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La face cachée de Marine Le Pen

Elle veut « dédiaboliser » le FN mais vient de déraper dans les pas de son père: Marine Le Pen est-elle rupture ou continuité?

Marine Le Pen sur les traces de son père. La vice-présidente du Front national est bien placée pour savoir que toute référence à la Seconde Guerre mondiale constitue une bombe à fragmentation immédiate. Elle l’a pourtant déclenchée en comparant les prières de musulmans sur la voie publique à une « occupation de territoire ».

Son premier « dérapage »?

A première vue, l’utilisation d’un tel langage est surprenante de la part de celle qui s’emploie depuis sept ans à « dédiaboliser » le FN, c’est-à-dire à normaliser ses relations avec la société civile et politique et à crédibiliser ses propositions, notamment économiques. C’est oublier que, pour un parti d’extrême droite, le pouvoir se conquiert à… l’extrême droite. « Le fait qu’elle ait tenu ces propos dans le Rhône n’est peut-être pas un hasard », justifie un proche. En clair, sur le territoire de son rival dans la course à la succession, Bruno Gollnisch, elle envoie un signal aux durs du Front.

Car Marine Le Pen n’offre pas que le visage d’une femme moderne de 42 ans, ambitieuse et décomplexée. C’est une militante aguerrie. Par la vie, d’abord; pas facile, il est vrai, d’être née Le Pen. Son armure s’est forgée dès l’enfance. Par la politique, ensuite. « J’ai bénéficié d’une formation continue, au côté d’un père qui ne fait aucune distinction entre sa vie personnelle et sa carrière politique », souligne-t-elle.

Sa présence à la télévision est redoutable, ce qui la rend plus « dangereuse » aux yeux de ses adversaires. « Elle sait mettre des rondeurs là où son père n’en mettait pas », témoigne l’écologiste Corinne Lepage. « J’ai plutôt apprécié sa volonté de ne pas copiner hors antenne. Elle ne joue pas la fausse connivence », atteste le socialiste André Vallini. Au plan médiatique, la diabolisation a vécu. Marine Le Pen a été la vedette de toutes les émissions littéraires ou politiques de la rentrée, telles que Mon beau miroir, sur Paris Première, qui confronte les politiques à un panel de Français derrière un miroir sans tain. « Je suis un produit d’appel », se réjouit-elle.

Il est un bastion qu’elle n’a pas conquis: le Vivement dimanche de Michel Drucker. Elle trouve scandaleux de ne pas y être invitée. Interrogé par L’Express avant la polémique, l’animateur avait évoqué des raisons personnelles – son père, Abraham, fut interné en 1942 au camp de Compiègne, puis à celui de Drancy. « J’ai le souci de réaliser une bonne émission, ajoutait-il. Il n’est déjà pas facile de mêler politiques et artistes. Avec elle, ces derniers ne voudront pas venir. Vivement Dimanche n’est pas un tête-à-tête. »

Il y a l’image télévisuelle, et il y a la face cachée. Sur les plateaux, Marine Le Pen développe son programme économique pour sortir de l’euro; dans les fédérations, elle martèle les fondamentaux du parti, prônant la préférence nationale et la peine de mort pour certains crimes. Elle aborde le thème de l’immigration dès les premières minutes de ses discours, en dénonçant ses conséquences sociales. Elle remplace les diatribes de son père par des attaques contre les dangers de l’islamisation, au nom des valeurs de la République et du respect de la laïcité. Elle compare l' »idéologie mondialiste » au nazisme et au communisme. « Elle risque de faire dériver vers le nationalisme des gens sincèrement inquiets du multiculturalisme », estime l’essayiste Caroline Fourest, qui va lui consacrer son prochain livre, après avoir écrit sur Christine Boutin et Tariq Ramadan.

Son « capital sympathie », comme disent les sondeurs, est un puissant atout. Marine Le Pen rit souvent, mais ce n’est pas une chaleureuse. Une amie lui a ainsi recommandé de regarder les gens dans les yeux au moment de leur serrer la main. Jean-Marie Le Pen lui a conseillé de s’intéresser à la vie des militants: « Il faut que tu saches que tu es un élément de leur vie affective. »

Contrairement à ce que pourrait laisser croire son image médiatique, la benjamine du chef a tendance à créer du clivage en interne, alors que son père est finalement plus apte au compromis. « Elle peut se montrer cassante, voire méprisante avec le personnel », témoigne un ancien du Front, devenu quasiment un ennemi.

Marine Le Pen avait jusqu’à présent réussi un parcours sans faute, privant d’arguments toutes les associations antifascistes. Cette époque est révolue. A leurs yeux, comme à ceux de tous les adversaires du Front, elle vient de prendre la place du père.

Romain Rosso, L’Express.fr

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