Le remblai de la mine de Ruashi, à Lubumbashi, inquiète les habitants. © fjdo

Comment sortir de la malédiction des ressources naturelles au Congo? (reportage)

François Janne d'Othée

Expulsions, violences, exploitation: l’industrie minière en République démocratique du Congo laisse beaucoup de dégâts dans son sillage.

Au bout de l’avenue du Manguier à Kolwezi, au Congo, des chants religieux s’échappent d’une église méthodiste. En contrebas, une interminable muraille coupe la route et sépare la ville du gigantesque cratère d’un site minier. Chaque soir, à la faveur de la pénombre, des grappes de jeunes gens escaladent le mur pour tenter de chaparder quelques précieuses pierres. Ils ne reculeront qu’après les tirs de sommation, parfois de gaz lacrymogènes. La nuit, dans ce paysage lunaire, fait place au vacarme des engins de chantier sous la lumière aveuglante d’énormes projecteurs. La concession est exploitée par Commus, une filiale de l’entreprise chinoise Zijin Mining et de la Gécamines, ex-Union minière, cette entreprise d’Etat dépecée et vendue à des opérateurs étrangers par l’ancien président Joseph Kabila.

C’est sur ce site, et sur douze autres de l’ancien Katanga, que débute l’énergie verte. Car c’est ici qu’on extrait le cuivre, connu pour sa conductivité, et surtout le cobalt, essentiel pour fabriquer les batteries des véhicules électriques, téléphones portables, installations de stockage pour l’éolien et le solaire… La République démocratique du Congo possède la plus grande réserve de cobalt et la septième réserve de cuivre au monde. Depuis la libéralisation du secteur minier, la Chine est à la manœuvre. Le hic: les recettes fiscales n’augmentent pas au même rythme que la production, car les «contrats chinois» prévoient une exemption de trente ans. Pendant ce temps, la demande pour le cobalt a triplé depuis 2010, et pourrait atteindre 222 000 tonnes en 2025, à telle enseigne que le sous-sol de Kolwezi est devenu un gruyère prêt à engloutir la ville.

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A Kolwezi, c’est pot de terre contre pot de fer. D’un côté, des entreprises aux appétits financiers insatiables, de l’autre des populations fragilisées par la malédiction des ressources naturelles, qui leur profitent si peu. L’expansion des mines industrielles a entraîné l’expulsion de populations entières. Non seulement elles ne perçoivent que des miettes du plantureux gâteau, mais, de plus, elles ne touchent pas les compensations auxquelles elles ont droit. Quant aux creuseurs, officiellement appelés «exploitants miniers artisanaux», ils s’échinent à extraire les minerais à mains nues, à les trier et à les concasser, au péril de leur santé, parfois de leur vie, pour une poignée de dollars. Au Congo, après les diamants de sang, le cobalt de la sueur et des larmes.

Quand de fortes pluies s’abattent sur le remblai, nos maisons sont envahies de boues toxiques.

La «juste indemnité»

En déambulant dans l’ancienne et délabrée cité Gécamines, une dame et son fils prennent l’air face à leur maison, en fait un internat désaffecté. «J’ai construit ma maison en 2008, et en 2011, la Gécamines a vendu le terrain à TFM (NDLR: Tenke Fungurume, aujourd’hui contrôléepar une société chinoise), évoque Judith Monga. On m’a priée de déguerpir. Ma maison a été démolie alors qu’elle était neuve. Je n’ai jamais reçu d’indemnités. On m’a juste relogée, et je me trouve aujourd’hui dans ce bâtiment, mais regardez toutes ces fissures, j’ai peur qu’un jour tout s’effondre.» Nonante personnes se tiennent les coudes autour du même dossier, 25 sont décédées entre-temps: «On a gagné en justice, mais il n’y a pas de suivi», se lamente Crispin Mpenge, un ancien de la Gécamines. Au moins des jugements favorables sont-ils prononcés: «Du temps de Joseph Kabila, c’était impossible.» C’est sous sa présidence qu’avait été négocié, en 2007, le contrat du siècle avec les Chinois.

Pourtant, les compensations sont bel et bien prévues dans le nouveau Code minier de 2018. Tous connaissent l’article 281, qui évoque la «juste indemnité» pour les citoyens expropriés. «On joue sur les mots, critique l’avocat Aimé Banza Mwape. Les indemnisations accordées ne permettent pas d’acheter un nouveau logement. Un père de neuf enfants s’est retrouvé dans une maison à deux chambres. D’autres logent dans des habitations sans porte, sans eau, sans électricité, sans centre de santé à distance de marche.» Selon l’avocat, qui mène d’inlassables médiations entre les parties prenantes avec son association, soutenue par le CNCD-11.11.11, la coupole des ONG belges de développement, les entreprises utilisent toutes les ficelles pour échapper à leurs obligations, par exemple en récusant le tribunal de commerce de Kolwezi et en renvoyant l’affaire à une juridiction de Kinshasa, à 1 300 kilomètres de là.

Au centre de négoce, les Chinois parlent habituellement le swahili.
Au centre de négoce, les Chinois parlent habituellement le swahili. © fjdo

Près du quart du cobalt est extrait de mines artisanales au Congo. A Kasulo, un quartier bruyant en plein Kolwezi, maisons, église, école ont été rasées et le périmètre muré pour permettre l’exploitation d’une mine artisanale sous la supervision de l’entreprise chinoise Congo Dongfang Mining. En temps normal, ça grouille de monde. Le jour de notre visite, il n’y a personne. A peine quatre creuseurs qui séparent au marteau les impuretés de la roche et en extraient les morceaux de choix. «Le cours du cobalt a diminué», justifie John, le directeur. Explication suffisante? Ou a-t-on vidé le site avant l’arrivée de la presse pour cacher que des enfants y travaillent? Que les équipements font défaut? Pour éviter que des protestataires ne dénoncent leurs conditions de travail? L’un d’eux commence à évoquer négativement les Chinois, quand son comparse lui demande de se taire. Terrain glissant. Car ce sont les Chinois qui investissent, faisant des Congolais leurs obligés.

L’imposition de normes plus contraignantes à tous les acteurs du secteur semble une route longue et semée d’embûches.

Artisanal vs industriel

Pénétrer sur un site minier artisanal n’est pas une sinécure. Les autorisations sont difficiles à obtenir. Il manque toujours un cachet, une signature, l’original d’un document… Les niveaux de pouvoir se superposent, avec une multiplicité d’intervenants. Chaque agent, qu’il soit attaché à un site minier, au ministère des Mines (un par province) ou aux services de renseignement, détient sa propre autorité, et ils ne sont pas toujours sur la même longueur d’onde. Quant aux explications données, elles sont parfois confuses. Rien de plus hasardeux que d’obtenir des chiffres: sur le nombre de creuseurs, sur les gains des entreprises, sur les redevances reversées aux collectivités, sur les rétributions des travailleurs. Ainsi, les quatre creuseurs de Kasulo affirment gagner cinquante dollars par personne et par jour après déduction des frais de nourriture, de transport, de matériel comme des vêtements de protection, de lampes torches, de batteries… Comment vérifier?

Mine artisanale à Kolwezi: un travail à haut risque.
Mine artisanale à Kolwezi: un travail à haut risque. © fjdo

Une chose est sûre: les creuseurs risquent leur peau à chaque fois qu’ils s’aventurent sans casque dans des trous profonds parfois d’une trentaine de mètres, qui peuvent à tout moment se transformer en tombeaux. Mais ils sont prêts à tout. Les femmes aussi. Chaussée de grandes bottes qu’elle loue à une coopérative, Adèle, 18 ans, passe sa journée à laver le minerai dans un plan d’eau fétide: «C’est la souffrance qui nous mène ici, lâche-t-elle avec le sourire du désespoir. C’est trop dur, parfois, on ne gagne rien. Ayez pitié de nous!» Seul progrès dans ce sombre tableau: le Code minier oblige les compagnies à verser une redevance en faveur des «entités territoriales décentralisées» (ville, commune, secteur, chefferie) afin de contribuer à leur développement. Ainsi, à Fungurume, sur la route vers Lubumbashi, neuf écoles et un centre de santé sont sortis de terre depuis 2019. Grâce au cobalt et au cuivre.

Parfois, la mine artisanale jouxte la mine industrielle. Gérée par la Coopérative minière pour le développement social, la mine de Kamilombe s’étend sur trois kilomètres carrés. Juste en face, on distingue la mine industrielle de la Kamoto Copper Company, gérée conjointement par le groupe anglo-suisse Glencore (75%) – qui a accepté fin 2022 de solder des litiges avec Kinshasa concernant des affaires de corruption – et la Gécamines (25%). Un même objectif de course au minerai, mais les deux entreprises ne jouent pas dans la même division. D’un côté des excavatrices titanesques, de l’autre, le marteau et la pelle. D’un côté un code du travail, des contrats, des protections, de l’autre… pas grand-chose.

«L’obligation de respecter les normes sociales est bien incluse dans le Code minier, qu’on soit dans l’artisanal ou l’industriel, souligne Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD-11.11.11. Dans les faits, il n’y a pas de contrôle et, de facto, pas de respect. Ces creuseurs artisanaux ne disposent pas de système de protection juridique. Ils n’ont souvent pas accès à des équipements de protection adéquats et les accidents sont fréquents. En fait, ceux qui se couvrent en matière de normes sociales sont les grosses sociétés cotées en Bourse et qui craignent pour leur réputation.» Toujours ça de pris? Si ce n’est que les emplois formels dans le secteur minier congolais ne représentent que 0,1% de la force de travail, alors que les emplois informels se comptent par millions.

Le minerai cobaltifère est au cœur de la transition énergétique.
Le minerai cobaltifère est au cœur de la transition énergétique. © fjdo

La discrétion des Chinois au Congo

Que devient le minerai extrait? Placé dans des sacs, il est acheminé au centre de négoce, où s’organisent les ventes. Les Chinois inscrivent les prix à la main sur des affiches accrochées au mur. «Comme ils sont impatients de récupérer leur mise, ils ont tendance à tricher avec la balance», accuse un partenaire congolais du CNCD-11.11.11. Un tout nouveau centre de stockage et de négoce, avec restaurant intégré, a été récemment inauguré, mais il reste désespérément vide. L’exportation de minerais bruts étant interdite au Congo, les sociétés les transforment en lingots avant de les expédier en Asie via la frontière zambienne et le port de Dar es-Salaam, en Tanzanie.

Sur les sites comme dans les centres de négoce, les Chinois se laissent difficilement approcher. Ils tournent le dos aux visiteurs étrangers, parfois en se cachant sous un grand chapeau de paille. En général, les ressortissants de l’empire du Milieu s’expriment en swahili, la langue locale, «afin de dispenser les Congolais d’apprendre le mandarin et d’éviter qu’ils ne captent les conversations», relève un partenaire congolais. Le même Chinois peut changer de prénom en fonction des interlocuteurs: il se fera appeler Félix par les francophones… et Mike par les anglophones.

Le Lualaba deviendra l’Europe de demain, plus question d’aller chercher Eldorado ailleurs.

A côté des dégâts sociaux, c’est aussi l’environnement qui trinque. Exemple à Lubumbashi, à trois cents kilomètres de Kolwezi, qu’on rejoint en quatre à cinq heures sur une route asphaltée encombrée de camions tanzaniens. Au nord-est de la ville, non loin de l’aéroport, dans le quartier de Kalukuluku, on découvre un étonnant panorama: une colline qui s’étend sur des centaines de mètres, et qu’escaladent des jeunes gens. En fait de colline, il s’agit d’un immense remblai de la mine de Ruashi, et les arpenteurs ne sont pas là pour le plaisir, mais pour récupérer du gravier cobaltifère.

En compagnie de Christophe Kabwita, un leader communautaire à la barbe blanche, on se dirige vers la base du remblai. Un tuyau rejette les eaux usées de la mine dans une grande mare où des femmes pataugent en faisant la lessive. «Leur santé est en jeu, et celle de leurs enfants aussi, à cause de la présence de métaux lourds et d’acide, dénonce-t-il. De plus, quand le remblai est sujet à des érosions, l’air s’emplit de microparticules toxiques qui peuvent avoir un effet dévastateur sur les poumons, les reins. Certains ont une toux qui ne s’arrête jamais. On a aussi constaté des malformations congénitales.» Ces microparticules peuvent se loger sous les ongles, sur les mains, et être avalées si on n’y prend pas garde.

Plus loin, Floribert, un ancien, prend le relais de l’indignation: «Quand de fortes pluies s’abattent sur le remblai, nos maisons sont envahies de boues toxiques, s’exprime-t-il avec force gestes. Nous sommes des victimes de cette mine depuis des années. Quand ils font exploser la roche, des cailloux retombent sur nos toits, et sur les piétons dans la rue. Une enfant est morte en rentrant de l’école.» Le réseau Sud-Congo, partenaire du CNCD-11.11.11, a déposé plainte pour non-respect des normes imposées par le Code minier. L’entreprise a bien voulu écouter les doléances, mais exige une expertise pour étayer les accusations de pollution portées contre elle. Une expertise… impayable. «Les violations, ici, c’est tous les jours, affirme, révolté, Joël Mputu Mikobi, 35 ans. Comme on n’a pas de boulot, on est bien obligés d’escalader le mur, mais on nous chasse comme des animaux alors qu’on a grandi ici.» Il nous montre une douille: «On nous tire même dessus!»

Dans la banlieue de Kolwezi, la mine artisanale de Kamilombe jouxte une mine industrielle.
Dans la banlieue de Kolwezi, la mine artisanale de Kamilombe jouxte une mine industrielle. © fjdo

«Les Européens ont loupé le coche au Congo»

«Restons sérieux: il existe aussi des gens qui travaillent correctement au Congo, tout le monde ne pollue pas, ni ne commet de violences ou fait travailler des enfants! , tient à nuancer la Belge Cécile Amory, general manager de MCSC (Mining Contracting Services Congo), qui sous-traite l’exploitation minière pour de grandes entreprises de Kolwezi, Likasi et Lubumbashi. Le problème, c’est que les Chinois prennent tout ce qu’ils peuvent sans se soucier de l’environnement, de l’humain. Ils tirent les standards vers le bas. Quand ils repartiront, quel héritage restera-t-il? Mais peut-on leur reprocher d’être là? S’ils ont pu signer tant de contrats sous la présidence de Kabila, c’est parce que les Européens ont fait la fine bouche. Les Occidentaux se rendent compte maintenant qu’ils ont loupé le coche.» Dans ce pays rongé par la corruption, elle-même se refuse à entrer dans l’engrenage. «La question, c’est de savoir si on peut continuer à être compétitifs en respectant les valeurs, les règlements, les normes, et cela au rythme des contrôles étatiques et des amendes aux proportions stratosphériques, souvent pour des broutilles.»

Début octobre, le président Félix Tshisekedi a rendu une visite remarquée à Lubumbashi et Kolwezi, chefs-lieux des deux provinces, Haut-Katanga et Lualaba, les plus visitées par les gens au pouvoir. D’immenses panneaux emplis de flagorneries sont toujours disposés en ville. Avant d’annoncer qu’il reviendrait en novembre dans le cadre de sa campagne pour le scrutin du 20 décembre prochain, pour lequel il brigue un deuxième mandat, le président a prédit que «le Lualaba deviendra l’Europe de demain, plus question d’aller chercher Eldorado ailleurs.» Ni de permettre à des sociétés étrangères d’arriver les mains vides et de repartir fortune faite sans en faire profiter le peuple du Congo. Pour Arnaud Zacharie, «l’imposition de normes plus contraignantes à tous les acteurs du secteur semble encore une route longue et semée d’embûches. Ce n’est pourtant qu’à ce prix que la transition écologique pourra être rendue moins injuste pour les mineurs qui se tuent à en extraire le matériau brut.» Une question de justice, mais aussi de décence.

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