Elena Bonner (à dr.) félicitée par le roi Olav V de Norvège, à Oslo, le 10 décembre 1975. Elle a reçu le Nobel de la paix au nom de son mari empêché de quitter le territoire soviétique. © belgaimage

Le 9 octobre 1975, gloires et tracas du Nobel Sakharov

Ce pourrait être un jour de fierté nationale en URSS. En ce 9 octobre, c’est à un Russe que le célèbre Comité a décidé d’attribuer le prix Nobel de la paix. Pourtant, dans les abords du Kremlin, on ne festoie guère.

La récompense octroyée à Andreï Sakharov place même les dirigeants soviétiques dans l’embarras. Car cet homme n’est pas un ami du régime. Célèbre physicien, il est devenu un militant. Un défenseur des opprimés. Et un opposant des oppresseurs. A Moscou, la question devient angoissante: comment faire taire ce gênant dérangeur?

Andreï Sakharov obtient son diplôme de physique durant la Seconde Guerre mondiale. Il se fait ensuite engager dans un laboratoire à la pointe sur les questions nucléaires. Il y joue un rôle décisif dans la préparation de la bombe thermonucléaire que l’URSS fait exploser en août 1953. Sakharov commence à sortir de l’ombre. Récompensé du prix Staline, il devient, à 32 ans, membre de l’Académie des sciences de l’URSS. Homme du régime? Les autorités tentent en tout cas d’en faire un modèle. Un « héros du travail socialiste ». En 1963, le physicien collabore avec les autorités de son pays pour préparer le Traité de Moscou sur l’interdiction des essais nucléaires.

L’homme a une puissante conscience morale. Et s’il connaît bien le nucléaire, il en discerne surtout ses dangers. « Par amour de la vérité et de la justice », il commence à se lancer dans un autre combat: celui pour la liberté et les droits de l’homme. En 1968, il rédige des Réflexions sur le progrès, la coexistence pacifique et la liberté intellectuelle. Deux ans plus tard, il fonde un Comité pour les droits de l’homme. Le scientifique commence à devenir gênant. Il n’en est pas moins équilibriste. S’il dénonce le sort des prisonniers politiques, il rappelle aussi la vitalité de la voie socialiste.

L’attribution du Nobel de la paix provoque donc un sérieux malaise à Moscou. Car, comme l’analyse l’ambassadeur belge en URSS, cette consécration revient à « braquer les projecteurs de l’actualité sur une personnalité que « l’appareil » tente, en vain, d’ignorer, à défaut de pouvoir nier ». Si Moscou empêche le lauréat d’aller recevoir son prix à Oslo, il ne le contraint pas pour autant à l’exil. Serait-ce parce que le dissident connaît quelques secrets d’Etat? En attendant, dans les médias officiels, une violente campagne de dénigrement se met en place. Loin de servir la cause de la paix, Sakharov ferait le jeu des belliqueux, soutient-on dans les organes du pouvoir.

L’homme, pour autant, ne perd rien de sa fougue. En 1979, lorsque l’URSS envahit l’Afghanistan, il attaque à nouveau le régime. Qui finit par se lasser: en 1980, le Kremlin exile celui qu’il avait à l’origine couvert de gloire. L’académicien passera six années assigné à résidence à Gorki, une ville située à 400 kilomètres de Moscou. Il en reviendra en 1986, après l’accession au pouvoir de Gorbatchev. Arrive 1989. En juin, il est élu au Congrès des députés. En novembre, il apprend la chute du mur de Berlin. Il décédera en décembre.

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