Trois semaines avant le déclenchement de l’invasion russe de l’Ukraine, Vladimir Poutine et Xi Jinping avaient réaffirmé à Pékin leur opposition à l’Occident. Une autre rencontre est prévue prochainement à Moscou. © BELGAIMAGE

Guerre en Ukraine : quels sont les vrais objectifs de la Chine ?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le régime de Pékin est trop proche des positions de la Russie pour espérer jouer le rôle d’intermédiaire dans une négociation avec l’Ukraine. Mais ira-t-il jusqu’à l’armer pour éviter une débâcle à Vladimir Poutine?

La Chine, candidate à une médiation dans la guerre en Ukraine et, en même temps, pourvoyeuse d’armes à la Russie? Dans les derniers jours du mois de février, le régime chinois a semblé porteur de ces deux aspirations contradictoires, en tout cas dans un récit politique et médiatique, peut-être orienté. Mais ce scénario ne résiste pas à l’analyse. La Chine n’est pas en position de faciliter quelque dialogue que ce soit et elle y réfléchira à deux fois avant de fournir des armements «offensifs» à son allié belligérant. Il n’empêche, l’épisode rappelle que, dans le nouvel ordre mondial en gestation, Pékin dispose d’un pouvoir d’influence et de nuisance important.

La Chine n’est pas en position de faciliter quelque dialogue que ce soit et elle y réfléchira à deux fois avant de fournir des armements «offensifs» à la Russie.

Première séquence: Wang Yi, le directeur du bureau de la Commission des Affaires étrangères du comité central du Parti communiste chinois, soit le numéro un de la diplomatie chinoise au-dessus du ministre des Affaires étrangères Qin Gang, mène, du 15 au 22 février, une tournée à Rome, Paris et Munich où, en marge de la conférence sur la sécurité, il rencontre le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, avant de gagner Moscou où il est reçu par Vladimir Poutine. A l’issue de ce voyage autour duquel a circulé la rumeur d’un «plan de paix», le ministère des Affaires, étrangères à Pékin publie un document portant sur la «position de la Chine sur le règlement politique de la crise ukrainienne». Le texte rappelle les grandes lignes de la politique chinoise entre principes plutôt en faveur de l’Ukraine (respect de la souveraineté des Etats, opposition à tout recours à l’arme nucléaire) et points, plus nombreux, à l’avantage de la Russie (instauration d’un cessez-le-feu, reprise de pourparlers, fin des sanctions…). Bref, un état des lieux de la stratégie chinoise sur le conflit, mais pas un plan de paix.

Le patron de la diplomatie chinoise, Wang Yi, a rencontré le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, le 18 février, à Munich.
Le patron de la diplomatie chinoise, Wang Yi, a rencontré le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Dmytro Kuleba, le 18 février, à Munich. © BELGAIMAGE

Enfumage américain?

Deuxième séquence, concomitante: des informations de presse et déclarations politiques évoquent l’éventualité que la Chine fournisse des armes à la Russie. Le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, en fait mention dès le 19 février. Le chef de la CIA, William Burns, amplifie l’accusation dans une interview à CBS le 26. Entre-temps, le 24 février, le magazine allemand Der Spiegel l’étaie en parlant de négociations en cours entre le gouvernement russe et la société Xi’an Bingo Intelligent Aviation Technology pour la livraison de cent drones-kamikazes. Kyrylo Boudanov, le chef des services de renseignement ukrainiens, tend pourtant à minimiser l’information: «A l’heure actuelle, je ne pense pas que la Chine acceptera de transférer des armes à la Russie. Je n’ai aucun signe que de telles choses soient même discutées», déclare-t-il dans une interview à Voice of America, diffusée le 27 février. Les Américains, dont on avait salué la qualité des informations avant le déclenchement de l’invasion russe de l’Ukraine et la transparence après, auraient-ils sciemment cherché à brouiller le storytelling de la «mission de bons offices» de Wang Yi? La rivalité féroce entre les Etats-Unis et la Chine justifie peut-être, aux yeux de l’administration Biden, de renouer avec de «bonnes» vieilles pratiques. Alice Ekman, analyste responsable de l’Asie à l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne (IESUE), ne croit pas non plus à la possibilité d’une aide militaire de la Chine à la Russie à ce stade, pas plus qu’à un rôle de médiateur pour la première en raison de la force du rapprochement opéré entre les deux pays.

Mais Pékin s’inquiète tout de même de l’enlisement de la guerre, qui pénalise l’économie mondiale, et, par conséquent, la croissance du pays et la capacité du régime à satisfaire les attentes matérielles de sa population. Le défi est compliqué pour Xi Jinping. Il lui faut éviter un embrasement mondial qui grèverait grandement les performances économiques de la Chine. Mais il se doit aussi de tout mettre en œuvre pour empêcher que la Russie, son alliée politique et son partenaire économique, subisse une défaite cuisante dans le sud de l’Ukraine. Le dilemme est que pour prévenir le deuxième écueil, par exemple en armant les troupes russes, Xi Jinping risque d’être confronté au premier, une extension de la guerre…

Le Mali dans le camp prorusse

Le vote devant l’Assemblée générale des Nations unies, le 23 février, d’une quatrième résolution sur la guerre en Ukraine (pour une paix «globale, juste et durable» et le retrait des troupes russes) n’a pas donné lieu à de grandes évolutions de fond. Cent quarante et un pays ont approuvé le texte, quasi dans la même proportion que celles qui avaient sanctionné les votes des trois précédentes résolutions. Les soutiens de la Russie sont cependant passés de cinq à sept unités parce que le Nicaragua et l’Erythrée, qui s’étaient abstenus à tour de rôle lors des précédents votes, se sont cette fois opposés conjointement au texte et, surtout, parce que le Mali, client du groupe de mercenaires Wagner, a rejoint le camp, encore restreint, des pro-Moscou.

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