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Géorgie : Ivanichvili, l’opposant milliardaire qui « n’aime pas la politique »

A la veille des législatives du 1er octobre, l’opposant géorgien Bidzina Ivanichvili a accordé une interview à L’Express, à Tbilissi. Ses réponses, parfois outrancières, ne font qu’épaissir le mystère qui plane autour de ce milliardaire classé 153e fortune mondiale par le magazine Forbes.

Vous affirmez avoir longtemps soutenu, dans l’ombre, le président Mikhaïl Saakachvili. Pourquoi avoir changé d’avis ?

Dans la première étape de la « révolution des roses », de 2004 à 2007, j’ai beaucoup aidé le pouvoir. Pendant deux ans et demi, j’ai payé des salaires au gouvernement et au parlement. Pas directement, car c’est interdit par la loi, mais indirectement, via des fondations, qui aidaient les ministères de l’Intérieur et de la Défense. J’ai fait beaucoup de choses pour soutenir Saakachvili. Lors de la grande grève du novembre de 2007, j’ai découvert le vrai visage de Saakachvili [six jours de manifestations anti-Saakachvili s’étaient soldées par la proclamation de l’état d’urgence et l’expulsion de plusieurs collaborateurs de l’ambassade de Russie, soupçonnés de travailler à la déstabilisation de la Géorgie].

C’est à dire ?

Après avoir réprimé les manifestants, la police a investi les locaux de la télévision indépendante Imedi [proche de l’opposition] puis en a pris le contrôle définitif. Après cette histoire, nous sommes brouillés. A l’époque, j’ai dit à Saakachvili qu’il devait démissionner, ce qu’il a fait [avant d’être réélu]. J’ai réalisé que le peuple ne voulait plus de lui et, même, le détestait. Je l’ai appelé pour lui dire de ne plus me parler. [NDLR : de son côté le président Mikhaïl Saakachvili dit qu’il n’a rencontré Ivanichvili que deux fois et que, surtout, il exagère l’importance de son rôle.]

Quel est, selon vous, le  » vrai visage  » de Mikhaïl Saakachvili ?

C’est un menteur professionnel. Il ment comme il respire. Il fait ça très bien. C’est sa principale qualité, avec son goût pour la bonne bouffe et le sexe. Son problème est qu’il est incapable d’aimer. Je pense qu’il ne sait pas ce qu’aimer veut dire. C’est pour cela qu’il ne peut pas comprendre la douleur des Géorgiens. Il n’éprouve aucun sentiment de pitié.

Quel score espérez-vous atteindre avec votre coalition d’opposition Le rêve géorgien lors des législatives du 1er octobre 2012 ?

Depuis un an, je répète que nous obtiendrons deux tiers des voix et peut-être davantage.

Les sondages donnent pourtant le Mouvement national Uni (pro-Saakachvili) en tête. Que ferez-vous si vous perdez ?

S’il n’y a pas de violences, si les élections sont honnêtes, nous nous rangerons dans l’opposition car nous sommes des gens cultivés et civilisés. Mais ce scénario est improbable.

Comment faut-il, selon vous, aborder et gérer le dossier explosif de relations russo-géorgiennes ?

D’abord, nous devons cesser de faire des appels à la violence, et aux armes, comme l’a fait Saakachvili. La priorité est de rétablir des relations économiques et commerciales avec la Russie. Ensuite, il nous faut construire un Etat réellement démocratique. Je tiens à souligner une chose : pour la Russie, il n’est pas avantageux d’avoir deux territoires séparatistes à sa charge [les deux provinces géorgiennes d’Abkhazie et d’Ossétie du sud, contrôlées par Moscou occupées depuis la guerre des cinq jours en août 2008]. Car cela menace l’identité territoriale russe elle-même dans la mesure où c’est un signe d’encouragement pour d’autres séparatismes, par exemple au Caucase du Nord.

Connaissez-vous M. Poutine ?

Non, je ne l’ai jamais rencontré.

Qui porte la responsabilité du déclenchement de la guerre en 2008 : Poutine ou Saakachvili ?

C’est vrai, la Russie était très agressive. Mais si Saakachvili ne s’était pas emporté d’une façon aussi bête, les Russes n’auraient jamais eu de prétexte valable pour faire entrer leurs troupes en Géorgie. Face aux provocations russes qui n’avaient fait aucun mort, il suffisait de convoquer des observateurs internationaux. L’affaire se serait arrêtée là. Au lieu de cela, Saakachvili a envoyé les chars et les avions attaquer jusqu’à la frontière russe. Les russes n’attendaient que cela…

Les autorités géorgiennes pensent que vous êtes le  » candidat de Moscou « …

Plus personne ne le croit, ni ici en Géorgie, ni aux Etats-Unis. Et Saakachvili sait mieux que quiconque que c’est faux. Mais il ne peut rien dire parce que mon passé est tout à fait propre. Il est tellement immaculé qu’il n’a pas pu trouver la moindre tache noire pour me discréditer.

Peut-on vraiment avoir un passé  » immaculé  » lorsque que l’on est un oligarque ayant construit sa fortune dans la Russie des années 1990 ?

C’est vrai : j’ai gagné tout mon argent là-bas, en Russie. Mais, depuis que j’ai commencé à m’enrichir, je n’ai cessé d’aider mon pays. J’ai dépensé 1,7 milliards de dollars dans des affaires de bienfaisance en Géorgie. Je n’en avais jamais parlé, jusqu’à ces derniers mois. Si ça peut vous rassurer, je ne possède plus aucun actif en Russie : j’ai vendu tout ce que je possédais. L’autre jour, j’ai rencontré le sénateur américain John McCain (Parti républicain) qui est très anti russe. Je lui ai montré les documents de vente de mes derniers actifs russes. L’acheteur est une fondation américaine : alors McCain, m’a dit qu’il me croyait et qu’il n’avait plus de question à me poser sur ce sujet dessus…

On lit partout que vous êtes actionnaire de Gazprom à hauteur de 1% ?

C’est ridicule. Voilà sept ans, j’ai été très fier d’annoncer que j’étais actionnaire de Gazprom. J’ai conservé mes 1% d’actions pendant un an. Puis, je les ai revendus deux fois plus cher un an plus tard.

Le chiffre avancé par le magazine Forbes au sujet de votre fortune actuelle est-il exact ?

Oui : 6,4 milliards dollars.

Dans quelles conditions avez-vous obtenu la nationalité française ?

J’ai vécu pendant six ans en France, à Louveciennes et la Celle-Saint-Cloud (Yvelines) à partir de la seconde moitié des années 1990. J’aurais pu obtenir un passeport français à l’époque. Mais il y avait beaucoup de documents à rassembler. Or je voyageais beaucoup pour le business et je manquais de temps. Mais ces sept dernières années j’ai vécu en Géorgie sans interruption. Ici, je suis devenu ami avec tous les ambassadeurs de France. Et l’un d’eux [il s’agit d’Eric Fournier, 2007-2012] m’a dit :  » Mais pourquoi ne demandez-vous pas la nationalité française ?  » Certes, ma femme et mes quatre enfants avaient déjà la citoyenneté française. Mais j’ai dit à l’ambassadeur que ce serait compliqué pour moi en raison des innombrables démarches administratives. Lui m’a dit :  » Mais non, rédigez une demande au consulat et dans un an, au plus tard, vous recevrez votre passeport !  » Alors je me suis dit : pourquoi pas ? Un an plus tard, je suis effectivement devenu Français.

Revenons à la Russie : quel rôle avez-vous joué dans l’émergence du général Lebed à la présidentielle de 1996 ? Un très grand rôle puisque j’ai sauvé à la fois Eltsine et la démocratie. C’est moi qui ai compris comment Eltsine, donné perdant dans les sondages face au communiste Guennadi Ziouganov, pouvait gagner l’élection. J’ai travaillé avec Lebed, qui était auréolé de son prestige militaire. Je l’ai poussé à se présenter à la présidentielle car je savais qu’il capterait sur son nom une grande partie du vote communiste et nationaliste. Entre les deux tours, Lebed s’est désisté pour Eltsine. Mon plan a marché : les communistes ont été battus. Puis j’ai fait venir Lebed dans l’équipe Eltsine.

Vous avez été condamné à des amendes pour avoir enfreint le code de bonne conduite électorale, notamment en raison de distribution d’espèces et d’antennes paraboliques. Qu’avez-vous à répondre ?

C’est le contraire : ils disent que j’achète tout et le monde. En fait, nous n’avons pu financer notre campagne qu’à hauteur de 20% en raison des amendes qu’ils nous infligent. Moi, j’ai perdu je ne sais combien de dollars : 200 ou 300 millions, je crois. Et avec mon argent, ils financent leur campagne électorale. Nous, nous n’avons pas d’argent, pas d’affiche, rien. Tous les gens qui ont voulu nous aider sont jetés en prison.

Certains de vos candidats ont fait des déclarations xénophobes, homophobes ou hostiles aux minorités ethniques religieuses. Quelle est votre position ?

C’est une invention des gens de Saakachvili. C’est faux. Ces gens-là mentent très bien et l’Europe leur fait confiance. Dès ma première déclaration, j’ai dit que les homosexuels étaient des gens comme les autres. C’est vrai qu’il peut y avoir un petit dérapage ici ou là. Mais ce n’est pas la position de notre parti.

Vous êtes un collectionneur d’art. Quelle sont les pièces les plus intéressantes de votre collection ?

 » Dora Maar au chat  » (Picasso) que j’ai payé 95 millions de dollars en 2006. Je ne l’ai acheté pas pour moi : j’avais l’idée de construire un musée d’art contemporain et de l’offrir à mon pays, a Tbilissi. Je le ferai un jour. Mais pour l’instant il se trouve dans les entrepôts de mon ami François Pinault, à Londres.

Pourquoi avez vous annoncé votre intention d’arrêter la politique dans 2 ans ?

C’est simple : je n’aime pas la politique. Dès le début de ma carrière politique, le 7 octobre 2011, j’ai annoncé que mon engagement durerait deux ou trois ans au maximum. Un an dans l’opposition. Et deux ans au poste de Premier ministre, après les élections du 1er octobre.

Propos recueillis par Axel Gyldén et Alla Chevelkina, L’Express

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