L’attaque d’Israël par l’Iran, un tournant aux conséquences encore incertaines dans l’histoire du Moyen-Orient. © Getty Images

Comment le Moyen-Orient a été secoué par l’attaque de l’Iran sur Israël

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

L’attaque d’Israël par l’Iran a beau ne pas avoir eu de lourdes conséquences sur le terrain, elle change profondément les relations dans la région. Avant une éventuelle nouvelle escalade.

Autant l’attaque de l’Iran contre Israël à coup de missiles et de drones dans la nuit du 13 au 14 avril a représenté un séisme dans l’histoire du Moyen-Orient et du monde, autant sa conduite et la gestion de ses effets ont semblé être maîtrisées et s’inscrire dans un cadre circonscrit, de nature à réduire les risques de dérapage.

Plusieurs raisons expliquent ce déroulement singulier. L’Iran voulait réparer l’affront causé le 1er avril par l’attaque par Israël de son consulat à Damas, en Syrie, et la mort de sept membres de son corps d’élite des Gardiens de la révolution, parmi lesquels deux généraux. Après tout, la provocation initiale est venue du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, aux objectifs de guerre, à Gaza et dans la région, encore nébuleux. Mais l’Iran était aussi attaché à ne pas provoquer une escalade qui aurait plongé ses rapports conflictuels avec Israël et les Etats-Unis dans un engrenage conduisant à devoir affronter une guerre, perdue d’avance, sur son territoire… Il aurait pu recourir, comme par le passé, à une réplique sous-traitée à ses groupes alliés, présents dans le voisinage de l’Etat hébreu. Mais aux yeux des dirigeants de Téhéran, une attaque contre le territoire iranien, reconnu comme tel par le droit international, fût-il situé en Syrie, justifiait de franchir un cap supplémentaire dans la réponse à donner à l’adversaire.

Traumatisme accru

Si l’attaque de l’Iran n’a pas paru causer de répercussions immédiates à la hauteur du tremblement de terre qu’elle constitue, c’est aussi parce qu’Israël et ses alliés (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Jordanie) ont réussi à neutraliser la majorité des missiles et drones lancés par l’Iran, et ainsi limiter les dégâts qu’ils auraient pu entraîner à un bilan somme toute acceptable en regard de la peur suscitée. Benjamin Netanyahou et le cabinet de guerre israélien peuvent donc se targuer d’avoir reconstitué autour d’eux une alliance occidentale, fragilisée par la conduite de la guerre à Gaza, et d’avoir engrangé une «victoire défensive», comme a tenté de les en convaincre le président américain, Joe Biden, à l’issue de l’opération dans une initiative visant à éviter une nouvelle escalade. Mais ce sentiment de satisfaction n’est-il pas illusoire? En un peu plus de six mois, les citoyens israéliens ont encaissé un pogrom sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale commis par le Hamas palestinien le 7 octobre, l’enlisement d’une guerre à Gaza qui a coûté la vie à 600 soldats sans permettre la libération des leurs pris en otage, et une attaque frontale d’un pays de la région dont les dirigeants souhaitent la destruction de leur Etat. On peut comprendre que la société israélienne soit durablement traumatisée.

Une certitude se dégage: ce sont bien les Etats-Unis qui ont le sort du Moyen-Orient entre leurs mains.

L’ampleur de ce traumatisme justifierait-il qu’Israël réponde par une réplique à la réplique iranienne? En milieu de semaine, les Etats-Unis voulaient se convaincre que leur allié n’y céderait que de manière très mesurée, en frappant par exemple des représentants iraniens ou leurs supplétifs en Syrie ou au Liban. Israël promettait de réagir mais en laissant planer le doute sur la nature de la réponse. Et l’Iran avertissait que toute intervention visant son territoire entraînerait une nouvelle réplique dans un engrenage qui pourrait s’avérer mortifère. Selon l’option, le Moyen-Orient se retrouverait plus ou moins proche du gouffre, redouté publiquement par le secrétaire général des Nations unies, António Guterres.

De la réponse du cabinet de guerre israélien à l’attaque de l’Iran dépend l’avenir de la région. © Getty Images

Dissuasion relative

Pour l’Iran, le résultat de l’attaque des 13 et 14 avril peut être soumis au même jugement mitigé que celui posé pour Israël. Techniquement, les objectifs fixés par le régime de Téhéran ont été atteints. Il a apporté une réponse ferme à l’attaque de son consulat. Il a évité, pour l’heure, un engrenage menant à une escalade. Et il a rééquilibré le rapport de force avec Israël. Mais il entendait aussi par cette opération restaurer son pouvoir de dissuasion. Or, une certaine inefficacité des tirs de ses missiles et drones (un certain nombre se sont crashés), et l’efficacité de la défense antiaérienne israélienne, même si l’aviation occidentale, qui aurait neutralisé un tiers des projectiles, a grandement contribué au succès final, font douter des capacités de l’Iran à briser la protection du dôme de fer et à porter dans l’avenir un coup majeur à Israël.

Sa confrontation ouverte avec Israël ne favorise pas non plus l’adhésion des Etats de la région à l’idéologie de l’Iran, hors ses affidés traditionnels réunis dans l’Axe de la résistance (lire par ailleurs). La distance s’accroît au contraire avec les pays arabes sunnites qui, pour certains, pouvaient nourrir une convergence d’intérêts circonstancielle avec l’Iran, principal soutien du Hamas palestinien, dans le contexte des souffrances infligées par Israël aux habitants de la bande de Gaza, qui ont suscité un naturel élan de solidarité de la part des populations arabes de la région. L’opposition à la stratégie des ayatollahs a été la plus manifeste dans le chef du roi Abdallah II de Jordanie dont l’armée a participé à l’élimination des missiles et drones iraniens. Soucieuses de ménager la susceptibilité de leur population, qui comprend une forte communauté palestinienne, les autorités ont toutefois assuré que l’intervention des forces aériennes avait pour objectif de protéger la sécurité des citoyens et pas celle d’Israël…

A l’heure de tirer les premières leçons des événements de la nuit du 13 au 14 avril, le doute subsiste sur les failles et les atouts révélés par les deux belligérants. Une certitude se dégage cependant: alors que la Russie, par son activisme en Syrie, et la Chine, par sa médiation entre l’Arabie saoudite et l’Iran, ont ambitionné récemment de jouer un rôle dans la région, ce sont bien les Etats-Unis qui ont en grande partie le sort du Moyen-Orient entre leurs mains. Par la peur qu’ils suscitent en Iran, et par l’influence qu’ils peuvent exercer sur Israël. Influence dont on mesurera l’intensité lors de la prochaine étape de la confrontation israélo-iranienne.

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