Guerre en Ukraine: pourquoi la contestation russe risque peu de faire infléchir Poutine
Malgré une répression sans précédent, les manifestations contre la guerre se poursuivent en Russie. La probabilité que la contestation de la population ou des élites économiques et militaires infléchisse le cours du conflit est faible.
L’impuissance face à la puissance, le courage face à l’arbitraire: comme en écho à celles des civils ukrainiens entravant l’avancée des blindés russes au début de leur offensive, les images des manifestants russes arrêtés pour s’être élevés contre la guerre témoignent de la résistance des peuples par-delà les frontières.
Rien que le 6 mars, quatre mille arrestations ont été recensées à l’issue de rassemblements à Moscou, à Saint-Pétersbourg et dans une cinquantaine d’autres villes de Russie, portant à quelque 13 000 le nombre de personnes interpellées depuis le 24 février. La Douma ayant adopté le 4 mars une loi punissant d’une peine allant jusqu’à quinze ans de prison la diffusion d’informations mensongères sur l’armée, l’étau va encore se resserrer sur les libertés. « Il est important de comprendre que le traitement répressif est sans précédent, analyse Ekaterina Gloriozova, collaboratrice scientifique au Centre d’étude de la vie politique (Cevipol) de l’ULB. Le contexte est extrêmement dur. Les gens sortent dans la rue de manière assez sporadique. Ce n’est pas nécessairement très bien coordonné parce que même relayer un appel à manifester est punissable par la loi. Mais on remarque tout de même que les manifestations concernent plusieurs villes, dans toute la Russie. En cela, on peut les comparer à celles de 2021 en soutien à l’opposant Alexeï Navalny. »
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La répression de la contestation s’est aussi étendue aux rares médias indépendants actifs en Russie. La radio Echo de Moscou, une institution aussi vieille que la Russie postsoviétique, et la chaîne de télé Dodj, la seule qui diffusait des images non autorisées de la guerre, ont été fermées. Le pouvoir a aussi bloqué Facebook et restreint l’accès à Twitter. Une chape de plomb s’est abattue sur l’information en Russie et les moyens de la contourner sont devenus moins accessibles.
Oligarques opportunistes?
La montée d’une opposition au régime risque de s’en trouver entravée. Les sanctions décidées par les pays occidentaux depuis l’invasion de l’Ukraine ont notamment pour objectif de pousser une partie de la population à exprimer son mécontentement et d’encourager des membres de l’entourage du président russe à le ramener à une certaine forme de raison. Dans cette perspective, des réactions d’oligarques ont détonné avec le soutien inconditionnel à la politique de Vladimir Poutine. Le conseil d’administration du deuxième groupe pétrolier, Lukoil, a appelé à un « arrêt rapide » de la guerre et a souhaité « son règlement par un processus de négociation et des moyens diplomatiques ». Oleg Tinkov (brasserie et banque), Oleg Deripaska (aluminium) et Mikhaïl Fridman (banque) ont réagi dans le même sens. De quoi ébranler Vladimir Poutine? Ekaterina Gloriozova ne le croit pas. « Ces hommes d’affaires ont surtout pour objectif de rassurer les pays occidentaux. Ils essaient de se distancier au maximum des actions des autorités russes parce qu’ils redoutent fortement l’impact des sanctions », décrypte la docteure en sciences politiques et sociales de l’ULB.
Pour elle, difficile d’imaginer que ces oligarques puissent jouer un rôle dans la prise de décision politique. « De manière générale, les élites politiques et économiques vivent dans un climat de peur parce qu’elles ont été régulièrement la cible de la répression. Des figures très proches du Kremlin ont été emprisonnées comme Alexeï Oulioukaïev, l’ancien ministre de l’Economie, condamné en 2017 à huit ans de camp à régime sévère pour corruption. Ce climat a été illustré récemment par cette scène lors d’une réunion du conseil de sécurité où Sergueï Narychkine, le directeur du service des renseignements extérieurs de la Russie, n’arrivant pas à répondre à une question de Vladimir Poutine, bégaie. Une scène assez surréaliste alors qu’il a été président de la Douma d’Etat (NDLR: de 2011 à 2016) et est donc habitué à la prise de parole. »
Le rôle des mères de soldats
L’histoire de la Russie contemporaine a été marquée par une opposition entre une frange plutôt libérale, en faveur d’un rapprochement avec l’Europe et les Etats-Unis, et les structures de force, l’armée, les services de renseignement, le ministère de l’Intérieur, qui sont sur une ligne plus dure. Ces dernières années, les secondes ont imposé leur suprématie dans la vie politique. L’arrêt de la guerre pourrait-il venir de ces mêmes structures au vu du coût matériel et humain de l’intervention en Ukraine? « Des dissensions pourraient apparaître, juge Ekaterina Gloriozova. Pour le moment, on ne les voit pas, on ne les entend pas. Mais il n’est pas du tout exclu qu’il y en ait. Parce qu’il existe aussi une compétition interne au sein de ces structures et parce que les objectifs militaires n’ont pas été atteints puisqu’il s’agissait de mener une guerre éclair et de prendre Kiev rapidement. Une exacerbation des tensions liées à cet échec est possible. »
Dans ce contexte, il est une autre catégorie de la population qui pourrait avoir une influence dans la conduite du conflit. Les mères des soldats tués ont joué les trublions face au pouvoir lors des guerres d’Afghanistan (1979-1989) et de Tchétchénie (1994-1996 et 1999-2009). « Les témoignages de ces mères de soldats sont très importants, estime la conseillère scientifique du Cevipol. D’une part, ils permettent de se rendre compte du nombre de soldats russes tués au combat. D’autre part, l’information est alors relayée par le bas. Les mères racontent à leur entourage ce qui est arrivé à leur fils et permettent de la sorte un accès à une information occultée. Ces témoignages directs peuvent alors se répandre dans la population. Et si des Russes connaissent personnellement une mère qui a perdu son fils, l’impact de l’information est tout autre. » Au treizième jour de la guerre, l’Ukraine établissait à plus de 11 000 le nombre de soldats russes tués, se gardant bien de chiffrer ses propres pertes. La Russie en reconnaissait à peine 500…
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