En Russie et en Ukraine, pour Poutine, l’union fait la force
Le président russe en appelle à la famille traditionnelle pour fédérer la nation et promet la vengeance après le recours de l’Ukraine à la «sale guerre».
2024 sera l’année de la famille en Russie. Ainsi l’a décrété et annoncé lors de son discours de Nouvel An Vladimir Poutine, qui avait adopté pour l’occasion les accents du «père des peuples» communément attribués à Staline. Abandonnant le ton martial choisi un an auparavant après le déclenchement de son «offensive militaire spéciale» en Ukraine, le président russe a résolument orienté son propos sur la situation intérieure. Cette évolution n’est sans doute pas étrangère à la tenue de l’élection présidentielle, le 17 mars prochain, lors de laquelle Vladimir Poutine briguera un cinquième mandat. Sans réelle opposition.
«Un grand pays, une grande famille», épine dorsale du «peuple multinational de Russie», telle est la vision portée pour son pays par le dictateur qui, de la Géorgie à l’Ukraine en passant par la Syrie et l’Iran, ébranle depuis plusieurs années une société occidentale fondée sur une conception plus ouverte du vivre-ensemble. L’Institut pour l’étude de la guerre (ISW) de Washington y décèle une volonté idéo- logique soigneusement étudiée. «L’invocation par Vladimir Poutine de 2024 comme “année de la famille” ainsi que l’accent mis sur le “multinationalisme” russe servent […] à délimiter clairement la ligne idéologique du Kremlin à l’horizon 2024, en axant la politique intérieure sur la préservation des valeurs familiales russes traditionnelles et la protection du multinationalisme russe, qui s’inscrivent tous deux dans l’idéologie plus large d’un “monde russe” (russkiy mir) incluant des communautés à l’intérieur et à l’extérieur de la Russie.» «Les conceptions du monde russe du Kremlin auront sans aucun doute des conséquences sur les priorités administratives, bureaucratiques et socioculturelles en Ukraine occupée, ainsi que sur les objectifs militaires sur le champ de bataille en 2024», complète le centre d’études. Moins belliqueuses, les promesses poutiniennes n’en restent donc pas moins inquiétantes.
Un grand pays, une grande famille», épine dorsale du «peuple multinational de Russie», telle est la vision de Poutine.
Bombardements indiscriminés
Le passage de 2023 à 2024 sur le théâtre du conflit l’a aussi suggéré. En effet, si l’allocution présidentielle russe de fin d’année a semblé si mesurée, c’est parce que les derniers jours de 2023 ont vu resurgir la «sale guerre» des bombardements indiscriminés en Ukraine. Le 29 décembre, quelque 110 missiles et drones ont frappé un grand nombre de villes dans tout le pays. Ils ont fait au moins quarante morts dans l’attaque d’immeubles, d’une maternité, d’un centre commercial… Dimension nouvelle en regard des autres campagnes de bombardements russes observées depuis le début de la guerre, le lendemain, c’est la ville russe de Belgorod, située à 75 kilomètres de celle de Kharkiv, en Ukraine, qui était ciblée par une série de frappes. Et contrairement au modus operandi qui a principalement prévalu auparavant, ce sont des bâtiments civils et non plus des infrastructures militaires qui étaient attaqués. Résultat: 25 tués, dont quatre enfants.
Si ce n’est dans une volonté de plate vengeance par rapport aux bombardements russes de la veille, l’irruption de l’armée de Kiev dans cette «sale guerre» ne s’explique pas vraiment. D’autant qu’une source au sein des services de sécurité l’a attribuée de façon saugrenue au «travail non professionnel de la défense antiaérienne russe». L’attaque de Belgorod, dont le bilan représente le tribut le plus élevé payé par la population civile russe depuis le 24 février 2022, marque un tournant et une nouvelle escalade dans le conflit.
«Nous allons intensifier les frappes. Aucun crime contre des civils ne restera impuni, c’est une certitude», a réagi Vladimir Poutine. Dans la nuit du 31 décembre au 1er janvier, puis le mardi 2, plusieurs villes ukrainiennes étaient donc à nouveau la cible de bombardements de l’armée russe, faisant au moins cinq morts, mais sans atteindre le niveau d’intensité de la vague du 29 décembre. Il n’empêche que le pouvoir russe a paru, à travers cette démonstration de force de fin d’année, vouloir mettre les Ukrainiens en face d’une certaine réalité alors qu’ils constatent déjà l’inefficacité de leur contre-offensive lancée à l’été 2023: la guerre montera encore en intensité. «Nous ne reculerons jamais car aucune force ne peut nous diviser», a du reste proclamé Vladimir Poutine dans son discours décidément très fédérateur du Nouvel An.
Colosse aux pieds d’argile?
Cependant, cette puissance affichée ne cacherait-elle pas des déficiences alarmantes? Deux informations l’accréditent. La première, relayée par l’Institut pour l’étude de la guerre, rapporte le constat dressé le 31 décembre par le blogueur militaire russe Kostyantyn Mashovets. Selon ses sources, les forces aéroportées auraient subi de lourdes pertes, notamment dans les rangs de ses membres les plus expérimentés occupant des postes de commandement. Résultat: les militaires sous contrat constituent une proportion plus faible du personnel. Conséquence concrète: le commandement militaire russe devrait déployer sur le front de nouveaux officiers et soldats des forces aéroportées «directement après avoir obtenu leur diplôme de formation initiale, sans qu’ils aient suivi un entraînement préalable au combat».
La deuxième information émane du ministère britannique de la Défense. D’après celui-ci, «au cours de l’année 2023, le nombre quotidien moyen de victimes russes (tués et blessés) en Ukraine a augmenté de près de trois cents unités par rapport à 2022». Cette hausse importante entraînerait «presque certainement une dégradation des forces russes et leur transition vers une armée de moindre qualité et armée de masse depuis la “mobilisation partielle” des réservistes en septembre 2022». Affaiblie mais supérieure en nombre, l’armée russe sera-t-elle à la hauteur des ambitions de Vladimir Poutine pour 2024?
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