Le mouvement La République en marche revendique 387 000 adhérents. Mais la ferveur militante est retombée, surtout chez les jeunes. © V. isore/ip3/maxppp

La République en marche, le talon d’Achille d’Emmanuel Macron

Le Vif

Doutes, introspection et contestations agitent le parti du président français. Après un congrès verrouillé et sans surprise, le mouvement La République en marche doit se réinventer.

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Il arrive que David devienne Goliath… C’est l’histoire de la République en marche (LREM). Né de rien, en avril 2016, le mouvement porte Emmanuel Macron à l’Elysée et une écrasante majorité (313 députés) à l’Assemblée nationale française. Sur son passage, la déferlante lamine les oppositions classiques. A priori, les Républicains comme le Parti socialiste ont plus de souci à se faire que l’organisation dévouée au président.

Mais les riches aussi ont leurs problèmes, et la victoire n’est pas toujours facile à gérer. Le 18 novembre, LREM s’est dotée d’un délégué général, Christophe Castaner, à la place d’une direction collégiale. Le congrès fut sans surprise. Mais le mouvement est en proie à la contestation : un candidat unique dans une élection, où est la promesse démocratique ? Au doute : non, les Marcheurs ne veulent pas devenir les béni-oui-oui du président. A l’introspection : à quoi peut servir une force de 387 000 adhérents une fois son héros au pouvoir ? Les Français, eux, ont tranché : selon un sondage Odoxa pour Le Figaro et France Info, les trois quarts estiment que LREM n’est pas un parti plus démocratique que les autres. Mais 60 % le créditent d’être le plus réformateur.

La base a vite fait d’opposer le citoyen – valeur sûre – à l’élu, dont elle se méfie

En marche ! obéit aux règles de la gestation humaine : après le bonheur de la naissance, la déprime post-partum. Durant l’été, les couloirs du siège se vident. Dirigeants, militants, bénévoles s’empressent de rejoindre les lieux du pouvoir. Il faut renouveler 80 % des effectifs. Remplacer les référents départementaux devenus députés, changer de direction (il y en a eu 4 en dix-huit mois) et de siège (4 aussi). La bienveillance imposée par Emmanuel Macron durant la campagne fait long feu. Rivalités, médisances, choc des ego se déchaînent sur Telegram, la messagerie préférée des macronistes… Le jour où les néodéputés investissent leurs bureaux à l’Assemblée, les jalousies se démultiplient. Tiens, En marche ! commence à ressembler aux autres.

Ah non, pas tout à fait… Le président de la République choisit une direction collégiale de trois personnes – Bariza Khiari, sénatrice, Arnaud Leroy, ex- député, et Astrid Panosyan, dirigeante d’entreprise – pour piloter son mouvement. Le fil rouge d’Emmanuel Macron : ne pas faire comme tout le monde. Peut-être le créateur d’En marche ! n’a-t-il pas envie de voir une personnalité forte s’emparer de son bébé.  » Ce petit côté : « Après moi, le déluge », c’est son défaut, concède un proche, il n’a pas envie que quelqu’un de visible lui succède.  »

Le jeune mouvement La République en marche a réussi dans le registre le plus classique des partis : porter son champion au pouvoir.
Le jeune mouvement La République en marche a réussi dans le registre le plus classique des partis : porter son champion au pouvoir.© T. reynaud/sipa

Incarnation forte

Vite, le président mesure les travers de ce choix. Pas de tête qui dépasse, c’est aussi pas de voix pour porter sa politique. Personne pour défendre des décisions parfois mal assumées au sein même du mouvement : baisse des aides personnalisées au logement et des emplois aidés, suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), hausse de la contribution sociale généralisée pour les retraités, etc. Et Richard Ferrand, président du groupe LREM à l’Assemblée, menacé de mise en examen dans une affaire immobilière (il bénéficie d’un classement sans suite le 13 octobre), ne monte pas au front pour vendre la politique du gouvernement.  » On s’est rendu compte qu’on avait besoin d’une incarnation forte « , explique Stanislas Guerini, député de Paris et l’un des pionniers d’En marche !

Etre différent des autres…  » C’est une condition de réussite du quinquennat : une partie de la transformation ne se fera pas par la loi, elle passe par les pratiques, poursuit avec enthousiasme Guerini. Par exemple, sur l’égalité femmes-hommes, l’environnement. Ou encore sur la suppression de l’ISF : elle ne se suffit pas à elle seule, il nous faut convaincre les intermédiaires financiers d’investir.  » Fédérer un réseau pour que les enfants de troisième puissent trouver un stage quand leurs parents n’ont pas de carnet d’adresses. Ou encore montrer à des jeunes comment créer une boulangerie citoyenne. Voilà les actions que le mouvement souhaite démultiplier.

Gagner les batailles culturelles, c’est bien. Gagner les élections, c’est mieux. Paradoxe, le jeune mouvement – qui ne veut pas s’appeler  » parti  » – a réussi dans la fonction la plus classique de ceux-ci : ils  » concourent à l’expression du suffrage « , affirme l’article 4 de la Constitution française. De nouveaux combats, cruciaux, s’annoncent : les élections européennes de 2019, les municipales de 2020, et les régionales et départementales de 2021. Les dirigeants de LREM assument cette mission :  » Je crois en la noblesse de notre vocation politique : il nous faut conquérir les lieux de pouvoir pour transformer la société « , dit Astrid Panosyan.

Moderne… et numérique

Mais la base a vite fait d’opposer le citoyen – valeur sûre – à l’élu – dont elle se méfie. Certaines des listes opposées à celles de Christophe Castaner pour l’élection du bureau exécutif s’enorgueillissent de ne compter aucun député.  » Il y a une culture qu’il faut combattre, dit Arnaud Leroy, c’est cette vision de l’élu devenu « un méchant » et qui ne fait plus partie de la société civile.  »

Les  » initiatives citoyennes  » lancées par LREM sont destinées à la fois à capter l’énergie des Français et à détecter les bons candidats.  » Le but n’est pas de repérer les personnes à mettre sur une liste électorale, mais si vous vous engagez, si vous êtes visible, alors vous pouvez vous présenter : ça marche dans ce sens-là « , explique Stéphane Roques, le directeur général de LREM. Les moyens affichés se veulent modernes et souvent numériques : des cours et formations en ligne (pour apprendre à s’engager, comprendre le budget, l’Europe, etc.), un programme pour détecter les talents bloqués par toutes sortes de plafonds de verre. Une opération de conquête des territoires perdus de la politique : En marche ! va dépêcher trois binômes (une femme un homme) de  » facilitateurs locaux  » pour s’immerger dans ces banlieues ou ces campagnes.  » Cette action est non partisane, affirme Etienne Lacourt, responsable du pôle projet. Les facilitateurs ne sont pas là pour se présenter aux élections, ni pour vendre la politique du gouvernement.  »

Les trois membres de la direction sortante de LREM (de g. à dr.) : Bariza Khiari, Arnaud Leroy et Astrid Panosyan.
Les trois membres de la direction sortante de LREM (de g. à dr.) : Bariza Khiari, Arnaud Leroy et Astrid Panosyan.© G. bassignac/divergence

Rue Sainte-Anne, à Paris, siège d’En marche ! depuis septembre dernier, on aime beaucoup les chiffres : après les législatives, le répondeur de LREM a enregistré quarante heures de messages ; la consultation sur le logement recueille 10 000 contributions en quatre heures et 20 % des réponses viennent de non-adhérents ; la charte des valeurs suscite 6 000 retours. Mais s’il revendique 387 000 adhérents, le mouvement sait qu’il ne peut prétendre à autant de militants. C’est logique : après la conquête du pouvoir, l’implication et la ferveur ont fortement diminué. Celles des jeunes en particulier, devenus une terre de reconquête.  » On ne les voit quasiment plus aux réunions « , reconnaît un référent départemental.

L’heure est à l’exercice du pouvoir. Donc à l’efficacité, maître mot qu’Emmanuel Macron impose à son mouvement. La démocratie, ses débats, ses confrontations, c’est bien gentil, mais ça fait perdre du temps, de l’énergie. Entre deux maux, le caporalisme ou le bordel, le président tranche sans hésiter. Ainsi, Christophe Castaner, candidat unique, a été désigné par le président de la République lui-même. Ainsi, les référents départementaux du mouvement ne sont pas élus, mais nommés par le siège. Arnaud Leroy défend cette posture martiale :  » A ce moment de l’existence de notre mouvement, c’est la formule qui nous paraît la plus stable.  » Le président, les élus, le mouvement, nous avons le même objectif : éviter la banalisation qui guette toute formation au pouvoir, analyse Gilles Le Gendre, député de Paris et vice-président du groupe LREM. En prévenant le risque de compétition interne, nos statuts rompent avec les traditions démocratiques des vieux partis. Même si cela peut choquer, c’est une bonne chose.  »

Nous avons vendu la promesse d’un dépassement du clivage droite-gauche qui n’est pas là

Le président centralise, le président décide. Durant la campagne, le candidat était tout aussi vertical. Mais les idées remontaient de la base au siège, et chacun pouvait se dire : l’important est que j’aie pu participer. Macron avait eu cette intuition de l’immense appétit des Français à s’impliquer dans la vie publique. Et aujourd’hui ?  » Le président veut que le mouvement continue, dit l’un de ses ministres, parce qu’il en a besoin, mais dans sa forme initiale, sous forme de mouvement et pas de parti. Il doit agréger des gens qui veulent être candidats, mais aussi des gens qui ont juste envie d’apporter des idées.  »

Les ministres défilent au siège LREM, Jean-Michel Blanquer (Education), Muriel Pénicaud (Travail), Brune Poirson (Transition écologique), Mounir Mahjoubi (Numérique). Le 14 novembre est lancé un appel à propositions pour nourrir le Tour de France de l’égalité, avec Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Le projet de loi sur le droit à l’erreur en matière administrative sera soumis, lui aussi, à consultation. Une grande marche européenne est prévue, en lien avec la ministre compétente, Nathalie Loiseau.

La courroie de transmission fonctionne. Dans les deux sens. Julien Denormandie, le secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Cohésion des territoires, s’est engagé à intégrer le plus possible les idées recueillies dans son futur projet de loi sur le logement. Le 13 novembre, c’est Agnès Buzyn qui est reçue par les permanents. La prestation de la ministre des Solidarités et de la Santé impressionne – elle connaît vraiment bien ses sujets -, même si elle ne convainc pas forcément les récalcitrants contre la vaccination obligatoire.

Entre le pouvoir et le mouvement, les rênes sont d’autant plus courtes que les personnes sont proches. Anne Descamps, directrice de la communication de LREM, est une ancienne du cabinet Macron, ministre de l’Economie. Comme Alexis Kohler, Ismaël Emelien, Sibeth Ndiaye, Stéphane Séjourné, tous à l’Elysée. Les contacts sont fréquents et informels. Le pôle idées LREM, piloté par Sandro Martin, encore un ancien conseiller d’Emmanuel Macron, travaille avec les membres des cabinets ministériels et de l’Elysée. Tous les mois, les communicants de l’Elysée, du cabinet du Premier ministre, du porte-parolat, du groupe à l’Assemblée et de LREM se réunissent.

Le parti La République en marche a l'ambition de définir une
Le parti La République en marche a l’ambition de définir une  » base doctrinale « .© S. leban/divergence

Bâtisseur

Le président recrute.  » Il fait partie des douze personnes que j’ai rencontrées, dit Stéphane Roques. Il m’a demandé ma vision du mouvement, il m’a posé les mêmes questions que les autres fondateurs.  » Le président cimente.  » LREM est la vigie des engagements d’Emmanuel Macron, respecter ceux-ci permet de tenir ensemble des gens qui viennent de familles diverses « , affirme un dirigeant du mouvement.

Le président réfléchit. En fait, LREM va le faire pour lui, mais il ne sera jamais loin de ce chantier. A ce jour, le mouvement n’a pas vraiment de doctrine. Sauf celle exprimée dans le livre programme du candidat, Révolution (XO), paru il y a un an, et dans ses discours de président.  » Nous avons vendu la promesse d’un dépassement du clivage droite-gauche qui n’est pas là. Nous sommes sans cesse ramenés au logiciel classique par les journalistes, l’opinion et nous-mêmes « , souligne un député LREM. Il cite en exemple les propos de Brigitte Bourguignon, députée de la majorité venue du PS, qui déclare publiquement vouloir  » incarner la jambe gauche  » du projet d’Emmanuel Macron. Les ordonnances sur le droit du travail, la suppression de l’ISF, la hausse de la CSG pour les retraités, la baisse des emplois aidés sont donc  » de droite « . La hausse des minima sociaux, la suppression de la taxe professionnelle, les réformes à venir de l’assurance-chômage et de la formation professionnelle sont  » de gauche « .

 » Il nous faut construire une base doctrinale, reconnaît Astrid Panosyan, réunir des intellos, des experts, faire des appels à projets avec des associations.  » LREM ne veut pas se cantonner à la définition de politiques publiques, mais travailler aussi à un projet de société : la place du travail, les inégalités de destin, thème cher à Macron, etc.

La protection sociale (avec le débat sur l’universalité des allocations), le rôle de l’entreprise, les grandes questions de moeurs, la transition écologique et l’Europe devraient être au menu. Un atelier des idées va être lancé par Sandro Martin. Un do tank plutôt qu’un think tank : une machine à faire et pas seulement à penser. Un proche du président remarque :  » D’ici à la fin de 2018, Emmanuel Macron aura accompli toute l’oeuvre législative prévue par son programme. Il y a tout le reste, ce qui ne se modifie pas par loi ou décret, mais par le mouvement de fond de la société.  » Et il y a une élection en 2022.

Par Corinne Lhaïk.

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