Kyriakos Mitsotakis a remporté 146 des trois cents sièges du Parlement. Il veut pouvoir gouverner seul. © getty images

Comment Kyriakos Mitsotakis est devenu «l’homme fort» de la Grèce

Le Premier ministre sortant Kyriakos Mitsotakis veut accroître sa majorité lors d’un nouveau scrutin. La gauche de Syriza et son leader Alexis Tsipras sont contraints à une sérieuse introspection.

Dans les rues d’Athènes, quelques affiches rappellent que les élections législatives ont eu lieu le 21 mai. «Nous savons que nous pouvons apporter le changement» exhibe, en grand, la pancarte de Syriza, le parti de la gauche grec, avec, en fond, son leader Alexis Tsipras. Dans ses meetings, sachant que les enquêtes d’opinion donnaient le parti au pouvoir – la droite conservatrice de la Nouvelle Démocratie (ND) dirigée par le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis – en tête de trois à sept points, Alexis Tsipras avait misé sur la prophétie autoréalisatrice et répétait: «Ne vous fiez pas aux sondages!» Les résultats lui ont donné raison… mais dans le sens inverse à celui espéré. Nouvelle Démocratie a récolté 40,79% des suffrages exprimés et son principal outsider, Syriza, 20,07%. Malgré l’abstention de 40% et une campagne atone, le message envoyé est clair: le changement, c’est non.

Syriza a mené une opposition reposant sur la colère, alors que les Grecs se sentaient d’abord en insécurité.

Personne, y compris dans les rangs de ND, n’avait anticipé une telle déferlante bleue sur la Vouli, le Parlement hellène. Même la Crète, avec son histoire ancrée dans la résistance, terre traditionnelle du Pasok puis bastion de Syriza, a basculé à droite. Désormais, seule une petite région dans le nord-est du pays reste teintée de rose, couleur attribuée à Alexis Tsipras et à Syriza. C’est la première fois dans l’histoire, depuis la chute des colonels en 1974, qu’un parti recueille un tel score parmi les scrutins exprimés. «La majorité des électeurs n’a pas cru aux promesses de campagnes de Syriza», soutient Gavriil Sakellaridis, directeur du think tank Eteron. Pour lui, Syriza a un «problème de crédibilité».

La crainte de l’instabilité

Pour le comprendre, il faut opérer un retour en arrière. Entre 2010 et 2018, le pays traverse la «crise grecque» économique, sociale et politique qui se double d’une instabilité gouvernementale. Alexis Tsipras incarne la contestation aux politiques d’austérité appliquées à Athènes à la demande de l’Union européenne et du Fonds mondial international (FMI). Il fédère les partis de gauche, élargit la coalition Syriza et devient Premier ministre en janvier 2015. Au bout de six mois de gouvernement, il finit par signer à son tour un mémorandum, c’est-à-dire un accord de prêt avec l’UE après que les institutions ont agité, pendant un semestre, la menace d’un Grexit – une sortie de la Grèce de la zone euro. C’est le point culminant de la crise, et paradoxalement, en signant, Alexis Tsipras prépare la sortie du «gouvernement des mémorandums» en 2018.

Cette période traumatique (banques fermées, retraits bancaires limités…) a laissé des séquelles dans la mémoire collective, une partie de la population craignant même qu’un retour de la gauche déstabilise la Grèce sur la scène européenne et internationale. Kyriakos Mitsotakis a joué habilement sur cette peur, appliquant la stratégie «moi ou le chaos». Dans ses discours, lui qui, entre 2019 et 2023, a développé l’image d’un homme fort, respecté sur la scène européenne et écouté à l’international, a martelé: «La dernière chose dont le pays a besoin, c’est d’instabilité.» La stratégie de Kyriakos Mitsotakis a fonctionné. Le message de l’homme fort a porté. ND a le vent en poupe.

«Les Grecs ont voté pour la stabilité et la continuité», confirme Petros Ioannidis, directeur de l’institut de sondage aboutpeople. Il enchaîne: «L’effondrement de Syriza est dû à une mauvaise campagne, mais est aussi le produit de l’opposition basée sur la colère que ce parti a exercée. Syriza pensait que ce sentiment dominait dans la société alors que les Grecs se sentaient avant tout en insécurité.»

Dans tous les sondages, l’économie, le coût de la vie et l’emploi étaient en effet les préoccupations principales des Grecs. A son bilan, le Premier ministre peut accrocher la croissance (+ 4% en 2022), des baisses d’impôts et de cotisations, des investissements revenus… «La pandémie a été un moment charnière, souligne Gavriil Sakellaridis. Alors que tout le monde attendait que ND applique un programme néolibéral classique, il a profité de l’assouplissement du pacte de stabilité, des financements de l’UE et de la réserve financière de quarante milliards d’euros que lui avait laissée Syriza.» Une manne au total d’environ nonante milliards qui a permis de verser quelques chèques pour l’alimentation, le chauffage, etc. Enfin, même si la dette grecque reste élevée, à 170% du PIB en 2022, et si, selon l’OCDE, avec une inflation de 9,7% en 2022, la Grèce a connu une baisse de 7,4% du salaire réel, ND a multiplié les promesses: baisse de la dette, augmentation de 25% du salaire moyen (1 170 euros), hausse du salaire minimal (de 750 euros bruts à 950 euros)… Un programme que Syriza a peiné à concurrencer, dévoilant un recentrage bien loin de ses positionnements d’origine.

Une évolution à la Orban?

Fort de ses 40%, le leader de la droite a toutefois décidé de convoquer de nouvelles élections avant le 2 juillet prochain. Celles du 21 mai ayant eu lieu à la proportionnelle intégrale, elles ne lui accordent pas de majorité absolue. Lors du prochain scrutin, le vainqueur bénéficiera d’une prime allant jusqu’à cinquante sièges à la Vouli. ND espère ainsi avoir une très confortable majorité, voire une majorité des deux tiers qui lui permettrait de changer la constitution. C’est un sujet d’inquiétude en Grèce, essentiellement pour la gauche.

Depuis son arrivée à la tête du pays, en juillet 2019, différentes affaires ont défrayé la chronique. Des ONG comme Reporters sans frontières, la commission en charge des libertés publiques du Parlement européen, le Conseil de l’Europe… ont régulièrement souligné les entraves aux libertés de la presse, questionné l’assassinat d’un journaliste, ou encore fait part de dégradations de l’Etat de droit dans le pays. L’affaire des écoutes téléphoniques, le «Watergate grec» ou encore la multiplication des refoulements illégaux de migrants font partie des exemples cités. Libéral sur le plan économique, Kyriakos Mitsotakis a exercé un mandat conservateur sur les questions de société. «Je suis très inquiet de ce qui adviendra après les secondes élections en matière d’Etat de droit, poursuit le directeur d’Eteron. Nous ne devons pas oublier que Viktor Orban ou Recep Tayyip Erdogan sont arrivés au pouvoir par les urnes.» Mais en temps de crise et d’insécurité, il semble que ces questions jouent moins que la sécurité économique.

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