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Musée de Tervuren « décolonisé » : atouts et faiblesses

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Que voir à l’AfricaMuseum, qui ouvre ses portes au public ce 9 décembre ? La rénovation en profondeur du palais de Tervuren est une réussite, même si certaines salles sont inachevées et si le parking n’est pas prévu avant deux ans.

Plus de cinq ans qu’on attendait sa réouverture ! Plus de douze ans que le gouvernement fédéral a donné son feu vert à sa rénovation en profondeur ! Et le voilà enfin, le nouveau Musée royal de l’Afrique centrale, rebaptisé AfricaMuseum. A vrai dire, le chantier n’est pas tout à fait terminé : certaines salles doivent encore être aménagées ou finalisées, et le musée de Tervuren n’aura pas de nouveaux parkings avant deux ans. De même, il n’y aura pas d’exposition temporaire avant 2020, année où sera fêté le soixantième anniversaire de l’indépendance du Congo. Mais le public peut, dès ce 9 décembre, découvrir ce qu’est devenu l’ancien musée, agrandi et « décolonisé » (12 euros l’entrée, gratuit pour les moins de 18 ans).

Musée de Tervuren
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66,5 millions d’euros.

Le bâtiment, qui date de 1910, dégage un charme unique, mais l’infrastructure n’était plus du tout adaptée aux nécessités d’un musée du XXIe siècle. L’exposition permanente était dépassée : aucun lien n’y était fait avec la recherche scientifique et avec les thèmes de l’actualité africaine. Et seule une infime partie des collections était exposée. L’architecture imposante du palais a été respectée et ramenée autant que possible à son état initial. Les axes de vue ont été libérés et la cour intérieure a été partiellement dégagée. Doté d’un mur-rideau en verre, le pavillon d’accueil s’intègre dans l’environnement (le parc de Tervuren). Le musée dispose dorénavant d’un espace d’exposition et de circulation de 11 000 mètres carrés. Coût de l’investissement (construction, honoraires et financement) : 66,5 millions d’euros.

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Pirogue et homme-léopard en sous-sol

Une liaison souterraine de cent mètres de long relie ce pavillon d’accueil ultra-moderne au bâtiment du musée historique. Cette immense galerie aux murs, plafonds et sols blancs – un style minimaliste qui confère au lieu une ambiance un peu froide de clinique – sert d’écrin à la fameuse pirogue du musée, longue de plus de vingt-deux mètres (3 500 kilos) et qui pouvait transporter jusqu’à cent personnes. En 1957, lors d’un périple au Congo, Léopold III a descendu le fleuve Congo-Luluaba dans cette embarcation fabriquée par les habitants d’Ubundu, au sud de Kisangani. Le visiteur pénètre ensuite, toujours en sous-sol, dans une pièce où ont été rassemblées des statues en bronze de l’époque coloniale. Elles faisaient autrefois partie de l’exposition permanente (de 1908 à 1960, le musée était financé par le ministère des Colonies) et n’y ont plus leur place aujourd’hui. Parmi elles, figure l’homme-léopard de la confrérie des Aniotas, qui a inspiré Hergé pour une scène « culte » de Tintin au Congo.

Une femme-robot de 3 mètres de haut !

Ces statues « déboulonnées », place a été faite, dans les salles et halls du palais, aux écrans vidéo et aux oeuvres contemporaines d’artistes d’Afrique centrale et de la diaspora. Ainsi, la grande rotonde, espace symbolique, accueille une sculpture monumentale d’Aimé Mpane, artiste kinois installé à Nivelles : une tête d’Africain en bois ajouré est posée sur un socle en bronze qui s’écoule sur le sol, en réponse au bronze doré des anciennes sculptures encore présentes le long des murs. Plus surprenante est un autre oeuvre congolaise installée au coeur du musée : l’énorme femme-robot Moseka (« jeune fille » en lingala), conçue par la Kinoise Thérèse Izay Kirongozi, ingénieure en électronique. A Kinshasa, la présence de tels robots imposants (3 mètres de haut) et… non corruptibles vise à réduire les accidents de la circulation.

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Les animaux sortis des vitrines

Les plus belles pièces du musée – statuettes, masques, instruments de musique… – sont aujourd’hui nettement mieux mises en valeur. La faune africaine – éléphant, lion, zèbres… – est désormais exposée hors des vieux diaporamas, ce qui donne des sueurs froides aux responsables de la conservation de ces animaux empaillés. Un « cabinet des minéraux » fait à nouveau partie du parcours : la salle met en évidence la richesse des ressources minérales de l’Afrique centrale, qui contraste avec la pauvreté de la région.

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Autrefois placé dans la grande rotonde, un buste en ivoire de Léopold II réalisé en 1900 se retrouve confiné, aux côtés de défenses d’éléphant, dans une vitrine consacrée à l’exploitation de l’ivoire sous son règne.

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Des discussions parfois tendues

Plus largement, la scénographie porte un regard critique sur la « mission civilisatrice » de la Belgique et montre au public comment les Africains ont vécu la colonisation. « L’Etat indépendant du Congo fondé par Léopold II a été, avant tout, une entreprise capitaliste, accompagnée de violences et qui a fait des victimes, convient Guido Grijseels, directeur général de l’AfricaMuseum. A propos du Congo belge, on a beaucoup insisté sur les routes, les hôpitaux, les écoles construites dans le pays à l’époque coloniale, mais on a peu évoqué l’oppression militaire, le comportement raciste des Blancs, l’exploitation des populations locales. » La nouvelle muséographie a fait l’objet de longues palabres entre scientifiques européens et africains, discussions parfois tendues auxquelles ont été mêlés des représentants de la diaspora. « Au public de se faire une opinion », poursuit le directeur général.

Ouverts à la restitution

S’il a fallu attendre si longtemps le dépoussiérage du Musée royal de l’Afrique centrale, c’est parce que l’institution a perdu une partie de ses moyens après l’indépendance du Congo et parce que la Belgique n’était pas prête à entendre un discours critique sur le passé colonial, estime Grijseels : « Les mentalités ont commencé à changer il y a une vingtaine d’années seulement, depuis la commission Lumumba et les polémiques sur les exactions commises dans le Congo léopoldien. Le processus de  »décolonisation » du musée n’est pas terminé. Il va se poursuivre en collaboration avec la diaspora. De même, nous sommes ouverts à la restitution d’oeuvres d’art aux anciennes possessions africaines de la Belgique, mais ce processus prendra du temps. Nous allons collaborer avec le futur musée de Kinshasa construit par la Corée du Sud. Il devrait ouvrir ses portes au cours de l’été 2019. L’actuel musée national congolais compte quelque 85 000 objets conservés dans des conditions pas très optimales. »

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