Thierry Fiorilli

C’est beau comme la plus petite école d’Europe (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Ça change l’image de l’enseignant pépère ; ici, rien qu’arriver est un tour de force. Et en chaussures de trekking, s’il vous plaît bien!

Après Panarea, c’est la plus petite des îles Eoliennes: 5,1 kilomètres carrés, soixante habitants hors saison touristique, un volcan (675 mètres d’altitude), un hôtel et, comme le précisait à Vogue France, en avril dernier, la photographe Elena Braghieri, grande habituée du lieu, « deux petites épiceries, un bar-restaurant, un bureau de poste, pas de boutiques de luxe ni de distributeurs ». Ni de réseau routier, donc de voitures. Seul moyen de transport: mules et ânes. Ou alors, tu marches. Enfin, tu grimpes.

Voici Alicudi, anciennement Ericusa, territoire administratif de Lipari, province de Messine, Sicile. On y dit que, jadis, les femmes y volaient dans les airs et les hommes arrêtaient le vent. Elena Braghieri affirme, elle, qu’il faut y suivre les traces des mules, « comme s’il s’agissait d’un escalier géant menant au ciel. Chaque distance se mesure au nombre de marches depuis le port. » Deux exemples: l’église est à 750 marches. L’école, à 357.

Ah, l’école! La plus petite d’Europe. Trois élèves pour la rentrée, dénombrait, le 2 septembre, La Repubblica, qui n’a compté que 356 marches pour l’atteindre. Qui en primaire, qui en secondaire. Avant la pandémie, une partie des cours se donnait déjà par vidéo, en connexion avec les autres écoles de l’archipel, selon les matières, le nombre d’enseignants disponibles et la qualité des télécommunications. Par conséquent, il n’y a pas eu d’interruption des leçons pour raisons sanitaires: le virus n’y aurait jamais accosté. Et puis, tout le monde est vacciné. Les profs aussi. Certains y séjournent la semaine entière, les autres font la navette. Par hydroglisseur ou ferry, soit directement de Sicile, soit de Lipari, soit d’une des autres Eoliennes. Ce qui fait, selon le point de départ, une traversée d’une heure et demie à plus de quatre heures.

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Une fois au port, bonjour les mulets et les 356 ou 357 marches. Comme le dit, en substance, l’une des maîtresses, « ça change l’image de l’enseignant pépère ; ici, rien qu’arriver est un tour de force. Et en chaussures de trekking, s’il vous plaît bien! » Et puis, re-traversée, en sens inverse, si on a un cours à donner ailleurs. Si on ne loupe pas le bateau, aussi. Si la mer n’est pas trop mauvaise. Si on a l’argent, puisque ça coûte un pont tous ces va-et-vient, et aux guêtres du corps professoral. Mieux vaut s’installer pour de bon sur l’île. Mais les prix de l’immobilier ne sont pas donnés. Et, explique une autre prof, « tout est prévu pour l’été, ici. Moi, j’habite dans un bungalow qui n’a même pas de vitres. L’hiver, c’est moins marrant. »

Peu surprenant, dès lors, qu’on ne se batte pas pour enseigner dans la petite école, toute blanche, à flanc de rocaille, surplombant arbres et flots. Vu le nombre d’élèves, en plus. Sauf que ceux qui continuent d’y enseigner disent que le lien avec les enfants est inouï, qu’on ressent comme un magnétisme qui vous lie à l’île, que ça vous forme, vous, enseignant. Et que, finalement, c’est une aventure exceptionnelle.

De l’infiniment petit naît souvent l’immensément grand.

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