Les manifestations du 1er mai, treizième mobilisation contre la réforme des retraites. Une quatorzième est prévue le 6 juin. © getty images

En France, le long combat contre la réforme des retraites met l’unité syndicale à l’épreuve

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Epuisement des leviers pour s’opposer à la réforme des retraites et division sur la réponse à la relance de la concertation par le gouvernement: tout profit pour Macron?

Après un 1er mai qui, avec ses 782 000 participants recensés par le ministère de l’Intérieur, a connu une mobilisation importante pour un rassemblement de la fête du travail mais simplement honorable pour une treizième journée de contestation de la réforme des retraites, c’est la question de l’unité syndicale face au gouvernement qui est désormais posée en France. Car si une nouvelle journée de mobilisation a été programmée, dès le lendemain, par l’intersyndicale le mardi 6 juin, l’invitation de la Première ministre Elisabeth Borne à des négociations sur de nouveaux thèmes de discussion suscite, elle, des réactions diverses.

L’écart entre la mobilisation «historique» espérée par les syndicats le 1er mai et la réalité de terrain moins porteuse ne doit tout de même pas occulter le constat que le mouvement de contestation de la réforme des retraites, lancé voici quatre mois, reste puissant en regard d’une loi qui a été adoptée par l’Assemblée nationale (non par un vote en tant que tel mais par le recours à l’article 49.3 et le rejet des motions de censure qui lui ont été opposées), validée par le Conseil constitutionnel et promulguée par le président Macron. Trois cents points de mobilisation ont encore été recensés à travers l’Hexagone le 1er mai. Etude de la légalité du texte par le Conseil constitutionnel, examen par la même institution de la possibilité de tenir un référendum d’initiative partagée sur le sujet, fête annuelle des travailleurs…: le calendrier a offert des rendez-vous qui ont permis à la mobilisation de se prolonger. Deux autres se profilent encore.

Cette colère pourrait déborder les syndicats et confronter le pouvoir à une crise sociale profonde.

Proposition d’abrogation

Le 8 juin, l’Assemblée nationale est appelée à se prononcer sur une proposition de loi du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot) visant à abroger l’article 7 du texte sur les retraites, qui repousse l’âge de départ à la pension de 62 à à 64 ans. C’est le même cercle de députés qui avait déposé la motion de censure la plus «fédératrice» contre le gouvernement après l’application du 49.3. Elle avait échoué à neuf voix près, de quoi donner l’espoir à certains que ce coup-ci aboutisse. «Il y a forcément un risque parce que nous sommes dans une majorité relative», a commenté le ministre français du Travail, Olivier Dussopt. Mais il faudrait, pour cela, qu’un plus grand nombre d’élus du parti de droite Les Républicains se désolidarise du macronisme, ce qui constituerait une solide surprise. L’autre rendez-vous daté qui s’offre aux syndicats pour mobiliser leurs soutiens et frapper l’opinion est le 14 juillet. Fête nationale et échéance fixée par Emmanuel Macron pour dresser un premier bilan du nouveau chantier de réformes qu’il a engagé lors de son allocution du 17 avril. Déjà à cette période, et plus encore après, les Français auront la tête en vacances et la force de la contestation, qui aura surtout pâti de son incapacité à paralyser le pays par les actions de grève, s’en ressentira.

Occasion manquée

D’ici là, les syndicats auront dû se posi- tionner sur les propositions de l’exécutif concernant les thèmes sociaux de ce chantier: la réforme de l’agence Pôle emploi (future France Travail), celle du revenu de solidarité active (RSA) ou du lycée professionnel, les négociations sur l’emploi des seniors et sur les conditions de travail… Dirigeant d’un syndicat «réformiste», la Confédération française démocratique du travail (CFDT), Laurent Berger, avant de céder le flambeau à Marylise Léon le 21 juin, a annoncé le 30 avril qu’il répondrait favorablement à l’invitation du gouvernement. Deux autres organisations, la Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) et la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) ont adopté la même position. La Confédération générale du travail (CGT), deuxième syndicat en importance des salariés du secteur privé, rechigne en revanche à se plier à l’agenda du gouvernement. L’organisation dirigée par Sophie Binet conditionne toujours sa «coopération» avec le gouvernement au retrait de la réforme des retraites et si retour à la table de négociation il devait y avoir, elle souhaiterait qu’il résulte d’une décision commune.

Ce début de fracture offre une opportunité à Emmanuel Macron d’enfoncer un coin dans le front syndical. Laurent Berger n’est pas prêt à aller la fleur au fusil au rendez-vous d’Elisabeth Borne. Il a clairement indiqué que la participation de la CFDT à la future négociation «coûterait cher» en matière de revendications et qu’au moindre signe d’intransigeance de l’exécutif, il la quitterait. Bref, soit le pouvoir consent à faire des concessions et abandonne sa stratégie du «cause toujours, tu m’intéresses», soit l’espoir d’une relance de la concertation sociale sera mort-né. Mais pour que la première hypothèse l’emporte, encore faudrait-il qu’Emmanuel Macron accepte enfin de changer de cap. Ses promesses antérieures, déçues, ne laissent pas augurer une issue en ce sens, d’autant que la dégradation récente de la note de la France (de AA à AA-) par l’agence Fitch avertit le président français qu’il ne pourra plus user aussi facilement du «quoi qu’il en coûte». Néanmoins, à force de persister dans sa vision verticale du pouvoir, il pourrait payer cher cette occasion manquée.

Si la mobilisation contre la réforme des retraites a connu une telle ampleur et une telle longévité, c’est qu’elle se fonde désormais aussi, au-delà de son objet premier – le retrait du texte –, sur une colère profonde, nourrie par le sentiment de mépris et d’autoritarisme que perçoivent beaucoup de Français de la part du président. Faute de perspective de débouchés politiques, cette colère pourrait déborder les syndicats, comme les violences observées le 1er mai à Paris, Nantes et Lyon ont semblé le préfigurer, confronter le pouvoir à une crise sociale profonde et paralyser son action pendant les quatre dernières années du mandat d’Emmanuel Macron. Pour l’éviter, celui-ci ravivera-t-il la «démocratie sociale»?

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