Carte blanche

Les tentatives de « balkanisation » de leur pays inquiètent beaucoup de Congolais, plus que leur passé colonial (carte blanche)

André Cnockaert, Belge ayant vécu plusieurs années au Congo, s’inquiète du « démantèlement » du pays africain, qui devrait selon lui être la première préoccupation des Belges alors que la commission parlementaire sur le passé colonial est en cours.

La publication récente du rapport des experts sur le passé colonial de la Belgique en vue de « guider les parlementaires dans leur travail », est qualifié par Mme Colette Braeckman, journaliste auSoir, de « bombe qui détruit quelques mythes fondateurs et nombre d’illusions. » Non sans raison et je n’ai pas l’intention de contredire cette éminente spécialiste de la question congolaise.

Et pourtant. Je suis un Belge qui a travaillé près de 50 ans en RD Congo après l’indépendance. J’y ai vécu à l’Est de la République (à Bukavu) durant la décennie 1990-2000, avant et après le génocide rwandais (1994). Encore avant ce génocide j’y ai entendu parler d’un « Empire des Grands Lacs » et vu des cartes qui montraient comment cet empire comprenait, outre le Rwanda, une grande partie de l’Est du pays qui s’appelait alors le Zaïre.

Rentré en Belgique depuis une dizaine d’années, je reçois presque quotidiennement des courriels ou des messages WhatsApp de Congolais qui se plaignent de ce qui se passe depuis plus de 20 ans à l’Est de leur pays, des tragédies humaines qui s’y déroulent et dont le Dr. et Prix Nobel Denis Mukwege témoigne à haute voix partout où il reçoit la parole, ou encore de l’inimaginable pillage des richesses du sous-sol. Tout récemment le ministre rwandais du commerce déclarait avec fierté que son pays (qui n’a pas de cobalt dans son sous-sol) est le plus grand exportateur de cobalt de l’Afrique… Dans ce contexte, mes correspondants congolais expriment leur vive inquiétude quant aux « tentatives de balkanisation de la RD Congo« .

En 1961 le Belge René Beeckmans de Westmeerbeek S.J., fonda à Kinshasa la revue Congo-Afrique qui n’a jamais cessé de paraître mensuellement malgré toutes les vicissitudes de l’histoire du Congo postcolonial. Dans son numéro 554 (!) paru en avril 2021, je lis un article extrêmement inquiétant pour l’avenir de l’ancienne colonie belge indépendante (1). Le contenu de l’article est ainsi présenté en sommaire : « La balkanisation de la RD Congo (dans sa dimension politique) a parfois été considérée comme l’une des plus grandes menaces aux efforts de ce pays de se constituer en nation viable. Cet article démontre, à partir d’un point de vue socio-économique, que nous assistons déjà à une balkanisation de facto de la RD Congo ; elle a pris le visage d’une intégration régionale.« 

J’avoue que cela me met mal à l’aise par rapport au débat sur les méfaits de la colonisation, alors que des « forces » qu’on ose à peine nommer sont en train de tout faire pour démanteler le pays à l’égard duquel la Belgique débattra sur son devoir de réparation. Cela ne frise-t-il pas au cynisme ou à de l’hypocrisie ? Car, que fait la Belgique pour sauver son ancienne colonie de ce démantèlement ? N’y est-il pas question d’une certaine complicité qui est d’ailleurs inscrite dans l’histoire postcoloniale ? Le pays était à peine indépendant lorsqu’on a essayé de le démembrer en l’amputant du Katanga… Aujourd’hui on essaie de l’amputer du Kivu et de quelques autres provinces orientales riches en matières premières.

Il faut espérer que les parlementaires qui débattront ces jours-ci sur le passé colonial, auront ou prendront connaissance de ces faits dramatiques qui mettent en cause l’existence même du pays issu de l’héritage léopoldien et auquel la Belgique devrait réparation. Beaucoup de Congolais vivent les tentatives actuelles de « balkanisation » de leur pays comme une tragédie qui les inquiète bien plus que leur passé colonial.

(1) José Minaku S.J., La balkanisation de la RD Congo ou l’intégration régionale ? L’aliénation de facto de la partie orientale de la RD Congo.

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