Par le nombre de pertes humaines et de destructions, l’offensive israélienne à Gaza est sans précédent. © getty images

« Cette offensive est plus dure, plus meurtrière, plus catastrophique »: Gaza agonise sous le châtiment d’Israël

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Tous les Gazaouis n’ont pas évacué le nord du territoire. Pour le professeur Ziad Medoukh, malgré les conditions inhumaines, rester c’est résister.

«Comme habitant de Gaza, j’ai vécu quatre précédentes offensives israéliennes, en 2009, 2012, 2014 et 2021. Celle-ci est plus dure, plus meurtrière, plus catastrophique», témoigne Ziad Medoukh, le 16 octobre, depuis son habitation dans la ville de Gaza, où il a décidé de rester malgré l’appel de l’armée israélienne à évacuer le nord du territoire palestinien en prévision d’une offensive terrestre aux conséquences potentiellement désastreuses.

Morts, destructions, fuite

Le professeur de français à l’université al-Aqsa de Gaza détaille ce qui distingue l’opération «Glaive de fer» des autres interventions de Tsahal. «Le nombre de victimes: dix jours après le début de la guerre, on compte déjà 2 800 morts et onze mille blessés palestiniens (NDLR : auxquels il faut ajouter les 471 personnes tuées lors du bombardement de l’hôpital Ahli Arab le 17 octobre, selon le ministère palestinien de la Santé) En 2014, au terme de cinquante jours de combats, le bilan n’atteignait pas les 2 500 morts. En plus, pour beaucoup, être blessé aujourd’hui équivaut à une mort lente. Les hôpitaux sont débordés. D’autres ont été endommagés par les bombardements israéliens.» Le directeur de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la Méditerranée orientale, Ahmed al-Mandhari, qui s’exprimait le 16 octobre, confirme qu’ils ont visé 111 infrastructures médicales – tuant douze cadres soignants – et soixante ambulances.

Nous n’allons pas participer à reproduire une deuxième Nakba, une deuxième catastrophe.

Deuxième spécificité de l’opération israélienne relevée par Ziad Medoukh, le niveau des destructions. «L’armée israélienne détruit des routes entre des localités et entre des quartiers. Le nombre de maisons, immeubles, mosquées, écoles, bâtiments d’université, stations électriques pulvérisés ou endommagés est considérable. Au dixième jour de guerre, on dénombre près de sept mille raids, soit sept cents par jour… C’est une catastrophe.» Enfin, troisième différence avec les interventions passées, le déplacement de populations. «Les Gazaouis ont peur. C’est la panique. Israël a réussi à faire pression sur une partie de la population pour la pousser à partir, notamment parce que certains ont perdu leur maison, leur immeuble. Cela ne s’était jamais passé lors des précédentes offensives», insiste-t-il.

Des centaines de milliers de Gazaouis se sont déplacés dans le sud du territoire pour échapper à l’offensive terrestre israélienne.
Des centaines de milliers de Gazaouis se sont déplacés dans le sud du territoire pour échapper à l’offensive terrestre israélienne. © getty images

Partir, c’est abandonner

Lui, pourtant, est resté à Gaza-ville, comme cent mille autres résidents, avance-t-il. Une question de dignité. «Bien sûr, les conditions de vie sont très difficiles. Mais rester est notre façon de résister. Un peuple occupé a le droit de résister, selon le droit international. Il y a plusieurs manières de le faire. Nous, nous avons choisi de résister par la non-violence, l’éducation, l’attachement à la terre… Rester chez nous, même dans des conditions inhumaines, même sous la menace d’une catastrophe humanitaire, même avec le risque de perdre notre vie… Car beaucoup de personnes sont mortes dans les bombardements depuis le début des frappes israéliennes. Personne n’est épargné par cette folie meurtrière. Mais nous n’allons pas participer à reproduire une deuxième Nakba, une deuxième catastrophe (NDLR: l’exil forcé de 700 000 à 750 000 Palestiniens en 1948 au moment de la création de l’Etat d’Israël). On préfère mourir debout chez nous plutôt que subir une humiliation intérieure toute notre vie parce qu’on aura contribué à abandonner le pays. Car si aujourd’hui je quitte ma maison, demain, je quitterai Gaza, et après, je quitterai la Palestine.»

Déjà dramatique, la situation à Gaza devrait encore empirer avec l’offensive terrestre annoncée et repoussée le 14 octobre en raison des conditions météorologiques. Cette explication officielle masque peut-être la difficulté d’une action militaire censée conjuguer «éradication du Hamas» et sauvetage des otages aux mains de ses miliciens depuis l’attaque d’Israël, le 7 octobre. L’armée a établi leur nombre à 199. Le Hamas a affirmé que 22 d’entre eux avaient été tués par des bombardements israéliens.

Aux sources de la violence

L’ampleur de la réplique israélienne sera à la hauteur, et au-delà, du traumatisme subi par la société, le gouvernement et l’Etat après les plus de 1 300 morts recensés dans l’attaque des terroristes palestiniens. Quand on l’interroge sur ce bilan meurtrier inédit dans l’histoire de l’Etat hébreu, Ziad Medoukh semble temporiser. «J’essaie de témoigner de façon très objective sur les conditions de vie à Gaza. Des vidéos ont circulé. Mais jusqu’à maintenant, on ne peut pas analyser l’ampleur de ce qui s’est passé le 7 octobre. Tout de suite après, il y a eu les bombardements israéliens, les destructions. La population à Gaza est sous le choc. Elle est en train de mourir. La priorité, pour nous, est de sauver des vies, de dégoter un verre d’eau pour un enfant ou une maman qui ne trouve pas de quoi manger, et d’arrêter cette agression. Après, nous demanderons des comptes. Nous, nous sommes convaincus que la solution pour les Palestiniens, à Gaza et en Cisjordanie, passe par la tenue d’élections. Mais il faut qu’Israël les permette. Il en a empêché la tenue en 2021 parce qu’il a refusé de les organiser à Jérusalem. Il n’y en a plus eu depuis 18 ans. C’est pour cela qu’il existe une faillite du système politique palestinien.»

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Et à ceux qui, en Europe notamment, prétendent que la population de Gaza est otage du Hamas, Ziad Medoukh répond qu’il n’y a pas que le Hamas dans ce territoire, il y a une société civile qui milite depuis longtemps pour un renouvellement du système politique. «Le Hamas est un parti politique. Il a créé une faction militaire. Pourquoi? Pour résister. Il faut revenir aux origines du problème. Les sources de cette violence, c’est l’occupation, la colonisation, puis le blocus, qui dure depuis seize ans.» Un blocus imposé par Israël et l’Egypte après la prise de pouvoir du Mouvement de la résistance islamique dans la bande de Gaza, consécutive à une guerre intestine avec le Fatah de Mahmoud Abbas sur fond de victoire aux élections législatives de 2006 du… Hamas.

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