Le 8 juin 2022, un masque rare de l’ethnie Suku était restitué à la RDC par la Belgique. Un premier pas. © getty images

La restitution, opportunité d’un nouveau partenariat avec le Congo

Le Vif

L’AfricaMuseum veut « optimiser » le rapatriement des objets d’art au Congo. Un partenariat devrait permettre aux jeunes de se réapproprier leur histoire.

En juin 2022, la Belgique adoptait une loi sur la restitution des objets volés ou achetés pendant la colonisation. Cette décision s’accompagnait d’un prêt à longue durée d’un masque de la communauté Suku, aujourd’hui exposé au Musée national de la République démocratique du Congo (MNRDC), à Kinshasa.

Le nouveau directeur de l’AfricaMuseum (musée royal de l’Afrique centrale, à Tervuren), Bart Ouvry, s’y est rendu en septembre dernier pour poursuivre les échanges et la collaboration culturelle et diplomatique entre les deux pays.

La RDC a en effet adopté, en novembre 2022, un décret portant sur la création d’une commission nationale chargée du rapatriement des biens culturels, des archives et des restes des corps humains soustraits au patrimoine culturel congolais. Plus d’une année après le geste symbolique ayant trait au masque Suku, où en sont les discussions entre les deux Etats?

Reconstituer plutôt que restituer

Si en Belgique, le concept de «restitution» porte uniquement sur les objets, en RDC, le terme, rarement employé dans le même sens, renvoie à des actions plus vastes. Il englobe la restitution des connaissances et met l’accent sur un processus de reconstitution historique et de réparation.

Ainsi, la commission mise en place demande un rapatriement plus large que le texte de loi belge ne le prévoit. Celui-ci stipule que les objets détenus par la Belgique mais appartenant à d’autres pays ne sont plus inaliénables, et peuvent donc être rapatriés.

Parmi les sujets de désaccord entre Kinshasa et Bruxelles, figure la question des archives et des restes humains, qui ne sont pas mentionnés dans la loi belge alors qu’ils sont réclamés par la RDC. Mais les demandes vont plus loin qu’un simple rapatriement physique. «La reconstitution de notre patrimoine est une question identitaire et de dignité», expose Damas Bwiza, docteur en philosophie et diplômé en anthropologie culturelle de l’académie des beaux-arts de Kinshasa.

Avant de rendre, il faut éduquer, reconstruire les failles provoquées par la colonisation.

Retracer l’histoire du Congo

Les institutions congolaises souhaitent notamment un soutien institutionnel et financier. Le MNRDC a acquis un terrain annexe pour y construire, à compter de mars 2024, un espace dédié à la conservation et au dépôt d’œuvres. Il mise sur la formation des chercheurs, conservateurs et restaurateurs pour étoffer ses collections, qui comportent actuellement quelque 33 000 objets.

Des moyens sont déjà mis en œuvre, avec des doctorants et chercheurs congolais, invités à analyser les archives et collections de l’AfricaMuseum plusieurs fois par an. Actuellement, cinq d’entre eux effectuent un séjour à Tervuren pour procéder à une restitution des connaissances des biens collectés et ainsi retracer leur histoire.

Pour Louise Pala Kamango, directrice de recherche à l’Institut des musées nationaux du Congo (IMNC), il s’agit d’abord de «faire parler le patrimoine». A ce titre, elle souhaite que la collaboration avec Tervuren s’intensifie car, pour elle, «la conservation est centrale dans le processus de réparation entre la Belgique et la RDC».

« Le récit n’est plus transmis »

L’impossibilité supposée des pays colonisés de garantir une conservation adéquate aux objets rendus revient régulièrement comme un argument pour empêcher la restitution. Il a été brandi par les Européens dans les années 1970, quand les Etats africains nouvellement indépendants ont réclamé une première fois la restitution de leur patrimoine.

Or, les objets que les Congolais réclament viennent pour la plupart de régions tropicales où des techniques de conservation étaient développées avant même l’époque coloniale. Néanmoins, avant le rapatriement, il s’agit d’abord de reconstituer l’histoire dont un peuple a été privé par la Belgique, et de réparer le préjudice par divers biais.

Pour les chercheurs du Musée de Kinshasa, la priorité est le travail de recherche sur la provenance des 84 000 objets conservés à l’AfricaMuseum. La colonisation et le pillage qu’elle a provoqué ont eu comme conséquence la perte de supports majeurs dans les communautés locales congolaises, dont la transmission est essentiellement orale.

«Quand un support iconographique n’est plus disponible, son récit n’est plus transmis, et peut être oublié», soulignait Bénédicte Savoy, coautrice, avec l’écrivain sénégalais Felwine Sarr, du rapport français sur la restitution du patrimoine culturel africain.

La parole au Congo

Au sujet du rapatriement des objets en tant que tel, d’autres préoccupations animent les Congolais. Pour beaucoup, à l’instar d’Eddy Ekete, artiste performeur à l’initiative du festival Kinact, le prêt du masque Suku, rapatrié à Kinshasa, montre que «le problème a été pris à l’envers: avant de rendre, il faut éduquer, reconstruire les failles provoquées par la colonisation». Augustin Bikalé, chargé de communication à l’Unesco pour la RDC, place comme préalable à la restitution des objets «la concertation sur ceux qui seront choisis et par qui, et sur leurs destinataires».

«La cession symbolique de propriété de tous ces objets à la société congolaise doit se faire sans condition», insiste Damas Bwiza, reflétant ainsi un sentiment largement partagé par les Congolais. Pour les cinq experts du musée de Kinshasa en mission à Tervuren, il s’agit avant tout de «recréer du dialogue, à la fois entre la Belgique et la RDC, mais aussi entre les Congolais et leur patrimoine».

Une revendication soutenue par le directeur du MNRDC, le professeur Henry Bundjoko: «Il y a des failles d’informations sur les objets [possédés par la Belgique] que seuls les habitants et habitantes du Congo peuvent remplir grâce à leur histoire et à celle de leurs familles. Les scientifiques qui font le pont entre les collections du musée de Tervuren et les communautés locales doivent être soutenus en tous points.»

Le Musée national de la RDC à Kinshasa accueillera les œuvres d’art restituées par l’AfricaMuseum de Tervuren.
Le Musée national de la RDC à Kinshasa accueillera les œuvres d’art restituées par l’AfricaMuseum de Tervuren. © belgaimage

Cette «reconstitution du savoir» répond aussi à un besoin de rebattre les cartes pour instaurer de nouveaux rapports Nord-Sud.

Une approche décoloniale

Un autre questionnement est posé par la société civile congolaise: la restitution s’inscrit-elle vraiment dans une démarche de décolonisation? Si la colonisation a officiellement pris fin au Congo en 1960, le néocolonialisme reste une réalité. Pour le combattre, il est nécessaire de partir des acteurs sur place pour penser les luttes anticoloniales. Or, beaucoup de groupes locaux se sentent encore écartés de ces réflexions. Comme l’exprime le philosophe camerounais Achille Mbembe, les enjeux autour du retour des objets en Afrique doivent surtout être l’occasion d’une «nouvelle éthique relationnelle».

Un scénario non occidental

Prisca Tankway, artiste peintre et chargée de cours à l’académie des beaux-arts de Kinshasa, ajoute qu’au-delà de la restauration des savoirs des communautés à travers les objets, l’enjeu est de «créer de nouveaux rapports de collaboration, plus égalitaires, entre la Belgique et la RDC».

Placide Mumbembele Sanger, professeur de sciences politiques à l’université de Kinshasa, en donne un exemple parlant. «Certains objets muséifiés en Europe sont des pièces destinées à des rituels précis (notamment d’initiation) et n’ont nullement vocation à perdurer dans le temps. Ils auraient du être enterrés, détruits, brûlés, ou simplement oubliés après leur utilisation rituelle.»

La nouvelle collaboration devrait donc permettre de «développer un scénario qui n’est pas un scénario occidental» à propos de la vie des objets.

Certains objets muséifiés en Europe n’ont nullement vocation à perdurer dans le temps.

C’est pour cela que les communautés locales congolaises revendiquent le droit d’en disposer à leurs conditions, au-delà des perceptions et regards des Européens qui les ont décorrélés de leur utilité originelle. Une piste évoquée par Prisca Tankway est ainsi de «sortir de l’ethnographie pure qui ne donne à voir que des objets sans histoire dans les musées occidentaux», par exemple en leur offrant une meilleure contextualisation.

Servir la modernité

L’artiste insiste aussi sur le pont qui peut être ainsi jeté entre le patrimoine historique et les artistes et artisans contemporains. Dans les sphères culturelles et artistiques à Kinshasa, l’accent est surtout mis sur la jeunesse. Cette approche de la restitution pourrait les reconnecter avec une histoire spoliée, les soutenir dans une production artistique émancipée et libre, et leur permettre de s’approprier leur histoire pour créer un art singulier.

A Kinshasa, cette perspective recueille un soutien massif. Le principal objectif est de capitaliser sur la nouvelle génération d’artistes. La Belgique pourrait être le partenaire de ce projet, pourquoi pas en leur offrant une place de choix dans ses musées.

La jeunesse et les enfants

Au-delà des artistes, c’est toute la jeunesse qui est visée. L’ONG Texaf Bilembo, installée à Kinshasa depuis 2013, accueille chaque année des centaines d’élèves lors de séances pédagogiques où des représentations de masques et objets du musée de Tervuren occupent une place de choix.

Quatre histoires ont été créées pour sensibiliser à l’écologie et offrir aux enfants congolais un accès privilégié à leur patrimoine. La directrice de cet espace culturel novateur, Chantal Tombu, explique vouloir «faire toucher les masques aux enfants pour les reconnecter à leur histoire et éviter qu’ils en aient peur». «Il faut rendre sa paix à l’Afrique, mais aussi écouter ce qu’elle a à dire», ajoute-t-elle.

Pour de nombreux acteurs culturels congolais, parler aujourd’hui de reconstitution et non pas de restitution est important: c’est un moyen de faire entendre les enjeux qui entourent la question du rapatriement des objets détenus par la Belgique. L’idée centrale est qu’il ne peut être opéré qu’après la recherche de leur provenance, le partage de leur signification avec les communautés locales et la confrontation avec leur histoire, en Belgique et au Congo.

Une exposition prévue en 2024 à l’AfricaMuseum sur ce thème permettra aux Belges de prendre conscience de la richesse et du sens de ces objets.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire