Vol du Louvre
Une camionnette et une échelle de déménageur déployées en toute tranquillité au cœur de Paris. © GETTY

Les mystères du vol au Louvre: «Peut-être un coup de force du narcotrafic, “Regardez ce qu’on sait faire et ne nous embêtez pas”»

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le modus operandi du cambriolage de Paris révèle le travail de professionnels. Mais son objet laisse perplexe. Ses auteurs ont-ils voulu adresser un message aux autorités?

Quatre cambrioleurs, sept minutes, huit objets «d’une valeur patrimoniale inestimable» et un musée, le plus grand du monde: le vol perpétré le 19 octobre au Louvre peut se réduire à cette énumération de chiffres, il n’en pose pas moins d’innombrables questions. Celles sur la sécurité du lieu, mises en évidence par un rapport de la Cour des comptes pour la période 2019-2024, interrogent l’action des gouvernements. Celles sur la finalité du vol de pièces «invendables» mettent au défi les services de police. Comme après l’incendie de Notre-Dame de Paris, le président Emmanuel Macron a fait preuve d’une détermination absolue, qu’on ne lui connaît pas sur d’autres sujets, à propos de la «réparation» qui suivra cet affront à la nation: «Nous retrouverons les œuvres et les auteurs seront traduits en justice.»

Les hypothèses sur les motivations des voleurs demeurent nombreuses. Le journaliste Philippe Durant, auteur de Cambriolages au musée. 10 vols, 10 pays (Nouveau Monde éditions, 2024) les analyse.

Au regard des exemples que vous avez étudiés, voyez-vous des similitudes entre le cambriolage du Louvre et des cas antérieurs?

La similitude principale est que les cambrioleurs du musée du Louvre étaient très bien renseignés. Il y a eu un gros travail en amont. Il faut bien étudier les lieux, choisir le bon moment… Est-ce une suite de coïncidences ou le résultat d’un plan en béton armé? Je ne le sais pas. Mais c’est du travail de professionnels. C’est en général le cas des «grands casses». Ce vol a été commis par des spécialistes dans une optique très précise. Se pose la question de savoir comment ils ont eu tous ces renseignements. Quelquefois, ces vols sont d’une extrême simplicité. Plus c’est simple, mieux c’est.

Quel est l’intérêt de dérober des pièces a priori invendables?

Beaucoup d’intérêts divergents peuvent entrer en ligne de compte. Le premier, sans doute pas le plus évident, est la revente. C’est impossible dans le cas de tableaux, ça l’est pour des bijoux. Il faut trouver un tailleur qui les démontera, les retaillera… Mais c’est très compliqué. Cela coûte cher. Et c’est très risqué parce qu’un intermédiaire peut toujours balancer l’information à la police. Un deuxième intérêt, d’un registre différent, est, pour des trafiquants par exemple de drogue, d’échanger de l’argent qu’ils ont en grande quantité contre des bijoux qu’ils conserveront et revendront dans dix ou quinze ans. De toute façon, c’est une valeur sûre. Enfin, autre intérêt lié aussi au narcotrafic, il peut s’agir d’un coup de force spectaculaire pour montrer qu’un groupe est capable de mener ce genre d’opérations sur le mode «regardez ce que l’on sait faire; ne nous embêtez pas trop». En outre, ces différentes motivations peuvent se conjuguer.

«Il y a une confraternité entre les voleurs. Evacuer des objets volés va très vite.»

Ce cambriolage révèle-t-il ostensiblement des failles de sécurité?

Dans un musée quel qu’il soit, la sécurité totale est impossible. A partir du moment où des gens entrent et sortent, vous ne pouvez pas tous les fouiller. Dans le cas présent, les voleurs ont inspecté les lieux à différentes reprises. Les caméras de surveillance, si elles ont fonctionné, repèreront des personnes qui se sont trouvées souvent dans la même pièce. Mais un musée est impossible à sécuriser à 100%, sinon vous le transformez en coffre-fort et le confort du visiteur en pâtira. Le Louvre est un cas à part. Mais il est impossible de sécuriser à 100% les «petits» musées de province.

Dans votre livre, vous rappelez que par le passé, les voleurs d’objets d’art faisaient partie d’une sorte d’«aristocratie de la criminalité». Ce temps est-il révolu?

Ce temps est totalement révolu. Les histoires, dans les films américains, où l’on voit un milliardaire dans un sous-sol derrière trois portes blindées admirer des originaux de tableaux volés relèvent de la légende. Les grands collectionneurs ne s’amuseront pas à acheter un objet d’art volé. Cela n’a aucun intérêt dans tous les sens du terme. L’aristocratie version Arsène Lupin n’existe plus. Je ne pense pas que les cambrioleurs du Louvre aient fait cela pour la noblesse de l’art.

Excluez-vous l’hypothèse d’une commande?

Je n’y crois pas trop. Dans les vols, les commandes existent mais elles sont rares. En effet, pourquoi voler ces pièces-là? Qui pourrait les avoir commandées? Sur le marché noir, elles valent quelques dizaines ou, au mieux, quelques centaines de milliers d’euros. Pourquoi ont-ils fait cela? Je l’ignore. Il faut reconnaître que c’est un «joli coup». Il a été réalisé au Louvre, sans violence. Il y a peut-être ce côté «on est les meilleurs et on le prouve»…

Dans ce cas où des ramifications internationales sont probables, tous les services de police et de recherche sont-ils forcément mobilisés?

Les services en France, en Europe, aux Etats-Unis ont publié les photos des objets volés. Ils sont donc «intouchables» par des professionnels. En ce qui concerne les objets d’art, une vraie confraternité existe entre professionnels. Mais il y a aussi une confraternité entre les voleurs. On retrouve souvent les larcins dans des contrées très lointaines. Evacuer des objets volés va très vite. Et encore plus vite quand il s’agit de diamants. Ils peuvent rapidement se retrouver à l’autre bout du monde. Cela complique bien entendu la tâche des policiers.

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