Kim Jong-Un après l'essai balistique intercontinental de juillet 2017. © REUTERS

« La Corée du Nord veut gagner en crédibilité, pas déclencher un conflit »

Olivia Lepropre
Olivia Lepropre Journaliste au Vif

Tir de missile au-dessus du Japon, menaces envers ses adversaires… La Corée du Nord enchaine les provocations. Quelles sont ses intentions ? Le point avec Thierry Kellner, chargé de cours en Sciences politiques à l’ULB et spécialiste de la politique étrangère, en particulier de la Chine.

La Corée du Nord a procédé mardi à un tir de missile au-dessus du Japon. Depuis plusieurs semaines, le pays ne manque pas de menacer ses adversaires, comme les Etats-Unis. Comment peut-on interpréter cette stratégie de la part du régime nord-coréen ?

Les tests et tirs de missiles permettent à la Corée du Nord de montrer ses capacités nucléaires. L’intérêt est double pour le régime nord-coréen. Tout d’abord, il se positionne vis-à-vis de ses adversaires à l’international. Mais également pour gagner en crédibilité dans son propre pays. Le programme nucléaire est un double enjeu, c’est un moyen de s’affirmer sur la scène internationale, mais également vis-à-vis de l’élite nord-coréenne et de la population. Kim Jong-Un veut montrer qu’il contrôle la situation.

C’est une stratégie nord-coréenne assez classique. Comme son père avant lui, il y a toujours eu une attitude provocatrice, une tendance à vouloir afficher ses ambitions nucléaires. Mais au fond, le réel but de la Corée du Nord est d’aller jusqu’à la table des négociations. Ils veulent en quelque sorte faire monter les enchères, de sorte à pouvoir négocier en étant en position de force. De plus, le temps joue en sa faveur. Le programme nucléaire nord-coréen est aussi un moyen de montrer son indépendance vis-à-vis des autres acteurs comme les Etats-Unis ou encore la Chine.

Il s’agit donc de montrer ses capacités, sans un réel souhait de conflit ?

Le régime nord-coréen n’a aucun intérêt à déclencher un conflit. Ce serait l’assurance de sa destruction. La Corée du Nord provoque, inquiète, mais elle va jusqu’à une certaine limite. Le seul risque dans cette escalade, c’est une erreur de calcul qui ferait basculer les tensions existantes. L’objectif des tirs de missile est principalement dissuasif, pour se poser en acteur majeur et essayer d’obtenir un maximum durant les négociations.

On entend souvent dire que Kim Jong-Un est un « fou », mais ce n’est pas le cas. Ce n’est pas un régime politique irrationnel. C’est une stratégie calculée, bien que risquée.

Concernant les rapports de forces au niveau mondial, la Corée du Nord a-t-elle vraiment les capacités de faire face aux Etats-Unis ?

Il y a une asymétrie entre la puissance des Etats-Unis et la Corée du Nord. Cette dernière a une capacité de nuisance réelle, mais elle veut surtout dissuader l’adversaire américain et montrer qu’elle est prête à frapper si jamais les tensions actuelles allaient jusque-là. Le but est de provoquer une dissuasion suffisamment crédible, mais il est certain que la Corée du Nord conserve une position faible dans ce domaine vis-à-vis des Etats-Unis.

© BelgaImage

L’an dernier, vous avez coécrit un article intitulé « Corée du Nord : le scénario du pire ». La situation a-t-elle évolué depuis sa publication ?

Oui, il y a eu plusieurs évolutions depuis la publication de l’article. Un élément important est le changement d’administration aux Etats-Unis. Lorsqu’il était candidat à l’élection présidentielle, Donald Trump laissait entrevoir une possibilité d’ouverture avec la Corée du Nord. Mais il semblerait que depuis son investiture, il ait changé son fusil d’épaule. De plus, on reçoit des communications différentes venant des Etats-Unis. Donald Trump tweete quelque chose, et son administration le corrige quelques heures plus tard. Quel est la vraie voix des USA, le président Donald Trump ou son administration ? Il est certain que « l’incertitude Trump » est un facteur important et différent de l’administration précédente, au niveau de sa politique, de sa manière de gérer les crises…

Côté nord-coréen aussi les choses évoluent. Il y a une poursuite et une augmentation des provocations. L’essai balistique intercontinental de juillet vise également à montrer que les capacités sont en progression. Il y a aussi eu, plus récemment, les menaces sur l’île de Guam, un territoire non incorporé des Etats-Unis. C’est une manière de montrer aux Etats-Unis qu’ils ont les moyens de les frapper, qu’ils ont un moyen de pression.

Ces tensions ont-elles des conséquences dans la région proche de la Corée du Nord ?

Il est clair que la Corée du Nord est un élément perturbateur, aussi bien au niveau international qu’en Asie de l’Est. Elle mène une politique déstabilisante et déstabilisatrice. C’est une source d’inquiétude très importante pour les Etats-Unis et la Corée du Sud, mais également pour la Chine. La Chine a besoin d’un environnement régional stable pour poursuivre sa croissance économique. Le fantôme d’un conflit dans la région est inquiétant.

Parmi les autres acteurs de la région, la Chine se contente de renvoyer la Corée du Nord et les Etats-Unis dos-à-dos. Pékin estime que c’est leur faute à tous les deux. Elle préfère se dédouaner. La Chine ne soutient pas le programme nucléaire nord-coréen, mais elle considère que la politique américaine en est également responsable car menaçante, et donnant au régime nord-coréen l’occasion de vouloir se défendre. La politique nord-coréenne est contreproductive par rapport à la Chine. C’est en quelque sorte « le petit qui tire le grand par le bout du nez ».

Concernant le tir au-dessus du Japon, c’est également un message dissuasif au gouvernement japonais. La Corée du Nord ne voit pas d’un bon oeil le renforcement de l’alliance entre le Japon et les Etats-Unis. Ils veulent montrer qu’ils peuvent également atteindre le Japon et venir perturber le développement de leurs capacités militaires. La Chine aussi se méfie. Cela permet de brouiller les cartes et de semer la zizanie entre les alliés.

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