Gérald Papy

C’est la hess par Gérald Papy: l’opération militaire spéciale se déroule-t-elle selon le plan? (chronique)

Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le couperet est tombé. Le job de ministre russe de la Défense est devenu l’emploi le plus précaire au monde.

Sur le terrain de la guerre en Ukraine, les étonnants succès de la contre-offensive de l’armée de Kiev entre Kharkiv, la deuxième ville du pays, et la province de Louhansk, territoire de la république séparatiste depuis 2014 et désormais menacée de reconquête, n’autorisent aucun doute sur la déroute des troupes russes. Si, en avril, le ministère de la Défense à Moscou avait pu justifier vaille que vaille le retrait de son armée du nord de la capitale ukrainienne par la réorientation de l’opération militaire spéciale sur la bataille du Donbass, qui a d’ailleurs donné lieu à des avancées russes fin juin début juillet, le stratagème ne fonctionne plus aujourd’hui. L’ argument de la consolidation de la défense de l’oblast de Donetsk, autre république séparatiste prorusse en Ukraine, avancé pour expliquer la fuite des soldats russes du front de Kharkiv, ne peut être que balayé. Vladimir Poutine osera-t-il encore prétendre que «l’opération militaire spéciale se déroule selon le plan»?

Il sera difficile au président russe de conserver la même stratégie.

Toute contre-vérité reste du domaine du possible en dictature. Mais il sera malgré tout difficile au président russe de conserver la même stratégie de communication et de gestion du conflit. Car, venu d’où on n’imaginait pas qu’il puisse venir, un autre coup a été porté à la crédibilité du maître du Kremlin. Son plus fidèle allié intérieur depuis l’entame de la guerre, Ramzan Kadyrov, n’a pas hésité, le 11 septembre, à dire publiquement ce que beaucoup se gardaient encore d’avancer et que quelques-uns seulement osaient évoquer: l’armée russe est mise en échec en Ukraine et des erreurs ont été commises. Il y avait même une pointe de menace dans le propos du président de la république russe de Tchétchénie quand il a averti: «Si aucun changement de stratégie n’est apporté, je serai obligé de parler avec les dirigeants du ministère de la Défense et les dirigeants du pays pour leur expliquer la situation réelle sur le terrain.»

Bien qu’elle mette en évidence l’aveuglement des autorités russes sur la conduite du conflit, la sortie de Ramzan Kadyrov doit être appréhendée avec circonspection. Il tend à surjouer le rôle du sauveur de l’appareil militaire russe alors que, d’après certains témoignages, les Kadyrovtsy qu’il a envoyés en Ukraine n’ont pas apporté une plus-value décisive et ont, en revanche, pris leur part dans les crimes de guerre commis dans la région de Kiev.

De surcroît, son action ne serait pas aussi altruiste qu’elle pourrait paraître. Elle servirait aussi son propre intérêt. Il se dit que le successeur du ministre de la Défense Sergueï Choïgou, promis au limogeage, pourrait être Viktor Zolotov, aujourd’hui à la tête de la Garde nationale de Russie. Ramzan Kadyrov, qui a exprimé, le 3 septembre sur Telegram, une certaine lassitude à continuer à présider aux destinées de la Tchétchénie, pourrait briguer la direction de ce corps qui chapeaute, depuis sa création en 2016, les troupes internes du ministère de l’Intérieur.

La guerre en Ukraine connaît un tournant majeur de Kharkiv à Kherson, grâce au courage et à l’intelligence des Ukrainiens. Mais ce sont aussi les lieux de pouvoir à Moscou qu’il faudra scruter dans les prochains jours pour avoir une idée sur l’issue de la guerre.

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