Saskia Bricmont

Comment nos Etats laissent les entreprises fossiles mettre en danger la planète

Saskia Bricmont Eurodéputée Ecolo

Ce 23 septembre, les dirigeants du monde se rencontreront à l’occasion du 25e Sommet pour le climat des Nations-Unies.

Quelques jours après la publication d’un nouveau rapport pointant que la hausse maximale des températures d’ici à 2100 irait jusqu’à… +7°C (alors que jusqu’à présent, le scenario catastrophe envisageait une augmentation de +4,8°C), le Sommet a pour objectif de renforcer l’action climatique car à l’heure actuelle, les engagements pris par les pays ne permettent pas de limiter la hausse à +1,5 %.

LE TRAITÉ SUR LA CHARTE DE L’ENERGIE

Si la plupart des dirigeants sont, on peut l’espérer, de bonne foi, il est fort à parier que la grande majorité ignore un obstacle majeur qui se dresse devant eux. Cet obstacle porte le nom de « Traité sur la Charte de l’Energie » (acronyme anglais : ECT). Ce Traité négocié au début des années 1990 avait pour objectif de protéger les investissements réalisés par les énergéticiens d’Europe occidentale dans les pays issus de l’implosion du bloc soviétique. Une cinquantaine de pays (dont l’UE elle-même et tous les européens sauf l’Italie qui l’a dénoncé) en sont membres et des pays comme le Yemen, le Pakistan envisagent d’y adhérer prochainement.

Ce Traité pose problème car il ignore l’acquis communautaire énergétique et environnementale qui s’est considérablement étoffé depuis sa signature et des engagements internationaux comme l’Accord de Paris, contrairement à de nouveaux accords commerciaux qui y font explicitement référence. En réalité, ce Traité peut être utilisé par de grandes entreprises, investisseurs, voire des entreprises boîte à lettres (sans activité économique significatives sur le territoire d’un Etat signataire) pour contourner, voire empêcher la transition énergétique dès lors que celles-ci nuiraient à leurs intérêts économiques et financiers.

LE RETOUR DE LA CLAUSE ISDS

L’instrument qu’ils utilisent à cette fin est le mécanisme de règlement des différends du type de celui – ISDS – qui a mobilisé des millions de personnes contre le TTIP et le CETA.

C’est par ce biais que des entreprises comme Vattenfall ou Rockhopper ont attaqué devant des tribunaux privés (où les conflits d’intérêts des arbitres sont manifestes) des pays qui voulaient se dégager du nucléaire ou du charbon ou maîtriser l’évolution des prix énergétiques dans un souci de cohésion sociale. Aucun autre accord dans le monde n’a donné lieu à autant de procédures d’arbitrage !

C’est ainsi que, en protégeant les investissements en énergie fossile de ces entreprises, l’ECT garantit des émissions colossales de CO2, émissions qu’on ne semble pas pouvoir empêcher !

QUELLE MODERNISATION POSSIBLE ?

Il est aujourd’hui question de moderniser l’ECT. Alors que les Européens avaient la tête dans les vacances, la Commission a reçu au milieu du mois de juillet mandat du Conseil – dont la Belgique en affaires courantes ! – d’entamer des négociations avec les autres partenaires. Plusieurs options sont envisagées, considérant que s’il n’y a pas d’unanimité (!) entre la cinquantaine de membres, les émissions liées aux investissements protégés par le Traité s’élèveraient d’ici à 2050 à 150 GtCO2 c’est-à-dire 5x ce que l’UE peut se permettre de relâcher de carbone dans l’atmosphère, alors qu’il faudrait tendre vers zéro émission nette de CO2. Dans le cas où « le droit de réglementer » des Etats seraient mieux reconnus, notamment leur capacité d’encourager la transition énergétique, les émissions « protégées » de CO2 atteindraient presque 100 GtCO2 d’ici à 2050. Cet amendement considéré comme acceptable par l’UE serait donc loin d’être suffisante. Au contraire, les entreprises fossiles mondiales devraient plutôt renoncer à exploiter au moins 80 % de leurs réserves de pétrole, gaz et charbon si l’on veut avoir une chance de garder les températures sous contrôle.

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Quant à une sortie pure et simple du Traité comme l’ont fait la Russie et l’Italie, cela ne règlerait pas tout le problème car une clause du Traité indique que les investissements resteront protégés pour une période de 20 années après sa dénonciation par un pays signataire !

Ainsi, le Traité de la Charte Energétique ne doit pas être « modernisé » car ce projet est une chimère. Il doit être abandonné et les pays qui sont aujourd’hui parmi les plus engagés dans la lutte contre le climat devraient saisir la Cour européenne de Justice pour que celle-ci constate à son incompatibilité avec le droit européen et avec l’Accord de Paris.

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