A l’occasion du tir d’un missile balistique intercontinental, le 18 novembre, Kim Jong-un est apparu en public avec sa fille, âgée de 12 ans. La succession dynastique est assurée. © belga image

Iran, Corée du Nord : pourquoi le danger nucléaire est ravivé (analyse)

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Campagne de tirs de missiles par la Corée du Nord jusqu’au large du Japon, confirmation de la volonté de l’Iran d’enrichir de l’uranium à des fins militaires: pendant la guerre en Ukraine, s’en prépare-t-il d’autres?

Le 18 novembre, la Corée du Nord tirait un missile balistique intercontinental qui atterrissait en mer du Japon, dans la zone économique exclusive au large de Hokkaido. Quatre jours plus tard, le patron de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique, Mohammad Eslami, annonçait que l’Iran avait commencé la production d’uranium enrichi à 60% dans son usine de Fordo, au centre du pays. L’ invasion de l’Ukraine par la Russie et les tensions géopolitiques internationales qu’elle a suscitées ont-elles créé un environnement propice à l’essor de l’arme nucléaire?

La conjonction des deux événements, observés dans des pays dont les liens de coopération avec la Russie de Vladimir Poutine se sont renforcés à la faveur de la guerre d’Ukraine avec une forte dimension militaire, pourrait faire croire à une opération concertée d’une alliance ostensiblement antioccidentale. La perspective doit être nuancée. Il importe en effet d’établir si l’on est véritablement en face d’une escalade.

Essai nucléaire nord-coréen?

Par le passé, la Corée du Nord, puissance nucléaire reconnue, a déjà procédé à des tirs de missiles balistiques intercontinentaux, notamment en 2017. «Certes, Pyongyang tire des missiles (NDLR: une trentaine tout de même pour le seul mois de novembre, 75 depuis le début de l’année). C’est très désagréable et anxiogène pour la population japonaise qui voit passer des missiles balistiques intercontinentaux (ICBM) au-dessus de sa tête de manière un peu plus régulière. Mais cela n’en fait pas une menace supplémentaire ou plus grande que ce qu’elle était jusque-là, analyse Jean-Marc Le Page, historien, chercheur associé à l’université de Rennes et auteur de La Menace nucléaire (1). Il semblerait également qu’un essai nucléaire soit programmé prochainement.»

La Corée du Nord ne désarmera pas tant qu’il y aura d’autres puissances nucléaires dans le monde.

Que recherche dès lors Kim Jong-un? «La première grosse volée de missiles de cette série de tirs a été lancée alors que se déroulaient des manœuvres militaires conjointes entre les Etats-Unis et la Corée du Sud, les plus importantes depuis un certain nombre d’années. On peut établir une corrélation, contextualise Jean-Marc Le Page. Kim Jong-un a peut-être aussi envie de se rappeler au bon souvenir de la communauté internationale. Il se sent sans doute plus libre de faire ce qu’il souhaite au vu du contexte international. Enfin, il retire sans doute un intérêt à procéder à ces opérations en tant que telles. Il faut de toute manière que les Nord-Coréens testent leurs missiles pour que leurs forces stratégiques soient véritablement prises au sérieux.» Pyongyang serait donc dans une certaine continuité, pas vraiment dans le registre de l’escalade.

Uranium enrichi à 90%?

En va-t-il de même avec l’Iran? Dans une certaine mesure, oui, puisque, avant l’annonce du 22 novembre, Téhéran avait déjà procédé à l’enrichissement d’uranium à hauteur de 60% sur le site de Natanz. Le contentieux entre l’Iran et la communauté internationale repose sur l’ambiguïté du projet de la république islamique en matière nucléaire. Il a un objectif militaire, soupçonnent les grandes puissances. Il est strictement civil, soutient l’Iran. Sauf que l’enrichissement de l’uranium à 60% n’a aucune finalité civile. Il est une étape vers un enrichissement à 90% requis pour la confection d’une arme nucléaire. Le développement observé à l’usine de Fordo confirme donc bien la volonté de l’Iran d’en maîtriser la technique. Dans le contexte de la radicalisation du régime illustrée par l’implacable répression de la contestation de femmes et de la jeunesse depuis septembre, cette détermination affichée a de quoi inquiéter.

«Les Iraniens sont en position de force puisqu’ils prouvent qu’ils ont la faculté d’enrichir davantage leur uranium. Visiblement, ils veulent montrer à la face du monde qu’ils sont une « puissance du seuil », qu’ils ont les moyens techniques et technologiques de confectionner une arme nucléaire, souligne Jean-Marc Le Page. Mais il faut aussi raison garder. Entre la possibilité d’avoir une arme nucléaire et celle de savoir s’en servir, miniaturisée, il y a encore du temps avant d’y arriver, si tant est que l’Iran veuille réellement s’en doter.»

La mort des négociations

Pourrait-on sortir de ces contentieux par la négociation? C’est peu probable. La tension entre la Russie et l’Occident mine la relance de l’ Accord sur le nucléaire iranien de 2015. Et si d’aventure, une négociation s’ouvrait à nouveau, elle serait compliquée par le souci de Moscou de trouver l’issue la plus favorable à son allié iranien.

Quant à la Corée du Nord, elle n’aurait rien à retirer d’un dialogue. «La Corée du Nord est une puissance nucléaire, c’est inscrit dans sa constitution, rappelle l’auteur de La Menace nucléaire. Elle ne désarmera pas tant qu’il y aura d’autres puissances nucléaires dans le monde. Il ne lui sert à rien de négocier. Donald Trump a tenté le coup parce qu’il s’est dit qu’il était «le meilleur négociateur au monde». Mais il s’est fait rouler dans la farine par Kim Jong-un qui n’attendait qu’une seule chose: discuter d’égal à égal avec la première puissance au monde. Joe Biden n’a rien à gagner à rouvrir une négociation. Il pourrait juste y avoir des discussions à un échelon ministériel pour tenter de négocier une réduction des tirs de missiles nord-coréens contre la fourniture de nourriture. Mais même cela paraît improbable.» Bref, l’impasse qui prévaut dans les dossiers iranien et nord-coréen ne rassure pas dans un contexte international troublé.

(1) La Menace nucléaire. De Hiroshima à la crise ukrainienne, par Jean-Marc Le Page, éd. Passés composés, 346 p.

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