Amr, ultime bastion tenu par les insurgés au c£ur de Homs, dans l’ouest du pays ; et ce moins d’un an après avoir maté dans le sang les rebelles de Deraa (Sud), berceau et épicentre du soulèvement. Un exécutant zélé, avancent quelques « syrianologues » ; le vrai chef d’orchestre d’une répression qui a coûté la vie à plus de 8 000 Syriens, rétorquent d’autres. Débat spécieux, à l’heure où la survie du pouvoir repose sur le tandem que forment l’appareil militaire – forces spéciales en tête – et les services de renseignement.

Maher, l’impitoyable centurion, lorgnerait-il sur le sceptre de Bachar el-Assad ? Peu probable. Bien sûr, lors des obsèques de l’aîné Bassel, dauphin désigné décédé en 1994 au volant de son bolide, une cohorte de miliciens avait scandé son nom. Le patriarche Hafez aurait alors hésité avant d’écarter le benjamin, jugé impulsif et colérique, et d’introniser Bachar, sommé d’abandonner sa retraite dorée londonienne et ses études d’ophtalmologie. Les rares témoins des jeunes années de Maher décrivent un adolescent misanthrope et renfrogné, affecté d’un bégaiement prononcé. S’il entreprend des études d’ingénierie mécanique, ce bagarreur épris d’arts martiaux et de sports de combat – il pratique assidûment le taekwondo et le kick-boxing – affiche très tôt sa passion pour le métier des armes. Au fil des ans, le caïd de la 4e DB cultivera son profil de faucon enragé et cruel, sinon sadique. Alimentée au besoin par son entourage, la rumeur le décrit piétinant les dépouilles d’insurgés à Deraa, giflant la conseillère favorite de Bachar, Bouthaina Chaabane, ou menaçant de mort sa belle-s£ur Asma, suspectée de songer à fuir vers Londres. Vraies ou fausses, les brutalités et les atrocités prêtées à Maher ont au moins pour effet de renforcer la terreur qu’il inspire, patente chez les réfugiés passés au Liban ou en Turquie. Une certitude : sur la vidéo tournée en 2008, peu après l’écrasement meurtrier d’une mutinerie survenue à la prison de Sedneya, c’est bien le désinvolte Maher que l’on voit photographier à l’aide de son téléphone portable les cadavres démembrés qui émergent de monceaux de gravats. En juin 2011, le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, atterré par une « sauvagerie » qui vaudra au tueur d’être visé nommément par les sanctions américaines et européennes, puis épinglé par la Ligue arabe, invite vainement Bachar à l’exiler.

« Les Borgia sans la Renaissance »

Comment le pourrait-il ? Si le raïs aux allures d’échassier nonchalant demeure le primus inter pares du conseil de famille de la tribu Assad, il lui faut ménager la coterie qu’animent sa mère Anissa, sa s£ur aînée Bouchra, rugueuse virago, et l’oncle maternel Mohammed Makhlouf, ce trio convaincu que toute concession serait suicidaire. D’emblée, la veuve d’Hafez aurait d’ailleurs signifié à l’héritier qu’il paierait d’un lâchage tout signe de tiédeur ou d’indécision. Champion de ce « noyau dur », Maher n’hésite pas si besoin à s’aventurer dans l’arène politique : dès 2000, il avait, avec d’autres, persuadé le grand frère d’abréger le « printemps de Damas », illusoire ébauche d’ouverture. « Bachar désigne le cap, mais ne se mêle pas des modalités », soutient un diplomate familier du sérail. Le raïs sait aussi que, dans les villages les plus va-t-en-guerre de la montagne alaouite, il arrive que l’on brûle son effigie en chantant les louanges du dernier-né. Trente ans après, l’histoire semble bégayer elle aussi : Maher serait à Bachar ce que son oncle Rifaat – dont les « brigades de défense » anéantirent l’insurrection des Frères musulmans à Hama, en 1982, au prix d’un carnage – fut à Hafez.

« Les Borgia sans la Renaissance. » La formule inspirée à l’universitaire Pierre-Jean Luizard par la funeste saga de Saddam Hussein et des siens convient à merveille aux Assad. Et Maher, marié comme Bachar à une fille de la bourgeoisie sunnite, cavalière aguerrie, aura amplement contribué à enrichir le feuilleton. En octobre 1999, exfiltré manu militari d’un night-club libanais où ses frasques alcoolisées faisaient scandale, il blesse par balle son chaperon et beau-frère Assef Chawkat, ancien chef du renseignement, gratifié l’an dernier, au terme d’une longue disgrâce, d’un maroquin de vice-ministre de la Défense. Les deux hommes auraient depuis lors enterré la hache de guerre. Expurgée par la suite, la version initiale du rapport de la commission d’enquête internationale sur l’assassinat, en février 2004, de l’ex-Premier ministre libanais Rafic Hariri, les citait l’un et l’autre parmi les commanditaires présumés.

Il contrôle aussi les trafics de drogue et d’armes

Côté business, un pacte analogue, mélange de rivalité et de complicité, lie Maher à son cousin Rami Makhlouf, affairiste multicarte. Le benjamin doit une partie de sa fortune au blanchiment, via une banque libanaise, d’un pactole détourné dans les années 1990 par des officiels irakiens à la faveur du programme onusien Pétrole contre nourriture. Puissamment implanté dans les régions de Lattaquié et de Tartous (nord-ouest), il contrôle aussi, avec le concours d’une poignée d’obligés, les trafics transfrontaliers de drogue et d’armes. Et garde la haute main sur Al-Dunya TV, chaîne vouée à la propagande du régime.

Amateur de jeux de hasard, Maher brûle aussi parfois ses nuits aux tables de backgammon. Il sait donc que la force ne fait pas tout, que la chance tourne et qu’en Syrie les dés n’ont pas fini de rouler.

VINCENT HUGEUX, AVEC HALA KODMANI

La main de l’Iran

Selon des dockers de Lattaquié, une vingtaine de conteneurs suspects ont été débarqués de bateaux iraniens les 10 et 27 février. Leurs cargaisons auraient été convoyées jusqu’à Qardaha, fief du clan El-Assad, et entreposées dans le mausolée du défunt Hafez, père de l’actuel raïs. L’épisode reflète l’intensification du soutien de Téhéran. L’Iran procure des armes, du matériel d’écoute et de brouillage, mais aussi des conseillers, experts de la répression en zone urbaine. Loin de lâcher Damas, la Russie fournit, elle, des informations satellitaires sur les mouvements des insurgés de l’Armée syrienne libre. Un ambassadeur iranien confirme ainsi l’ampleur de l’engagement de son pays : « Que feriez-vous pour un ami proche en difficulté ? »

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