Le chef des putschistes maliens, Assimi Goïta, avait troqué l'uniforme militaire pour le costume civil en se rendant au sommet de la Cedeao au Ghana, le 30 mai. Cela n'a pas suffi pour convaincre ses "pairs" de ses intentions démocratiques. © belga image

Essoufflement démocratique sur le continent africain

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

A l’image de l’évolution politique au Mali ou au Bénin, la démocratie ne se porte pas très bien sur le continent africain. Comment expliquer que trente ans après les conférences nationales qui avaient fait souffler un vent de pluralisme sur de nombreux pays, le bilan soit si décevant?

Le contexte

Un deuxième coup d’Etat le 24 mai 2021, après celui commis en août 2020. Et voilà le Mali, déstabilisé par les attaques de groupes djihadistes, encore un peu plus affaibli. Le nouveau président et chef des putschistes, Assimi Goïta, dit avoir agi pour sauver la démocratie et pour éviter l’éclatement de dissensions au sein de l’armée. Dans de nombreux autres pays africains, les manipulations de la constitution, les fraudes électorales, les instrumentalisations de la justice pour écarter des opposants minent le fonctionnement démocratique. Assiste-t-on à une régression, à l’image de l’évolution de la politique sur d’autres continents?

Un coup d’Etat dans le coup d’Etat. Ainsi évolue le Mali. Le 24 mai, mécontent de l’éviction de deux de ses proches d’un gouvernement remanié, le colonel Assimi Goïta fait arrêter et force à la démission le président Bah N’Daw et le premier ministre Moctar Ouane. C’est déjà lui qui, à la tête d’un quintet d’officiers putschistes, avait démis, en août 2020, le président Ibrahim Boubacar Keïta, contesté par la rue après des soupçons de fraudes lors des élections législatives en avril de la même année. Aujourd’hui, Assimi Goïta argue que des affrontements auraient déchiré l’armée malienne s’il n’avait pas réagi au camouflet infligé aux deux militaires-ministres, issus de la garde nationale. Le 28 mai, la Cour constitutionnelle désigne Assimi Goïta président, lui qui était vice-président en charge des questions de défense et de sécurité. Le dimanche 30 mai, la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) suspend le Mali de ses instances, sanction mesurée, et la France menace de retirer du pays ses troupes engagées dans la lutte contre les groupes djihadistes. A Bamako, les factieux au pouvoir songent à nommer Premier ministre un représentant du Mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques, à l’origine de la contestation populaire de l’été 2020, et promettent de réformer le système électoral afin d’éviter le retour des scrutins « bâclés et marqués par la fraude ». La démocratie en Afrique est-elle si mal en point qu’il faille compter sur des militaires putschistes pour la préserver?

Au Bénin, le chef de l'Etat sortant Patrice Talon a réussi à écarter tous ses opposants pour remporter sans gloire la présidentielle d'avril dernier.
Au Bénin, le chef de l’Etat sortant Patrice Talon a réussi à écarter tous ses opposants pour remporter sans gloire la présidentielle d’avril dernier.© belga image

Mali, Tchad, Côte d’Ivoire, Guinée-Conakry, Togo, Bénin… Les ratés des élections organisées ces derniers mois sur le continent font dire à de nombreux observateurs que l’Afrique connaît une « régression démocratique ». Réalité, exagération ou fantasme? « On peut parler de régression démocratique dans un certain nombre de pays qui avaient réalisé des progrès importants et qui étaient souvent érigés en modèles. Si on se limite à l’Afrique de l’ Ouest, on pourrait citer le Bénin et le Sénégal où une tendance à la régression démocratique s’est fait jour, en raison d’un rétrécissement de l’espace politique ou de controverses autour de candidatures aux élections, observe Gilles Olakounlé Yabi, docteur en économie du développement et président du think tank citoyen Wathi. Mais il faut tout de suite ajouter que dans d’autres pays qui ont connu des élections en 2020 – Côte d’Ivoire, Guinée, Togo – la démocratisation était très relative. Dans ces cas-là, on ne peut pas vraiment parler de régression. On assiste plutôt à des changements constitutionnels opportunistes, à des pratiques politiques qui ne se renouvellent pas et donc à une gouvernance qui n’est pas démocratique malgré l’organisation des élections. »

« Il y a incontestablement un essoufflement de la démocratie électorale sur pratiquement tout le continent, estime pour sa part Pierre Jacquemot, ancien ambassadeur de France dans plusieurs pays africains et auteur de l’étude De l’élection à la démocratie en Afrique (1960-2020) (1). La majorité des pays africains se sont engagés dans des élections ouvertes à partir des conférences nationales qui ont démarré au début des années 1990, d’abord au Bénin avant de s’étendre un peu partout, y compris dans l’ex-Zaïre. Si on fait un bilan trente ans après, on s’aperçoit que ces processus régressent. »

Peu d’alternance

L’auteur appuie son constat sur deux observations principales. D’abord la rareté de l’alternance au pouvoir. « Si on analyse les deux dernières années, je n’ai identifié que deux cas, pas très significatifs, ceux des Seychelles et du Malawi, où le président sortant a été battu. Dans tous les autres cas, il y a eu une reconduction du parti et du président au pouvoir, pratiquement automatique. »

Autre symptôme de ce désenchantement démocratique, la fatigue du vote. « Les jeunes ne se rendent plus dans les bureaux de vote, les femmes non plus. Ils ne croient plus à la possibilité du changement », juge Pierre Jacquemot. « En Europe, un président ou un Premier ministre a entre 15 et 20 ans de plus que l’âge médian de la population. En Afrique, où la population est plus jeune et où l’âge médian est de l’ordre de 20 ans, le décalage est beaucoup plus important avec bon nombre de présidents qui ont plus de 70 ans. Vous imaginez bien que les jeunes ne se retrouvent pas dans les individus qui sont au pouvoir », assène l’ancien diplomate.

La justice instrumentalisée

« La manipulation des élections s’opère de plus en plus en amont des scrutins, décrypte Gilles Olakounlé Yabi. On utilise la loi pour restreindre les candidatures des opposants les plus importants. On instrumentalise la justice pour écarter des adversaires politiques. Ou on modifie les listes électorales… » Le Bénin est emblématique de cette dérive. Considéré comme le berceau des conférences nationales qui allaient insuffler un vent de démocratisation sur le continent au début des années 1990, l’ancien Dahomey connaît une dérive autoritaire. Lors des élections présidentielles du 11 avril 2021, le chef de l’Etat sortant, Patrice Talon, a été réélu avec 86,30% des voix, faute de réelle opposition. Une révision constitutionnelle fin 2019 imposant le parrainage de seize élus, maires ou députés, pour valider toute candidature à la présidence dans un pays où, en raison du boycott des élections législatives d’avril 2019 par l’opposition, tout le Parlement est acquis au pouvoir, des poursuites en justice sous les préventions de « trafic de drogue » pour l’un, de « détournement de deniers publics » pour un autre, et pour « association de malfaiteurs et terrorisme » pour une troisième ont eu pour conséquence que les principaux opposants à Patrice Talon ont été empêchés de concourir à la présidentielle de 2021.

Mais l’analyste politique du think tank Wathi tempère cependant ce tableau pessimiste. « Si l’on dresse le bilan des trois dernières décennies, on observe toute de même que beaucoup d’élections, en Afrique de l’Ouest notamment, ont donné lieu à des changements démocratiques, malgré des failles, souvent dans l’organisation des élections. »

(1)De l’élection à la démocratie en Afrique (1960-2020), Fondation Jean-Jaurès, 75 p.

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