Volodymyr Zelensky © AFP

Le président ukrainien s’adresse à des médias russes dans l’espoir d’enrayer la censure

Mailys Chavagne
Mailys Chavagne Journaliste Web

Volodymyr Zelensky a accordé dimanche une interview de 90 minutes à quatre journalistes russes. Quelques heures plus tard, le régulateur russe des médias Roskomnadzor s’est empressé d’interdire toute mention et publication de l’interview. Une tentative du Kremlin de censurer les médias nationaux et ainsi garder le contrôle sur le récit de l’invasion.

C’est la première fois, depuis le début du conflit, que le président ukrainien s’entretenait avec des médias russes, le pays responsable de l’invasion. L’interview de ce dimanche marque ainsi une tentative de Volodymyr Zelensky de délier les langues et mettre un terme à la censure en Russie. Une tentative immédiatement bloquée par le Kremlin qui a ordonné aux médias russes de s’abstenir de publier l’interview. Plus tôt dans la journée, un premier avertissement avait également été lancé par le censeur russe Roskomnadzor pour décourager tout entretien.

Sans doute par peur des représailles, les médias nationaux ont respecté les ordres des autorités. Les journalistes basés hors Russie – trois parmi les quatre médias présents lors de l’entretien – ont néanmoins eu moins de scrupules. Ils n’ont pas tardé à divulguer les propos du président ukrainien, qui se dit prêt à discuter « en profondeur » de la neutralité de l’Ukraine, mais qui n’a pas pesé ses mots au moment de décrire les actes des forces armées russes.

Une enquête a été ouverte contre les journalistes impliqués pour « déterminer leur responsabilité », a averti Roskomnadzor.

Censure russe: une « opération militaire spéciale »

Début mars, le président russe Vladimir Poutine a signé une loi prévoyant jusqu’à quinze ans de prison pour toute personne publiant des « informations mensongères » sur l’armée russe en Ukraine, visant « à la discrédité » ainsi que toute personne appelant à sanctionner Moscou. Un texte qui s’applique à la fois pour les médias et les particuliers, mais aussi aux journalistes étrangers présents sur le territoire.

Un musellement qui met à mal la liberté de la presse, dans un pays où la répression des médias est forte. Novaya Gazeta, journal indépendant basé en Russie, a ainsi décidé de ne pas publier l’interview. Non présent lors de l’entretien avec Zelensky, le média avait pourtant tenu à lui poser une question par le biais d’un collègue. Mais a finalement préféré se rétracter afin d’éviter la colère du Kremlin. « C’est tout simplement de la censure », a déclaré son rédacteur en chef, M. Muratov, lors d’un entretien téléphonique accordé au New York Times. Jusqu’ici, le Novaya Gazeta est parvenu à maintenir son activité en faisant quelques concessions : notamment utiliser la terminologie du Kremlin, qui qualifie la guerre d' »opération militaire spéciale » et non d’invasion.

Le Kommersant, un quotidien basé à Moscou, n’a pas non plus publié l’interview, alors que l’un de ses reporters, le journaliste Vladimir Solovyov, a participé à l’entretien.

Une autre vision de la guerre

Et si certains sites d’informations russophones – comme Meduza – sont actuellement bloqués par les autorités, plusieurs vidéos continuent de circuler sur YouTube. Des vidéos qui ont déjà été visionnées plus d’un million de fois, offrant aux Russes une image de la guerre très différente de celle qu’ils voient quotidiennement sur leurs écrans de télévision.

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Lors de l’entretien, le président ukrainien a notamment souligné ce qu’il considérait comme une « catastrophe humanitaire » dans la ville assiégée de Marioupol. Il a ainsi déclaré aux journalistes russes qu’il était « impossible » d’apporter de la nourriture, de l’eau et des médicaments aux civils à cause des forces armées russes qui bloquent toutes les entrées et sorties de la ville. « Les forces russes bombardent les convois d’aide humanitaire et tuent les chauffeurs », a-t-il ajouté, annonçant que la ville portuaire était « jonchée de cadavres, tant de soldats russes que de citoyens ukrainiens ».

Des corps que l’armée russe tarde à ramasser, selon Zelensky, qui accuse le Kremlin de faire preuve de mépris pour la vie des Ukrainiens, mais également de ses propres soldats tombés au combat. « D’abord ils ont refusé [de les ramasser], puis ils nous ont proposé des sortes de sacs », a-t-il déclaré, décrivant les efforts de l’Ukraine pour remettre les corps des soldats russes à leurs proches. « Écoutez, même quand un chien ou un chat meurt, les gens ne font pas ça ».

Une description de l’invasion russe qui va à l’encontre du récit du Kremlin. Les autorités russes continuent en effet de pointer du doigts les soldats ukrainiens, en les accusant de tirer sur leurs propres villes et en les blâmant pour les pertes civiles et les destructions.

Face aux efforts de censure effrénés du Kremlin, le président Zelensky n’a pas tardi à réagir. « Ils sont nerveux », a-t-il commenté dans une vidéo publiée sur Telegram. « Peut-être ont-ils remarqué que leurs citoyens commençent tout doucement à remettre en question la situation. » Une atteinte à la liberté de la presse qui intervient alors que de nouvelles négociations sont prévues ce lundi en Turquie entre les Ukrainiens et les Russes.

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