Choléra en Haïti: le récit hallucinant d’un scandale qu’on a voulu cacher
Le choléra en Haïti, c’est faire le récit hallucinant d’un désastre qui se transforme en scandale politique et médical. C’est aussi revenir sur une vérité que l’on a trop longtemps tenté de cacher par bêtise, mais aussi par cynisme géopolitique. Une négligence qui va faire des milliers de morts. Retour sur cette incroyable histoire malheureusement vraie.
Tout commence en octobre 2010. Comme surgie de nulle part, une épidémie de choléra frappe un pays déjà ravagé par un tremblement de terre apocalyptique. En effet, le 12 janvier 2010, soit quelque neuf mois plus tôt, le pays subira de plein fouet cette catastrophe naturelle sans précédent qui fera 316000 morts, 350000 blessés et 1,5 million de sans-abri, selon le constat du Premier ministre haïtien de l’époque, Jean-Marc Bellerive. Si les conditions de vie sont catastrophiques dans ce pays qui n’est que ruines, pauvreté et instabilité politique, l’apparition du choléra en Haïti va cependant surprendre les spécialistes. Le choléra n’a jamais sévi dans le pays et il est loin des foyers classiques de cette maladie. Un autre point qui va susciter l’étonnement des scientifiques est sa venue aussi abrupte que spectaculaire. On observe ce que, dans le jargon des épidémiologistes, on appelle une falaise. Soit passer de zéro cas à 1000 en quelques jours.
Et c’est vrai qu’on assiste à une véritable explosion puisque l’épidémie va faire 900 morts en un mois. Plus surprenant encore, on se trouve face à ce qui semble être une « anadémie ». Soit une maladie humaine se diffusant à partir d’une source commune, telle que, par exemple, les infections alimentaires collectives à partir d’un aliment contaminé. Or l’infection au choléra résulte de l’absorption d’eau ou d’aliments contaminés. Ainsi, l’homme joue à la fois le rôle de milieu de culture et de moyen de transport pour l’épidémie. La brièveté de la période d’incubation (de deux heures à cinq jours) explique aussi pourquoi le nombre de cas peut facilement exploser.
La bactérie du Choléra provoque une importante déshydratation. On peut perdre jusqu’à 15 litres d’eau par jour. Selon l’OMS, le choléra est une maladie diarrhéique aiguë, dont on peut mourir en quelques heures en l’absence de traitement. Mais correctement soigné rapidement, le choléra est une maladie bénigne dont le patient se rétablit en quelques jours. 80% des cas peuvent être traité avec de simple les sels de réhydratation orale.
Les Casques bleus népalais
Si, dans un premier temps, la piste, plus confortable d’un point de vue géopolitique, d’une apparition naturelle liée à un ensemble de facteurs, et donc sans responsables précis, sera mise en avant, un épidémiologiste français mandaté par le gouvernement haïtien, va rapidement découvrir que la source n’a rien de naturel et ne devrait rien au réchauffement climatique. La raison serait même tout autre et beaucoup moins mystérieuse. Le choléra aurait été « importé » en Haïti par des Casques bleus de l’ONU venus du Népal.
Ce contingent de 1075 Népalais de la mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (la Minustah) est arrivé entre le 9 et le 16 octobre 2010 en Haïti. Or, avant de rejoindre leur base haïtienne, ils avaient été entraînés dans les environs de la vallée de Katmandou où sévissait, à l’époque, une violente épidémie de choléra. Ces derniers auraient donc amené le Vibrio cholerae, la bactérie responsable de la maladie, avec eux en Haïti. Celle-ci aurait ensuite, via la fosse septique du camp militaire onusien qui se déversait dans le fleuve, pollué l’Artibonite, une importante rivière au nord de Port-au-Prince avant d’infestée le reste du pays par transmission interhumaine.
Quand les premières rumeurs impliquant la Minustah se mettent à circuler, une psychose anti-Casques bleus s’installe et cela donne lieu à des affrontements meurtriers entre ces derniers et des manifestants. Cette piste restera cependant longtemps qu’une rumeur que certains jugeaient complotiste. L’avis général préférait, et de loin, la piste dite naturaliste, soit une apparition spontanée dans la nature du virus suite à un environnement instable. Cette thèse va longtemps rester dominante, car elle arrange pas mal de monde. Elle a en effet le gros avantage de n’ « inculper » personne en particulier. Elle est aussi la théorie développée par des chercheurs engagés par l’ONU pour documenter l’épidémie de choléra.
Pourtant, dans ce cas précis, la rumeur visant les Casques bleus népalais disait vrai. Et cette hypothèse sera aussi la conclusion de l’enquête remise dès le 30 novembre 2010 par l’infectiologue marseillais Renaud Piarroux. Ce dernier, éminent spécialiste, sera envoyé sur place et effectuera son enquête à la demande du gouvernement français et haïtien. Cette hypothèse deviendra même scientifiquement incontestable lorsqu’en août 2011, une étude de chercheurs danois et américains indique que les souches isolées en Haïti sont strictement identiques à un clone qui circulait au Népal quelques semaines auparavant.
L’épidémie de Choléra en Haïti aurait donc bien démarré depuis la fosse septique du camp onusien. Non pas de façon volontaire, mais suite à une extrême désinvolture.
Conséquences
Si l’histoire d’une telle négligence dans un pays qui n’en avait vraiment pas besoin est en soi hallucinante, le pire n’est peut-être pas encore là. Le plus grand scandale de l’histoire du choléra en Haïti est que malgré le fait que les preuves vont s’accumuler envers les Casques bleus népalais, l’ONU va durant des années chercher à nier être impliquée dans la propagation de cette épidémie, masquer les preuves, voire maquiller certaines données.
Cette négation de la réalité va être vécue de près par Thibaut Monnier, en poste à cette période en Haïti, et va le pousser à réaliser le docu-fiction Wozo qui dénonce les dérives du système onusien sur place. Son travail
consistait à assurer la visibilité des projets de l’ONU en produisant des reportages vidéos/photos afin de mobiliser des financements des grands bailleurs de l’aide au développement et il assistera impuissant aux manœuvres cherchant à nier les faits. « Ce n’était pas vraiment des mensonges, on ne devait juste pas aborder ni confirmer la théorie des casques bleu népalais» précise-t-il. L’ONU va donc consciemment décider de ne pas évoquer l’enquête de l’infectiologue marseillais Renaud Piarroux pour privilégier durant des années uniquement la piste environnementale.
Ce n’est que des années plus tard, en 2016, et uniquement suite à des preuves irréfutables comme l’ADN, qu’auront lieu les premières excuses publiques. Le 1er décembre 2016, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon va, devant l’assemblée générale de l’ONU, prononcer un discours où il reconnait officiellement le rôle qu’ont joué les Nations unies dans l’épidémie de choléra qui ravage le pays et s’en excuse. Mais il n’ira pas jusqu’à dire qu’ils en sont les uniques responsables.
La faute est donc avouée du bout des lèvres et l’ONU refusera même d’indemniser les victimes dans la foulée en arguant que la situation devait beaucoup à l’état général du pays. Si l’argument est facile – et cherche surtout à ne pas devoir payer des milliards de dollars d’indemnités (en théorie, les réclamations des familles des victimes pourraient atteindre 35 milliards d’euros), il n’est pas complètement fallacieux.
Résultant d’un manque d’accès à l’eau salubre et d’une hygiène défaillante, le choléra est une maladie étroitement liée au niveau de développement des pays dans lesquels il se répand. Les principaux facteurs favorisant la transmission sont en effet le niveau socioéconomique et les conditions de vie de la population. Dans cette optique l’épidémie ne pouvait donc que se propager rapidement sur l’ensemble du territoire haïtien. Surtout si on y ajoute les problèmes liés à l’élimination des eaux usées, des eaux pluviales ou encore des excreta (des toilettes volantes) et des ordures ménagères du pays. Mais tout cela n’enlève rien au fait que l’élément déclencheur vient de la fosse septique d’un camp de l’ONU.
Des années de perdues
Mais le plus triste est encore ce simple constat. Si l’ONU avait, dès le premier rapport de Renaud Piarrous, reconnu et pris en compte la thèse des casques bleu népalais, l’épidémie aurait pu être endiguée beaucoup plus rapidement. Si l’on avait su dès le départ que la source de l’épidémie se trouvait non pas cachée dans la nature, mais que cette dernière était partie d’un point précis, on aurait pu faire ce qu’on fait aujourd’hui pour le Covid. La menace étant moins diffuse, on aurait pu plus facilement la circonscrire. Soit, en sachant que le choléra ne pouvait pas apparaître par magie, effectuer un tracing des cas pour casser la chaîne des contaminations. Une méthode particulièrement efficace à la saison sèche quand les foyers sont réduits. Il faudra malheureusement attendre des années avant que cette méthode soit appliquée. Plus précisément l’année 2016 et elle va rapidement faire ses preuves puisque, selon l’épidémiologiste Renaud Piarroux et l’Unicef, le choléra aurait disparu depuis 2019 d’Haïti. Mais cette disparition n’est, à l’heure d’écrire ces lignes, pas encore complètement actée ni officielle puisqu’il existe encore une querelle entre les experts de l’Unicef et de l’OMS. Ces derniers refusant de réfuter complètement le paradigme environnemental au sujet de cette épidémie. C’est aussi la preuve que le sujet reste particulièrement délicat. Avouer que la source est humaine et non la nature, pourrait en effet ouvrir une brèche juridique et offrir un boulevard aux demandes d’indemnisation.
Pour en savoir plus sur le sujet on ne peut conseiller l’écoute du Podcast de France Culture en quatre épisodes sur le sujet « Le choléra en Haïti, 2010-2019« , mais aussi de voir ou revoir le docu-fiction Wozo. Celui-ci devrait être diffusé sur TV5 monde le 12 juillet 2022 et accessible partout et gratuitement sur leur site à partir de cette date.
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