Sultan Al Jaber
Sultan Al Jaber © Getty

COP 28 : pourquoi les… 2.456 lobbyistes pétroliers (et McKinsey) ont gagné

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Présents en nombre comme jamais à Dubaï, les lobbyistes du secteur pétrolier, du gaz et du charbon ont remporté la mise pour que la réduction des énergies fossiles soit inscrite en tout petit dans le texte final de la COP.

Le projet de conclusions présenté par le président de la COP 28 en disait déjà long sur le poids inédit que le lobbying des hydrocarbures aura eu lors des négociations à Dubaï. Ce projet, qui douchait les espoirs de voir une « sortie » des énergies fossiles inscrite dans le texte final, a outré de nombreux participants. Le sultan Al Jaber a dû revoir sa copie, sans surprise. A-t-il avancé un texte aussi mièvre par stratégie, pour limiter les ambitions de voir une diminution drastique des fossiles actée et datée dans l’accord de Dubaï ? Probable. Le texte final, adopté ce 13 décembre par 200 pays participants à la COP, ne mentionne pas la « sortie » des énergies fossiles, mais une « transition en dehors des énergies fossiles ». C’est une avancée mais c’est beaucoup moins clair qu’une « sortie ». Les termes sont suffisamment flous pour contenter tout le monde et être interprétés selon les intérêts de chacun.

Un compromis donc, mais probablement pas un « accord historique », comme le prétend le président émirati de la COP. Depuis le début de la Conférence, Sultan Al Jaber promet une décision finale ambitieuse. Mais celui qui est aussi le CEO de la compagnie pétrolière des Emirats Arabes Unis, 7e producteur mondial, avait aussi promis une COP « inclusive », ouverte à tous les points de vue, ceux de la société civile et aussi, voire surtout, ceux des compagnies productrices de pétrole qui, vu les bénéfices récoltés grâce à l’inflation et la guerre en Ukraine, ont revu à la baisse leurs engagements pour une transition vers les énergies renouvelables.

Résultat : au moins 2 456 lobbyistes pétroliers et des énergies fossiles, comptabilisés par la coalition d’ONG KBPO, ont obtenu une accréditation pour participer à la COP 28. Du jamais vu ! Et ce chiffre record est sans doute même sous-estimé, selon l’ONG qui en avait recensé 636 à la COP 27, l’an dernier, et 503 à la COP de Glasgow en 2021. Le pays qui a délivré le plus de badges à ces lobbyistes pour venir à Dubaï est le pays hôte de la COP, soit 177 accréditations accordées par les Emirats Arabes Unis, loin devant la Chine et Oman (82) qui sont, à ex aequo, les seconds plus généreux fournisseurs de badges. La Belgique, pourtant petit pays, n’est pas en reste : 26 accréditations octroyées aux représentants des fossiles. C’est, avec la France, le record de l’Union européenne. Même des poids lourds comme le Royaume-Uni (20 badges) ou l’Italie (18) n’ont pas fait mieux.

Les lobbyistes pétroliers et la schizophrénie de McKinsey

La présence de ces lobbyistes pétroliers pose un vrai problème dans les négociations internationales sur le climat. KBPO a relevé que les 2 456 lobbyistes de cette 28 édition de la COP étaient bien plus nombreux que l’ensemble des délégués – 1 609 en tout – des dix pays les plus vulnérables au réchauffement climatique, ceux qui sont en première ligne pour subir les conséquences des émissions de gaz à effet de serre. Cherchez l’erreur… Si l’on ajoute cette présence massive de lobbyistes au conflit d’intérêt du président de la COP, qui est la tête de la compagnie Adnoc (sa production pétrolière devrait doubler d’ici 2027), on obtient un panorama édifiant de la manière dont les intérêts pétroliers et gaziers auront été défendus à la Conférence sur le climat. Sans compter le jeu trouble de McKinsey.

Décidément habitué à défrayer la chronique, le plus grand cabinet de conseil au monde a offert ses services gratuits à la présidence de la COP pour faciliter son organisation. L’Agence France-Presse (AFP) a récemment révélé que McKinsey avait ainsi rédigé un « récit de la transition énergétique » pour le moins étonnant : le scénario prévoit une réduction de la production de pétrole de seulement 50 % d’ici 2050 et table sur le maintien de milliers de milliards de dollars d’investissements annuels dans des « actifs à fortes émissions » d’ici cette échéance. Cela ressemble à un scénario écrit par l’industrie pétrolière. Pas vraiment étonnant lorsqu’on sait que le consultant international a déjà conseillé un grand nombre des plus grands pollueurs de la planète, comme ExxonMobil, BP, Aramco (la compagnie publique pétrolière saoudienne) ou Gazprom. Ce conflit d’intérêt ne semble en tout cas pas avoir effrayé Al Jaber.

Toujours selon l’enquête de l’AFP, plus d’un millier d’employés de McKinsey, dont le chiffre d’affaires a atteint 15 milliards de dollars en 2021 et 2022, ont signé une lettre interne, il y a deux ans, pour s’indigner des relations du cabinet avec l’industrie fossile, pointant « un risque significatif pour McKinsey et pour nos valeurs », ajoutant : « Depuis plusieurs années, nous disons au monde d’être audacieux et de s’aligner sur une trajectoire d’émissions pour ne pas dépasser 1,5°C, il est grand temps que nous appliquions notre propre conseil ». Pas sûr que ces employés aient été entendus. Pas sûr non plus qu’ils qualifieront le texte final de la COP d’« ambitieux ».

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire